Malgré une condamnation, Miguel Barthéléry qui prétend guérir le cancer par le « manger cru » et des purges poursuit ses consultations, comme le prouve Franceinfo. Soupçonné d’avoir entraîné la mort de plusieurs malades en phase terminale, le « naturopathe » compterait plus d’une centaine de patients, profitant à plein de la crise du Covid.
Franceinfo a infiltré ces derniers mois la patientèle de l’un des naturopathes français les plus controversés, Miguel Barthéléry. Définitivement condamné le 1er juin dernier par la cour d’appel de Paris à deux ans de prison avec sursis pour « exercice illégale de la médecine » et « usurpation du titre de médecin », Miguel Barthéléry était poursuivi par les familles de deux patients qu’il a suivis pendant des mois, Charles et Catherine, tous deux décédés d’un cancer en phase terminale. Miguel Barthéléry est suspecté d’avoir indirectement provoqué la mort de plusieurs autres patients à qui des alternatives médicales étaient pourtant proposées.
Malgré l’interdiction prononcée l’an dernier par la justice d’exercer les métiers de naturopathe, magnétiseur et radiesthésiste, le pseudo-thérapeute n’a jamais interrompu ses consultations qu’il pratique à distance via l’application cryptée Signal et qu’il facture 100 euros la séance, payable par avance sur PayPal. Depuis sa condamnation, Miguel Barthéléry, qui se présente comme un spécialiste des maladies cellulaires dont le cancer, effectue depuis peu des stages à l’étranger (au Maroc notamment) où il enseigne les bonnes pratiques du crudivorisme ou le tantrisme, au côté de la très controversée Irène Grosjean, 92 ans, considérée comme la référence du « manger cru » en France. Une pratique qui peut se révéler dangereuse et dont les intérêts n’ont pas été démontrés scientifiquement.
Depuis plusieurs mois, franceinfo est entré sous pseudonyme dans le cercle des patients de Miguel Barthéléry. Lors de son dernier procès, le naturopathe en revendiquait plusieurs centaines sans préciser ce chiffre. Prétextant une tumeur avancée de la prostate diagnostiquée en hôpital, franceinfo a consulté à trois reprises le naturopathe de mars 2023 à janvier 2024, soit plusieurs mois après l’échec de son pourvoi en cassation. Des rendez-vous fixés par téléphone, et, depuis peu, via la messagerie cryptée WhatsApp, avec son secrétariat particulier.
Lors de ces consultations d’environ une heure chacune, effectuée en visio sur la messagerie cryptée Signal, nous avons évoqué à chaque fois nos symptômes imaginaires, la nature de notre cancer et surtout notre volonté d’éviter une opération chirurgicale pourtant recommandée par un médecin spécialiste. La nosocomephobie (peur des hôpitaux et de la chirurgie) étant l’une des caractéristiques communes des victimes présumées de ce « naturopathe ».
La promesse de pouvoir soigner un cancer « de l’intérieur »
Dès la première consultation, Miguel Barthéléry nous a fourni par mail un « calendrier », un « plan de santé » et une « procédure de nettoyage du foie ». Ce qui inclut des monodiètes de jus de légumes et de fruits, des phases de jeûnes hydriques ou secs, des purges avec une prise de laxatif en fonction des cycles de la Lune, l’orientation vers d’autres techniques comme la respiration ou le tantrisme. Miguel Barthéléry, qui se présente comme un « docteur en médecine moléculaire », parle avec beaucoup d’autorité. Nous l’appelons régulièrement « docteur » sans qu’il ne nous contredise. Il utilise beaucoup d’images ou des termes scientifiques parfois compliqués pour nous convaincre que seul un changement alimentaire radical peut inverser notre situation.
Contrairement à la grande majorité des naturopathes qui se proposent de soulager les symptômes du cancer, Miguel Barthéléry nous explique à plusieurs reprises que son plan de santé vise bien à soigner la prostate « de l’intérieur » en éliminant progressivement par abcès ou par voies naturelles la tumeur « faite de colles, de glaires et d’acides ». Ainsi, le 28 mars 2023, Miguel Barthéléry nous dit : « C’est comme un appartement. Il faut descendre les poubelles. Alors on va l’y aider ! L’idée c’est de pouvoir refaire circuler tout ça. Moi, je ne lutte pas contre le cancer puisque le cancer c’est le corps. Je ne vais pas lutter contre le corps quand même ! Et c’est ça qui est souvent difficile à entendre. Les gens ont appris à avoir peur des cancers, des bactéries, des virus, etc. Mais moi, j’ai pas peur d’eux. C’est pas eux, le problème. C’est la manifestation du corps qui cherche à se nettoyer, qui n’arrive pas à le faire par les selles et les urines et, ma foi, au bout d’un moment le problème s’en ira. »
« Votre corps, il va résorber ça tout seul »
Plus récemment, en janvier 2024, il nous précise l’objectif de son plan de santé : « Si vous avez une bonne constitution, vous risquez d’avoir une prostatite [inflammation de la prostate] bien comme il faut ! Si ça vous arrive, c’est là que vous commencez votre nettoyage de crise. Et là vous me tenez au courant pour savoir où vous en êtes. Pour que vous ne vous sentiez pas tout seul dans votre crise. Ça ne va pas forcément être agréable ou rassurant. Si votre corps est assez vigoureux pour faire ça, ça durera une petite semaine et votre corps, il va résorber ça [la tumeur] tout seul, de l’intérieur, et voilà. »
A aucun moment, Miguel Barthéléry ne nous demande la copie de nos examens médicaux (radio, scanner, compte-rendus). Mieux, il nous explique plusieurs fois ne pas avoir besoin de notre dosage sanguin de PSA, l’antigène prostatique spécifique qui permet aux médecins de mesurer la progression du cancer de la prostate. En mars 2023, il nous dit : « Le taux de PSA, ça ne veut rien dire ! La question c’est de savoir si le corps peut se nettoyer ou pas ! Je me fous que le taux de PSA soit élevé. » Durant ces consultations, Miguel Barthéléry assume un rapport plus qu’ambigüe avec la médecine allopathique (traditionnelle). Il nous engage à continuer de consulter un oncologue mais n’a de cesse de remettre en cause les fondements de la médecine conventionnelle et l’ensemble de ses médicaments et traitements. « Moi, j’ai rien contre l’allopathie mais c’est pas l’alpha et l’oméga, très loin de là, nous explique-t-il en juillet 2023. On devrait l’utiliser de manière plus intelligente et pas de manière systématique parce que c’est plus de mal que de bien quand on essaie d’arrêter le corps dans son processus. Tant qu’on a peur des réactions du corps. »
« Cet homme ne présente pas un vocabulaire cohérent et scientifique »
En parallèle de ce discours orienté, le naturopathe prend des précautions en incluant dans son plan de santé l’avertissement suivant : « Ce plan ne vise à se substituer ni à un traitement ou suivi médical, ni à un traitement allopathique. Vous êtes avisé de consulter en premier lieu, un médecin généraliste et/ou spécialiste en cas de trouble de santé physique ou mentale afin d’être clairement informé d’un diagnostic et éventuellement conseillé du traitement approprié. » Contacté par France info, Miguel Barthéléry n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Nous avons soumis le contenu de ces consultations au professeur Marie-Laure Joly Guillou, médecin microbiologiste des hôpitaux. « Cet homme ne présente pas un vocabulaire cohérent et scientifique de chercheur, explique-t-elle à franceinfo. Son discours sur les PSA est terrifiant. Le traitement lui-même est une aberration associant des purges à base d’huile de ricin et d’autres de régime dit ‘vegan’ associant uniquement des fruits, des légumes non cuits de préférence, tout cela pour ‘nettoyer le corps’, terme qui revient sans arrêt dans son discours. Inutile de dire que ce régime aboutit à la dénutrition et à l’affaiblissement du système immunitaire et de l’organisme. J’ai des doutes sur ses connaissances scientifiques et son diplôme, vu son discours. Il va à l’inverse des valeurs des naturopathes qui travaillent effectivement avec des centres anti-cancéreux, mais sûrement pas avec les mêmes méthodes. Il met en danger la vie de ces patients en jouant sur le mot naturopathe, une spécialité qui ne lui sera pas reconnaissante. Il manipule ses patients et se met en situation de non responsabilité vis-à-vis de son patient. »
L’impuissance et la colère des proches de victimes
Sollicité par franceinfo, le père de Catherine Franck, une patiente belge de Miguel Barthéléry, décédée en 2018 à l’âge de 39 ans d’un cancer du col de l’utérus, s’exprime pour la première fois dans un média. « Si ce personnage continue bien ses activités depuis la France, ce n’est pas normal, estime Octave Franck. Mais en France comme en Belgique, la justice est impuissante face à ces gens-là. Et il y a tellement de dossiers à traiter. Tout le monde ici, nous les parents, son frère, ses cousins, ses cousines, tout le monde a essayé de la faire changer d’avis mais rien n’y faisait. Elle était convaincue de la réussite. Jusqu’au dernier jour, elle était convaincue qu’elle allait s’en sortir. Elle avait maigri. Elle ne pesait plus rien. C’était incroyable la souffrance qu’elle a endurée pendant six mois. C’est incompréhensible. »
« Je ne sais pas comment ce personnage parvient à convaincre ses ‘patients’ de continuer malgré tout, malgré la dégradation physique, jusqu’à la fin. J’ai de la colère vis-à-vis de moi-même parce que je me dis que j’aurais dû me bagarrer beaucoup plus pour convaincre ma fille de renoncer. Donc la colère, c’est contre moi. Contre lui, je ne pouvais rien faire. » Octave Franck, père d’une « patiente » décédée à franceinfo
Camila, la femme de Charles B., un patient de Miguel Barthéléry décédé en décembre 2018 à l’âge de 41 ans d’un cancer d’un testicule, a porté plainte contre le naturopathe. « Je ne suis pas sûre que la justice ait bien conscience de la dangerosité de ces gens-là. Avec Irène Grosjean, ils tiennent une plateforme incroyable avec une patientèle énorme, des vidéos, etc. Ils continuent d’atteindre beaucoup de monde. Le discours de Miguel Barthéléry, c’est d’invalider ce que ressent la victime. A chaque nouveau symptôme, à chaque douleur, à chaque souffrance supplémentaire, il dit : ‘C’est normal ! C’est ton corps qui se nettoie ! C’est ton corps qui essaie de trouver des moyens de te guérir’, etc. Il continue son emprise. Ça va de plus en plus loin et toutes les personnes qui sont autour, même les plus proches, ne peuvent rien faire. Pendant très longtemps je m’en suis voulue, je me disais : mais comment, moi, je n’ai pas réussi à le convaincre ? J’étais la personne en laquelle il avait le plus confiance. Mais quoi que je fasse, la colère, les pleurs, les explications, des preuves scientifiques, ce n’était pas possible. J’ai tout essayé. » Pour Camila, le fait que son compagnon, qu’elle décrit comme « vraiment brillant », ait pu adhérer au discours de Miguel Barthéléry reste incompréhensible. « Ça montre que ça peut arriver à tout le monde. C’est simplement qu’il y a une emprise tellement grande de ces gens-là, qu’il est impossible de convaincre les victimes ».
A la suite des nombreux contacts qu’elle a eus avec des familles de victimes, Camila estime qu’au moins sept malades suivis par Miguel Barthéléry ont possiblement perdu la vie après avoir observé son « plan de santé » jusqu’au bout, en repoussant les solutions proposées par la médecine traditionnelle. Un chiffre qu’elle estime largement sous-évalué car les familles, entre culpabilité et honte, n’osent pas porter plainte.
Des malades mis en danger par le crudivorisme
Le cas Miguel Barthéléry ne saurait être dissocié de celui d’Irène Grosjean. Le duo travaille de manière étroite en proposant via un site internet des informations, des stages payants, des produits et des liens vers d’autres sites prônant également le 100% manger cru. Considérée comme « l’autorité » française du crudivorisme, certaines vidéos d’Irène Grosjean cumulent des millions de vues sur YouTube. Ses stages co-animés par Miguel Barthéléry ne désemplissent pas, comme l’a constaté en juin dernier un journaliste du Figaro , lui aussi infiltré dans la patientèle des crudivores.
En apparence douce et bienveillante, Irène Grosjean est également soupçonnée par des familles d’avoir mis en danger des patients porteurs de cancers ou d’affections de longues durées. A notre connaissance, aucune plainte n’a été portée contre elle. Contacté par franceinfo, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) nous informe qu’Irène Grosjean et Miguel Barthéléry ont fait l’objet de 21 saisines depuis 2019. Comme Miguel Barthéléry, Irène Grosjean prône la guérison par le manger crû. Comme lui, elle conseille, lors de stages ou à distance, des patients atteints de maladies graves, avec des conséquences parfois dramatiques. A l’été 2022, poussée par l’Ordre des médecins, la plateforme Doctolib avait déréférencé et supprimé de son application plusieurs dizaines de naturopathes formés par Irène Grosjean.
L’une des victimes d’Irène Grosjean a accepté de transmettre à franceinfo une lettre déchirante qu’elle avait adressé à la papesse du manger crû, plusieurs années après avoir frôlé la mort à l’âge de 46 ans. « Il y a de cela une dizaine d’années, écrit Juliette* à Irène Grosjean, je vous ai contactée car je souffrais d’une maladie héréditaire et j’étais en insuffisance rénale. La seule solution m’étant proposée était la dialyse puis la greffe. (…) Lors des consultations, vous aviez précisé être apte à tout soigner, que ce soit le sida, le cancer et autres pathologies, avec les mêmes remèdes : purge, huile de ricin, le cru à tout va… Comme s’il n’y avait qu’un seul remède pour des pathologies complètement différentes. (…) J’ai suivi à la lettre vos conseils car j’étais persuadée que l’alimentation était fondamentale dans la guérison des maladies. Le traitement que vous m’avez conseillé m’a fait perdre de nombreux kilos. Très rapidement épuisée, je n’arrivais même plus à monter les escaliers et avais du mal à marcher. J’ai malgré tout refait un bilan sanguin et les résultats se sont avérés catastrophiques. Les néphrologues ont essayé de me convaincre d’aller en dialyse, mais j’avais toute confiance en vous, madame. Mon mari et mes enfants me voyaient dépérir, mais je persistais dans cette voie, m’entrainant vers le néant. Je me suis mise à perdre du sang par le nez, par la bouche ainsi que dans les urines. (…) Vous m’avez répondu que c’était tout à fait normal car c’était le processus d’élimination de la maladie, signe de guérison. »
Cette lettre inédite, que franceinfo reproduit ici dans son intégralité, témoigne des méthodes mais aussi de l’emprise exercée par Irène Grosjean sur ces patients les plus malades et réfractaires à des traitements lourds ou de la chirurgie. Dans le cas de Juliette, ses enfants sont parvenus à la faire hospitaliser in extremis. Ils ont choisi de ne pas porter plainte. « Ma mère vit aujourd’hui avec les conséquences de ce ‘plan de santé’ dans lequel elle a cru jusqu’au bout, explique sa fille Marlène*. Elle espère juste que la médiatisation de son témoignage saura éclairer des familles ou d’autres patients trompés par Irène Grosjean. »
Un « processus d’emprise »
Nous avons fait lire la lettre de Juliette à Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI). « Dans le processus d’emprise, la culpabilité est l’avant-dernière étape. La dernière étape, c’est l’interdiction du doute, rappelle Pascale Duval. Cette femme, Juliette, a perdu une partie de sa vie, avec des signes évidents de mauvaise santé. Tout en sachant qu’il fallait absolument qu’elle se soigne, elle a quand même continué à faire confiance en cette personne. Si c’est pas une femme sous emprise, c’est quoi ? Et c’est là que vous voyez le pouvoir que ces praticiens réussissent à avoir sur leurs clients malades parce qu’ils arrivent à les faire culpabiliser à ce point. C’est redoutable. »
« La question, c’est pourquoi les gens ne portent pas plainte ? A mon avis, la réponse est la même que pour les femmes violées, il y a une vingtaine d’années. Tant que le problème ne sera pas reconnu par la société toute entière, par le droit, vous aurez des personnes qui penseront avoir été victime de leur naïveté. »Pascale Duval , Porte-parole de l’UNADFI
Depuis 2016, le crudivorisme a fait l’objet de plus de 600 signalements auprès de la Miviludes, avec un pic en 2021 lors de la crise du Covid. La grande majorité de ces signalements concernent un autre gourou de la discipline, Thierry Casasnovas, mis en examen en juin dernier pour « exercice illégal de la médecine » et « abus de faiblesse » notamment. La Miviludes explique à franceinfo que « le discours des crudivoristes comporte un risque réel de détournement des malades des soins éprouvés et induisent chez certaines personnes une emprise psychologique. Les témoignages reçus à ce sujet font état de situations particulièrement graves impliquant des proches qui, sous l’influence de cette pratique, renoncent à leurs traitements médicaux, perdent du poids et présentent de sérieux signes d’affaiblissement. »
Ces gourous du bien-être sont au cœur d’un projet de loi sur les dérives sectaires qui passe le 4 février prochain devant l’Assemblée nationale. Le texte était devant le Sénat, en décembre, où il a été largement amendé contre l’avis de nombreuses associations luttant contre les sectes. Les sénateurs ont notamment refusé de créer de nouveaux délits comme la « sujétion psychologique », la « provocation à l’abandon de soins » ou à « l’adoption de pratiques exposant à un risque grave pour la santé ».
source :
France Info
Article rédigé par Stéphane Pair
Radio France
Publié le 22/01/2024