Analyse Après avoir été alerté par plusieurs associations, Jean-Michel Blanquer renonce à une expérimentation à grande échelle et n’encourage plus cette pratique.Se poser, respirer, porter son attention au moment présent. Depuis une dizaine d’années, la méditation de pleine conscience (MPC) est utilisée dans quelques établissements scolaires pour améliorer l’ambiance en classe et favoriser la concentration des élèves. Face à une perte d’attention généralisée, la pratique suscite même un certain engouement. Aujourd’hui, elle est pourtant pointée du doigt par plusieurs associations.
Le 18 janvier, la Ligue des droits de l’homme (LDH) a envoyé une lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer, cosignée par des syndicats enseignants (FSU et l’Unsa Éducation) et la fédération de parents d’élèves FCPE, pour lui demander de « mettre fin » aux expérimentations et de « refuser l’entrée officielle à l’école » d’une technique proposée par un « think tank ésotérique » associant des « mouvances très controversées comme l’anthroposophie ».
En juin 2021, la LDH avait déjà alerté au sujet de cette pratique, après la proposition du député LREM Gaël Le Bohec, soutenu par des personnalités comme le psychiatre Christophe André, de l’expérimenter à grande échelle.
Aucun cadre fixe
« La méditation de pleine conscience estune technique labellisée par le Mind and Life Institute et relayée chez nous par Initiative Mindfulness France, rappelle le président de la LDH. C’est cette structure privée, pesant des milliards de dollars, qui fait du lobbying pour entrer à l’école. » Malik Salemkour évoque des « risques de dérives sectaires » et « d’atteinte à la laïcité » à travers « une pratique qui se prétend laïque mais qui est d’inspiration bouddhiste ».
Le ministère de l’éducation a pris l’alerte au sérieux et annoncé qu’il « n’encourageait pas » cette méditation « ni ne mettait en place d’expérimentation ». Les services de Jean-Michel Blanquer constatent que « ces pratiques se sont déployées depuis plusieurs années » avec « des interventions de plus en plus nombreuses et disparates d’associations sans qu’un cadre soit fixé ». Le ministère évoque un risque d’« ascendant » sur les mineurs et entend désormais effectuer « un contrôle systématique »pour« s’assurer du respect des principes du service public ».
Évaluations indépendantes
Christian Gravel, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), se veut beaucoup moins alarmiste. « Nous avons reçu une vingtaine de signalements et de demandes d’informations entre 2018 et 2020 sur la méditation de pleine conscience, indique-t-il. Nous sommes, actuellement, en train de faire le point avec l’éducation nationale pour savoir s’il y a eu des dérives dans le cadre des séances à l’école, mais nous n’avons pas encore de chiffres. »
Il rappelle que la méditation de pleine conscience « a démontré, à travers un certain nombre d’études scientifiques, ses bienfaits lorsqu’elle est bien accompagnée », mais reconnaît que, « comme pour toutes les disciplines s’inscrivant dans le champ du bien-être et du développement personnel, elle peut être instrumentalisée par des entrepreneurs sectaires ».
Il précise également qu’elle peut « s’avérer problématique pour des personnes souffrant de troubles psychiques graves » mais n’y voit pas d’atteinte à la laïcité. « Si la méditation est historiquement ancrée dans une tradition religieuse hindouiste et bouddhiste, la méditation de pleine conscience, telle qu’elle a été théorisée, n’y fait aucune référence », affirme-t-il.
Selon la LDH, près de 23 000 élèves auraient suivi des séances de méditation de pleine conscience dans 425 établissements publics et privés sans qu’il y ait toujours eu « un contrôle du ministère », nimême « l’accord exprès des parents ». Rue de Grenelle, on reconnaît que l’information des familles dépend d’abord de la « cuisine interne » de chaque établissement.
Gaël Le Bohec, lui, assure que l’objectif de sa proposition était de « coordonner des pratiques disparates » et souhaiterait à présent que le programme Peace (1), appliqué dans plusieurs établissements, puisse être « évalué par des scientifiques indépendants».
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« Il faudrait que les enseignants soient formés et qu’ils proposent eux-mêmes ces séances »
Père Pascal Sevez
Directeur du Centre d’études pédagogiques ignatien
« Dans l’enseignement catholique, on peut trouver des éléments d’exercices qui ressemblent à la méditation de pleine conscience lors de temps d’intériorité ou de moments qui permettent aux enfants d’être à l’écoute de leurs émotions. Pour nous, il s’agit moins d’un outil pour calmer les élèves que d’un chemin de prière avec le corps. Je peux comprendre l’inquiétude de certains parents ou enseignants puisque c’est une méthode qui travaille sur le comportement. Pour éviter les dérives, je pense qu’il faudrait que les enseignants soient formés et qu’ils proposent eux-mêmes ces séances. »
(1) Présence, écoute, attention, concentration dans l’enseignement.
source :
- La Croix
- Paula Pinto Gomes,
- le 14/02/2022
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