L’ésotérisme est à la mode, surtout chez les jeunes. Les rituels de magie et initiation aux arts divinatoires fourmillent sur le réseaux sociaux. Mais ces pratiques sont loin d’être anodines. Éclairage.
Entretien réalisé par Manuella Affejee – Cité du Vatican
Astrologie, divination, cartomancie, médiumnité: ces pratiques ésotériques ont le vent en poupe depuis quelques années et suscitent de plus en plus l’engouement des jeunes, notamment via les réseaux sociaux. Cet ésotérisme 2.0 se pare d’une couleur pop, presque glamour qui le ferait presque paraître inoffensif, alors qu’il recèle des dangers spirituels.
Le père Jean-Christophe Thibaut est prêtre du diocèse de Metz où il exerce un ministère de délivrance depuis une vingtaine d’années. Il est également l’auteur, sous le pseudonyme de Michaël Dor, de la tétralogie de La Porte des Anges (Éditions Médiaspaul) et des enquêtes de l’Abbé Nicolas Stock (Éditions Salvator). Il décrypte ce phénomène:
Entretien avec le père Jean-Christophe Thibaut
Le phénomène n’est pas très nouveau. Il a commencé dans les années 1980, qui correspond à la fin du «Nouvel Âge», cette période marquée par de nouvelles spiritualités. Ce regain d’ésotérisme qu’on voit aujourd’hui est lié au fait que tout passe par l’individu. Nous sommes dans un monde très individualiste, chacun peut devenir une sorcière ou pratiquer tel ou tel art divinatoire, sans passer par un groupe, une structure ou un mouvement, comme autrefois.
Il faut reconnaître aussi que, depuis la crise du Covid, l’on note un développement énorme de tout ce qui touche à l’ésotérisme et je pense que cela est lié au fait que la science a montré ses limites. On peut y voir aussi une peur de l’avenir. Aux États-Unis par exemple, les consultations des voyants ont été multipliées par dix depuis le début de la crise.
Internet et les réseaux sociaux jouent-ils un rôle particulier dans cet ésotérisme personnalisé et à la carte?
Effectivement, cela passe par Instagram, Tik Tok, etc. C’est une sorte de «cocktail» avec de nouvelles spiritualités -issues pour beaucoup de thérapies alternatives ou des recherches de bien-être-, un peu de féminisme et d’écologie. L’on voit un retour en grâce de la figure de la sorcière, considérée à la fois comme l’ancêtre des féministes et des écologistes. C’est très «tendance» et l’on constate ce phénomène surtout en milieu urbain, chez des jeunes filles qui proposent des rituels magiques de sorcellerie pour s’attirer de bonnes grâces, se sentir bien, etc.
L’on valorise le côté ludique, esthétique voire «glamour» de certaines pratiques. Mais n’est-ce pas mésestimer le danger qu’elles peuvent receler?
Si, complètement. C’est présenté comme quelque chose d’anodin. Il ne faut pas oublier aussi que tous ces jeunes gens ont été baignés par Harry Potter lorsqu’ils étaient adolescents. C’est donc la continuité de ce phénomène où la magie était présentée comme quelque chose de plutôt positif et esthétisant.
Bien sûr, il y a toujours une méfiance envers la magie qu’on dirait «noire», encore que, aujourd’hui, les repères entre magie blanche et magie noire tendent à s’effacer. À la limite, peu importe ce que l’on cherche, même l’utilisation d’une certaine magie noire peut être considérée comme un acte de justice. Si quelqu’un vous veut du mal ou si vous avez des problèmes avec votre patron, il est légitime de pouvoir proposer un rituel.
Aujourd’hui, dans les grandes villes comme Paris, c’est très «tendance», d’inviter une cartomancienne, un médium ou une voyante lors de diners mondains. On retrouve un peu ce qui se faisait au XIXe siècle, lorsque le spiritisme était à la mode. (…)
Quel est le danger que vous percevez dans cet engouement?
La magie n’est pas anodine, la distinction entre blanche ou noire n’existe pas. D’ailleurs, dans la Bible, on met toujours en garde contre la magie. Il n’y a qu’à lire les Actes des apôtres pour voir que l’évangélisation s’est heurtée aux magiciens -l’exemple le plus connu est Simon le magicien- qui s’opposaient à elle.
Je vois beaucoup de gens marqués par l’ésotérisme qui veulent s’en sortir, parce qu’il y a toujours un moment où cela se retourne contre les personnes. Très clairement, avec la magie, on touche au monde démoniaque. Vous pouvez demander à tous les exorcistes ou ceux qui pratiquent un service de délivrance : la première porte de tout problème spirituel d’ordre démoniaque, c’est le fait de s’adonner à la magie, l’ésotérisme ou l’occultisme.
Cette soif de spiritualité des jeunes est quand même à exploiter. Ne pensez-vous pas qu’il existe là un terrain de mission spécifique qui s’ouvre pour l’Église?
Je pense qu’il ne faut pas en avoir peur. Au contraire, derrière ces recherches d’ésotérisme, se cache une soif du sens de la vie, une soif spirituelle.
La difficulté est que, généralement, la religion est considérée par la plupart de nos jeunes contemporains comme très contraignante, comme un ensemble de dogmes auxquels croire, sans réfléchir, pensent-ils. Or il faut les conduire vers le Dieu vivant en leur montrant qu’il y a des réponses, qu’ils pensent connaitre, mais qu’ils ne connaissent pas en réalité; il faut orienter cette recherche qu’ils portent vers un sens plus positif que celui qu’ils sont en train de prendre, et cela, sans savoir qu’ils sont sur un chemin de ténèbres.
Actuellement, j’ai environ une vingtaine de demandes par semaine émanant de personnes voulant me rencontrer car elles ont fait une mauvaise expérience d’ésotérisme ou d’occultisme.
source :
Vatican News
30 juillet 2021
https://www.vaticannews.va/fr/monde/news/2021-07/esoterisme-a-la-mode-interview-pere-thibaut.html