Enquête
Retraçant la découverte et l’initiation au chamanisme de l’écrivaine Corine Sombrun, incarnée dans le film par Cécile de France, le long-métrage Un monde plus grand (1) est sorti en salles mercredi 30 octobre.
Multiplication de conférences, d’offres de formation, de blogs racontant des voyages en terres chamaniques, de festivals ou d’expériences variées… Les propositions affluent, attirant un public toujours plus hétéroclite et nombreux. Fin août, la première université d’été française du chamanisme a même rassemblé, cinq jours durant, des médecins, des anthropologues et des représentants de diverses traditions, venus débattre de leurs expertises et pratiques respectives.
« Pendant très longtemps, science et conscience n’ont pas fait bon ménage : nous avons voulu créer des ponts entre les domaines scientifiques et chamaniques. Et le pari a été gagné », assure le chaman Didier Rauzy, cofondateur du Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales, à l’origine du projet. Réunissant des « porteurs de sagesse » de tous horizons, ce mouvement avait déjà organisé, en avril dernier, le douzième Festival du chamanisme, à Genac (Charente). Plus de 4 000 personnes avaient alors afflué à l’événement, rythmé par des cérémonies coutumières. « La foule était très hétérogène, avec des chamans, des néophytes, des gens issus de tous les milieux, et d’âge varié », poursuit le chaman.
Pas d’intermédiaire
Que recherchent donc ces milliers d’Occidentaux en s’intéressant, loin des religions majoritaires, à la spiritualité chamanique ? Tous avancent des raisons diverses. « La quête métaphysique, aujourd’hui, ne s’exprime plus nécessairement à travers le besoin de dogmes. Le néo-chamanisme incarne ces trois thèmes qui reviennent inlassablement dans la mélodie spirituelle de nos sociétés post-industrielles : la connaissance de soi, la créativité et le bien-être », explique le philosophe et sociologue Raphaël Liogier (2) de l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence, à l’origine d’enquêtes sur le phénomène.
« Remontant à l’époque du romantisme, cet engouement des Européens pour le chamanisme, pour ses “autres exotiques” correspond toujours aujourd’hui à une tentative de réenchantement du monde, par la religion, la magie, le mystère, le mystique, le lien avec le monde végétal perçu comme pourvu d’une conscience spirituelle », relève l’anthropologue Nadège Chabloz (3), rattachée à l’EHESS et à l’Institut des mondes africains (Imaf). « Ce qu’il y a de vraiment nouveau, dans le paysage désormais mondialisé du chamanisme, ce sont les manifestations synthétiques – dans le sens où leur objectif est de faire une synthèse entre toutes les formes du chamanisme -, comme les festivals et les rassemblements qui fleurissent un peu partout en Europe depuis quelques années », poursuit-elle.
Risques de dérives
« Prenant le contre-pied de la société matérialiste, la proposition du chamanisme relève de l’expérience personnelle, sans intermédiaire, sans clergé », décrypte le chaman Éric Marchal, créateur du portail français chamanisme.fr, et co-fondateur du Compagnonnage chamanique, une formation non diplômante en trois ans. Intrinsèquement hors des cadres, la pratique du chamanisme n’est toutefois pas exempte de dérives. « Attention à certains chamans autoproclamés : leur titre n’est pas honorifique. Il faut rappeler que dans les sociétés traditionnelles, personne ne voulait être chaman, aujourd’hui, dans notre société, tout le monde veut l’être… », déplore-t-il.
La lutte contre les dérives sectaires se muscle
Prise non contrôlée d’ayahuasca – une préparation fournissant à ses utilisateurs des hallucinations visuelles, interdite en France –, risques d’emprise mentale, de dérapages sexuels… « Pour prévenir les dérives, il faut suivre les recommandations classiques en termes de risques de sectarisme. Comme il n’y a pas de groupe, de tradition constituée et unifiée dans le néo-chamanisme, il n’y a pas de normes pour contrôler un leader charismatique, conclut Raphaël Liogier, celui-ci peut alors ne plus avoir de limites, et imposer, chez certains individus en déshérence métaphysique, une relation de dépendance à lui. »
(1) Réalisé par Fabienne Berthaud.
(2) Auteur avec Dominique Quessada de Manifeste métaphysique, Les Liens qui libèrent, septembre 2019, 160 pages.
(3) Auteure de Peaux blanches, racines noires. Le tourisme chamanique de l’iboga au Gabon, Academia, 2014.
source :https://www.la-croix.com/Religion/Derriere-chamanisme-quete-spirituelle-hors-cadre-2019-10-30-1201057472