Comme beaucoup d’ados, Anne (1) angoissait face à l’oral de français du bac. Et Cathy, sa mère, avait justement fait connaissance avec cette dame « très sympa, pleine de douceur, d’empathie, de bienveillance ». Quinquagénaire, celle-ci venait de s’installer « consultante en parentalité » et proposait du « coaching thérapie », précise Cathy. « Anne a donc commencé à la voir pour un ‘coaching prise de parole’ « . Le bac s’est bien passé. « Et puis Cathy et moi avons perdu nos parents à quelques mois d’intervalle. La disparition brutale de ses grands-parents a été un choc aussi pour notre fille », poursuit son mari, Alain, le père d’Anne.
Désormais étudiante, cette dernière déprime et demande donc à revoir la gentille dame qui lui propose un… « coaching pour le deuil » (sic). Mais au bout quelques séances, « la tristesse d’Anne plonge beaucoup plus loin que ça », estime cette femme. Cathy et Alain laissent donc leur fille entamer une « thérapie » avec elle. Et au fil des séances, « Anne prend ses distances, s’irrite toujours plus contre nous »…
« Le ressenti corporel »…
En 2020, la première bombe éclate. Sa « thérapie » lui a fait une »révélation ». Si elle se sent mal, c’est parce qu’elle a été « victime d’une agression sexuelle », confie-t-elle à ses parents. « Immédiatement, j’ai voulu aller avec elle porter plainte à la gendarmerie », enchaîne Alain. La déflagration suivante sera pire : sur la base d’un « ressenti corporel » suscité par la « thérapeute », Anne accuse son père d’un geste incestueux, dans son enfance.
Les faux souvenirs induits
« Notre fille reconnaît elle-même n’en avoir aucun souvenir mais assure qu’il l’a touchée. La pédopsychiatre qui la suivait n’y croit pas une seconde », souligne Cathy. Mais Anne s’enferre. Sa mère enquête. La « thérapeute » autoproclamée n’a aucun diplôme reconnu, n’est inscrite nulle part et se prévaut de charlatans notoires pour sa formation. Elle pratique aussi la « câlinothérapie ». Et « l’inceste oublié » est son mantra pour justifier tout mal-être. « Ce que vous dites fait écho à ma propre histoire » : avec cette phrase clé, elle enferme alors ses victimes dans une connivence de l’interdit.
Les faux souvenirs, a fortiori d’inceste ? L’ancienne magistrate Catherine Katz connaît ce « classique » : l’une des armes redoutables des « gourous et gourelles » pour placer sous emprise une personne fragile et la couper de sa famille. Fondateur de l’association Psychothérapie vigilance en 2001 – « au service des victimes de thérapies déviantes, abusives ou psycho sectaires » – le Tarbais Guy Rouquet alertait déjà la commission d’enquête du Sénat sur ces « psycho dérapeutes », en 2012.
« L’Unadfi fait exactement le même constat que la Miviludes, côté santé. Mais si le problème augmente, il n’est pas nouveau », rappelle Catherine Katz, sa présidente. « Et ce ne sont pas les seuls soins non conventionnels dangereux que nous rapportent les familles », s’inquiète-t-elle. « Il y a aussi le ‘respirianisme’qui prône de ne plus manger et boire pour se nourrir du souffle cosmique » ou « cette jeune femme souffrant d’une maladie héréditaire dont un médecin prétend ‘reprogrammer les gènes’avec des huiles essentielles, contre la douleur ».
Plus personnellement ? Catherine Katz a aussi vu souffrir et mourir une amie qu’un « praticien non conventionnel » avait soignée avec des plantes « pour un cancer du sein »… Et elle vient de répondre à une mère désespérée : « Le traitement médicamenteux de son fils bipolaire l’avait stabilisé, il menait une vie normale. Sa nouvelle amie le lui a fait arrêter pour des plantes. Il a fallu interner ce garçon en hôpital psychiatrique. »
« Là où un médecin diplômé ne fait aucune autre promesse que de soigner au mieux, les pseudo thérapeutes, eux, se servent de toute souffrance physique ou mentale pour promettre de tout guérir, sans diplôme. Et chaque mouvement sectaire reflète la déviance qui obsède le gourou, la gourelle », remarque- t-elle aussi.
Comme ce faux souvenir induit d’inceste, dans le cas d’Anne. « Cette femme a manipulé la mémoire de notre fille et détruit notre famille », concluent Cathy et Alain. Bilan, cinq victimes. Anne, ses frères et ses parents.
(1) Les prénoms ont été changés pour respecter la demande d’anonymat de cette famille.
SOURCE : https://www.ladepeche.fr/2025/04/13/derives-sectaires-elle-a-manipule