La célébration de l’équinoxe de printemps, le 22 mars, a été bousculée par le coronavirus. Mais les druides bretons se sont adaptés.
Ils auraient dû se retrouver face à l’océan, sur une frontière de terre au bout du Finistère. Dans les environs de Plouhinec, à proximité d’un site de dolmens, les membres de la Gorsedd de Bretagne, plus ancienne fraternité druidique française, auraient célébré ensemble, le dimanche 22 mars, l’équinoxe de printemps. L’épidémie due au coronavirus et le confinement ont finalement contraint à annuler le rassemblement.
Mais il n’a pu empêcher les druides de se retrouver par l’esprit. Un égrégore – pensée collective censée produire une force spirituelle – leur a permis « d’abolir le temps et l’espace », souffle Per-Vari Kerloc’h, sixième grand druide de Bretagne qui conduit à ce titre la Gorsedd. Il a ainsi proposé à chacun de communier là où il se trouve, à 11 heures, « en faisant une photo, en communiquant une pensée », puis d’en partager le résultat avec les autres, par mail.
« L’équinoxe de printemps marque l’égalité entre le jour et la nuit. Ce moment nous amène à réfléchir sur le rapport entre l’océan et la terre, l’équilibre des extrêmes, et à s’interroger aussi sur la notion d’égalité dans le domaine humain », explique Per-Vari Kerloc’h, qui a choisi Morgan comme nom druidique.
« Paix en vos cœurs, en vos âmes, en vos esprits »
Pour cette cérémonie particulière, lui n’était pas seul : son épouse, Elisabeth, est également druidesse. Ils se sont rencontrés jeunes et ont intégré la Gorsedd ensemble. Tous deux ont disposé trois objets à côté d’une fontaine : une hache en bronze, un objet fabriqué avec une dent de reptile et une hache en pierre polie. De l’autre côté, ils ont mis un oursin fossile qui représente l’œuf du monde, duquel tout procéderait.
Et puis, ils ont envoyé des photos avec une pensée chaleureuse. « L’awen [en breton, inspiration poétique et spirituelle] a soufflé avec nos amis d’autres fraternités qui célébraient à la même heure. Fraternelles accolades de loin jusqu’à ce que nous nous retrouvions. Paix en vos cœurs, en vos âmes, en vos esprits », a envoyé Per-Vari Kerloc’h à ses pairs.
« Le secret du druidisme est très simple : il s’agit d’être en harmonie avec la marche du monde », résume Per-Vari Kerloc’h
La célébration suit de quelques semaines une autre fête, celle d’Imbolc, qui a eu lieu cette année le 2 février. Préparant l’équinoxe, Imbolc marque la lustration, c’est-à-dire « le lavage symbolique des miasmes de l’hiver pour se préparer à la venue de la lumière ». La cérémonie a toujours lieu près d’une fontaine et trois membres féminins de la Gorsedd tiennent chacune une torche ; puis tous se lavent mains et visage dans l’eau. « Le secret du druidisme est très simple : il s’agit d’être en harmonie avec la marche du monde », résume le grand druide, âgé de 68 ans.
Les célébrations sont calquées sur le rythme des saisons et le cycle cosmique. On fête la nouvelle année avec Samain, qui, vers le 1er novembre, marque le début de la saison sombre jusqu’à Beltaine (au 1er mai), début de la saison claire, ainsi que les équinoxes et les solstices.
Mais la Gorsedd se mobilise par ailleurs autour de causes environnementales. A l’automne 2019, ses druides se sont rassemblés contre l’abattage des arbres du jardin public de Lannion en organisant une cérémonie de protection. La Gorsedd, qui compte une cinquantaine de membres (dont la moitié sont des femmes), s’est ainsi élevée, en 2017, contre des projets miniers à Merléac, dans les Côtes-d’Armor.
« Société de pensée »
Pour autant, l’institution fondée en 1899, petite sœur de la Gorsedd de Galles, rejette tout engagement politique, et même religieux. Si ses statuts revendiquent un panthéisme, ils respectent le libre arbitre de chacun. Cette « société de pensée » est seulement fondée sur « la croyance celtique traditionnelle [qui] considère que l’univers, dans sa totalité, participe de la divinité et qu’il n’y a que lui ».
C’est pour faire respecter ce principe que Per-Vari Kerloc’h a été choisi par Gwenc’hlan Le Scouëzec pour lui succéder comme grand druide à sa mort, en 2008. Cette figure majeure du druidisme breton en a fixé le cadre et a également su résister aux tentatives d’entrisme de l’extrême droite identitaire dans le mouvement.
Pierre-Marie Kerloc’h (son nom d’état civil), qui a fait carrière comme cadre puis délégué syndical à La Poste, a rencontré le cinquième grand druide au début des années 1980. Gwenc’hlan Le Scouëzec venait alors d’accéder à cette charge. Per-Vari, lui, revenait en Bretagne à l’occasion d’une mutation professionnelle. Il trouve alors un logement chez un membre de la Gorsedd qui en héberge des réunions.
On autorise le jeune homme à assister aux discussions et aux cérémonies. Per-Vari, originaire de Douarnenez, s’intéressait déjà à l’histoire celtique. La découverte de la Gorsedd va lui ouvrir une porte spirituelle. « J’étais attiré par ce sens de la nature et l’éthique, dépouillée du fardeau moral du judéo-christianisme et de sa notion de péché. »
« Maturité spirituelle »
Pour devenir membre de la Gorsedd, il faut cependant franchir plusieurs étapes. La demande doit être soutenue par deux parrains ; le Poellgor, bureau directeur notamment chargé d’élire le grand druide, doit ensuite valider la candidature. Une période de stage doit être observée : Per-Vari sera « disciple » durant deux années, avant d’être admis en 1983. Il revêt alors l’habit bleu du barde, l’un des trois ordres au sein de la Gorsedd.
Les bardes, gardiens de la mémoire, sont tournés vers la poésie, l’art et l’histoire ; quant aux ovates, en vert, ils sont liés à la matière et à ses métamorphoses – leurs métiers peuvent donc être liés à la médecine, l’agriculture, l’artisanat… Il n’y a pas de hiérarchie entre ovates et bardes. C’est sur la base de leur ancienneté ou de leur mérite qu’ils deviennent ensuite, sur validation du Poellgor, druides.
Per-Vari Kerloc’h aurait pu porter leur habit blanc plus tôt que les autres : on lui a demandé de porter l’épée de cérémonie, fonction symbolique de protection du grand druide touchant également à la lumière de l’esprit. Etant une fonction du Poellgor, elle implique un statut de druide. « Mais j’ai refusé, je voulais rester barde. Il était trop tôt pour être druide. Cela réclame une maturité spirituelle. » Après l’être devenu, il se voit demander par Gwenc’hlan Le Scouëzec d’être grand druide adjoint. « Il m’a fait confiance, car il savait que je respecterais le principe de libre arbitre. »
Voilà douze ans qu’il a succédé à son guide. Un grand druide le reste à vie, mais lui souhaite changer cette règle. « La tâche est lourde et les cérémonies, toujours en plein air, exigent d’être valide. » S’il se sent toujours en forme, il préfère prévoir le jour où il faudra passer la main. La Gorsedd est, avant tout, une affaire de transmission.