« Activez la capacité naturelle de votre corps à se rééquilibrer », « traitez le cancer avec du bicarbonate de soude », « votre nouvelle vie commence ici »… Les slogans racoleurs, ouvrant la voie à un mode de vie plus sain et naturel, pullulent sur Internet. Rirothérapie, reiki, kinésiologie… Autant de cures alternatives à la médecine traditionnelle qui promettent de venir à bout de maladies graves par des moyens contestables et contestés.
Ainsi, Claude Sabbah, fondateur de la méthode dite de la « biologie totale des être vivants », affirme qu’il suffit d’identifier l’élément déclencheur d’un cancer – résultant bien souvent d’un choc psychologique intense, selon lui – pour le guérir. Une méthode largement controversée et pour laquelle cet ancien médecin, radié de l’ordre, a été condamné en 2015 pour « publicité mensongère » par le tribunal correctionnel de Montpellier. En suivant cette thérapie, un homme atteint d’un cancer est mort après avoir abandonné ses traitements au nom de la « biologie totale ».
Thérapies exclusives de la médecine traditionnelle
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Mivilude) a d’ailleurs épinglé Claude Sabbah pour sa méthode et rappelle qu’on « parle de dérives thérapeutiques potentiellement sectaires dès lors que la méthode proposée exclut les traitements classiques et qu’elle est présentée comme une solution unique. Le danger, c’est que ces thérapies holistiques peuvent impliquer un arrêt des traitements et ainsi une perte de chance en terme de guérison, ce qui est pénalement répréhensible », détaille à BFMTV.com Anne Josso, secrétaire générale de la Mivilude.
Elle poursuit: « Ces thérapies sont assimilées à des dérives sectaires quand il est demandé au patient d’adhérer à un nouveau mode de pensée et de suivre comme un mantra les injonctions du thérapeute gourou qui n’a aucune formation dans le médical ou a été radié de l’ordre des médecins ».
Ces « dérapeutes » – les thérapeutes qui dérapent, selon les mots de la Mivilude – ont su profiter de l’avènement des réseaux sociaux pour étendre leur champ d’action et ainsi toucher un public plus large. Sur sa page Facebook, Christian Tal Schaller, qui se décrit comme un chamane, fait la promotion de “stages vivifiants et formateurs à qui veut évoluer pour soi-même et pour le monde”, pour la modique somme de 520 euros les trois jours. Il renvoie également vers sa chaîne YouTube où il promeut les vertus thérapeutiques de l’urine contre le sida.
Séduction numérique
« Leur activité est énorme sur les réseaux sociaux et ils proposent de plus en plus de séances de coaching et de suivi par Skype. Les dérapeutes opèrent une véritable séduction numérique et utilisent des techniques de web marketing », note Anne Josso. Contacté par BFMTV.com, Skype n’a pas souhaité répondre et explique que ces conférences passent par le biais d’applications et non directement par la plateforme.
Iconographie traditionnelle ou apparente, contenus pseudo-scientifiques… Beaucoup de thérapeutes ont plusieurs sites Internet et habillent leur interface en fonction du public qu’ils souhaitent attirer. Facebook et Youtube leur servent de relais et leur permettent d’entamer des chats sur les messageries privées. C’est alors qu’ils installent leur emprise, en usant souvent d’un discours culpabilisateur. « Ils savent exploiter les moments de faiblesse des gens », pointe la Mivilude.
« Je n’ai pas le temps ni surtout envie de vous laisser patauger dans votre infantilisme. Et cela sera une entrave à votre guérison. Les gens qui ne donnent pas d’eux-mêmes, ne sacrifient rien, restent dans leurs problèmes”, tance ainsi un acteur du groupe Hygiénisme France incitant son interlocuteur à “payer au moins [cette séance] ».
« C’est une technique courante de rendre le patient responsable de son mauvais état de santé s’il préfère s’en tenir à la médecine traditionnelle », commente la secrétaire générale de la Mivilude.
Facebook n’a pas vocation à se substituer aux autorités
Les commentaires élogieux sur les pages Facebook des gourous et les groupes fermés jouent également un rôle non négligeable pour appâter les nouveaux clients. « Voir que d’autres ont suivi cette même thérapie ‘miraculeuse’ est un gage de confiance. On a aussi l’impression d’appartenir à une élite qui a compris comment mieux vivre. On peut échanger de manière quasiment permanente avec d’autres adeptes ou directement avec le dérapeute », explique Anne Josso.
De son côté, le réseau social travaille à la suppression des contenus qui encouragent les violences et représentent un risque pour ses utilisateurs. Un système d’intelligence artificielle analyse les publications et supprime 65% des contenus objectivement violents. A chaque signalement, le litige est pris en charge par un employé de Facebook qui vérifie si une suppression est nécessaire ou non.
« Facebook n’a toutefois pas vocation à se substituer aux autorités. Si l’Etat ne signale pas une pratique comme sectaire, ou qu’il n’y a pas eu de condamnation, le réseau social ne peut pas bloquer le contenu », nous indique une source bien informée.
Autre écueil: Facebook s’étend dans le monde entier. Or, un organisme international peut être considéré comme sectaire dans un pays et pas dans un autre. Ce qui complique encore l’action de modération du réseau social car quand un contenu est supprimé sur sa plateforme, il l’est au niveau international.
Des groupes à l’influence destructrice
En 2018, la Mivilude a reçu quelque 2800 signalements parmi lesquels près d’un tiers concerne le domaine de la santé, « mais ces signalements restent minimes par rapport à l’étendue de ce marché », souligne Anne Josso. Le 18 novembre dernier, la Mivilude a par exemple été alertée sur les agissements des groupes « Club W, Team Full Power et ALHIVE » – spécialisés dans la nutrition et le bien-être – qu’un individu accuse de « détruire » sa famille.
Dans son témoignage, il explique: « Il y a six mois, mon épouse a été contactée via Facebook. Après plusieurs échanges, le groupe lui a proposé d’acheter des produits diététiques et de se faire de l’argent en recrutant d’autres membres. Elle suit aussi des séances de coaching via Internet le jour et la nuit (cela commence vers 6h00 et se termine vers 2h00 du matin), où elle doit écouter ses coachs, animateurs, superviseurs et ambassadeurs. Elle doit être disponible 24h/24 et 7j/7 pour la Team. Mon épouse a récemment fait une demande de divorce car j’ai refusé d’intégrer le groupe. Elle a réussi à recruter une amie qui a une petite fille gravement malade (mucoviscidose) et un monsieur handicapé. Les coachs et superviseurs lui ont conseillé de prospecter sur ce ‘type de personne à fort potentiel’ pour développer la taille du groupe (l’amie de mon épouse fait partie d’une association d’aide aux parents d’enfants gravement malades). Sa Team lui a dit de se méfier de moi et que je conspirais (le mot exact utilisé) contre le groupe. »
Quand la Mivilude juge les signalements suffisamment inquiétants, elle les communique à la justice. En 2018, elle a signalé 80 cas de dérives sectaires. Certains cas concernant le domaine de la santé ont été transmis à la justice « car on a constaté des morts, mais il est difficile de savoir si ces décès sont directement liés aux thérapies. Néanmoins, nous savons qu’un dossier au moins a été judiciarisé et une autopsie a été pratiquée », précise la secrétaire générale de la Mission.
Des victimes « mieux prises en compte par la justice »
L’utilisation des réseaux sociaux pour promouvoir des thérapies axées sur le bien-être engendrent des risques nouveaux, d’autant que la Mivilude n’a pas de contact direct avec les géants comme Facebook pour s’unir dans la prévention. Cette mise en relation constante avec les gourous permet de faire jouer leur influence de manière insidieuse. Les patients perdent pied avec la réalité et se coupent de leur entourage qui reste démuni face à la situation.
Mais « quelques condamnations judiciaires obtenues sur le fondement de l’article 223-15-2 du code pénal qui punit la sujétion psychologique montrent que les victimes de l’emprise sectaire sont de mieux en mieux prises en compte par la justice », fait valoir Serge Blisko, président de la Mivilude, dans le rapport de 2017.