Un rapport de la Contrôleur générale des lieux de privation de liberté – publié le mercredi 17 juin – dénonce des atteintes aux droits des patients en établissement spécialisé. Il s’inquiète d’un recours croissant à l’hospitalisation contrainte, par manque d’analyse critique et impératif sécuritaire.
Après les prisons, les hôpitaux psychiatriques. Dans un rapport paru le mercredi 17 juin, la Contrôleur générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, rend compte de ses visites dans les établissements et services hospitaliers consacrés à la santé mentale. Après deux cents contrôles, le constat est lapidaire : « Aucun de ces établissements n’est totalement exempt d’atteintes aux droits de ses patients », écrit la Contrôleur générale.
Des entraves à la liberté de circuler, au port obligatoire du pyjama et à la privation de téléphone, la liste est longue. Adeline Hazan émet 67 recommandations, et surtout, réclame une « réforme d’ampleur du système psychiatrique », taclant l’absence « de volonté politique de limiter l’hospitalisation sous contrainte ».
La nécessité d’un « changement de regard »
Si les internements sans consentement existent depuis le XIXe siècle, ils augmentent « de façon préoccupante, atteignant le quart des admissions et représentant 40 % d’entre elles dans certains établissements », alerte le rapport. Parmi les 342 000 Français hospitalisés pour « troubles mentaux » en 2016, 80 000 en effet l’ont été contre leur gré.
Ainsi, le trouble à l’ordre public demeure un motif fréquent d’internement, qui peut d’ailleurs être réclamé par le préfet. « On interne surtout une situation problématique, » confirme le docteur Claire Gekiere, psychiatre au CHS de la Savoie et membre de l’Union syndicale de la psychiatrie.
Un impératif de « protection de la société »
En 2008, un fait divers amorce un véritable tournant sécuritaire dans la psychiatrie. Un schizophrène de l’hôpital de Saint-Égrève, à Grenoble, qui bénéficiait d’une permission de sortie, poignarde à mort un jeune étudiant. Quelques semaines plus tard, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, engage un vaste plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques : entrées contrôlées, dispositif de géolocalisation des patients, de vidéosurveillance également, création d’unités fermées et de chambres d’isolement…
D’autant que la psychiatrie française a longtemps échappé à tout contrôle judiciaire. Il a fallu attendre 2011 et une question prioritaire de constitutionnalité, portée par l’association Groupe Information Asile, pour que les internements contraints soient nécessairement validés par un juge des libertés et de la détention, a posteriori dans les douze jours suivant l’hospitalisation. « Jusqu’alors, les professionnels ne considéraient pas que la psychiatrie devait être un terrain juridique », analyse André Bitton, militant d’alors au sein de Groupe Information Asile.
Une réflexion collective « insuffisante »
« La profession était globalement assez furieuse, confirme Claire Gekiere. Cela à cause d’un paternalisme médical très présent : on a tendance à se dire que nous savons à la place du patient. » Adeline Hazan reproche aux psychiatres d’être peu enclins à l’analyse critique de leurs pratiques : « Ils sont dans leur immense majorité mus par la conviction que «c’est pour le bien du patient» » indique le rapport. « L’insuffisance de la réflexion collective a conduit à l’intériorisation de la contrainte par l’institution hospitalière ».
Contrainte qui serait nuisible dans bien des cas, source de crises psychotiques fréquentes et d’une stigmatisation encore plus importante des patients. Ainsi, si l’internement est parfois bien nécessaire, la Contrôleur générale des lieux de privation de liberté réclame un recours plus fréquent aux alternatives en dehors de l’hôpital, à domicile ou dans des centres spécialisés.
source : par Marion Lecas
https://www.la-croix.com/France/En-psychiatrie-internements-forces-augmentent-facon-preoccupante-2020-06-17-1201100213?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_content=20200617&utm_campaign=NEWSLETTER__CRX_JOUR_EDITO&PMID=2297c7554f0dc2f0deed282f8953dea5&_ope=eyJndWlkIjoiMjI5N2M3NTU0ZjBkYzJmMGRlZWQyODJmODk1M2RlYTUifQ%3D%3D