De belles promesses, peu de résultats!
Menacée de dissolution avant un rétropédalage gouvernemental, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) risque de manquer de moyens. La Ligue des droits de l’homme lance un signal d’alarme cosigné par dix associations et consulté en exclusivité par « Marianne ».
« Miviludes, le compte n’y est pas ! » Tel est le titre du communiqué lapidaire cosigné ce lundi 27 décembre par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et dix associations. Alors que plus de 500 000 personnes seraient, en France, sous l’emprise d’un mouvement sectaire ou d’un gourou, la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) risque la paralysie. « Sauf à obérer sa capacité d’action, les moyens humains et financiers directement affectés à la Miviludes sont très insuffisants pour corriger les sous-effectifs actuels, renforcer ses services et permettre un meilleur fonctionnement », alertent les signataires.
Tous ont gardé en tête les promesses de Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur, qui assurait en avril dernier vouloir « renforcer » la Miviludes. À l’époque, la Mission revenait de loin : amputée de près de la moitié de ses maigres effectifs (passés de 14 à 8), rattachée le 1er janvier 2020 à l’Intérieur plutôt qu’à Matignon, où ses prérogatives interministérielles lui conféraient une remarquable efficacité, privée de président pendant plus de deux ans, la Miviludes craignait aussi pour ses précieuses archives, dont la conservation posait question. Largement relayée par Marianne et dénoncée par le milieu associatif, la placardisation de la Mission avait été annulée.
Marlène Schiappa allait plus loin : « Je multiplie par dix les moyens de la Miviludes : ils sont maintenant d’un montant d’un million d’euros pour accompagner notamment les associations », jurait la ministre sur France Info en avril dernier, après la nomination de la magistrate Hanène Romdhane à la tête de la Mission, désormais intégrée au Comité interministériel de Prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Dans la foulée, Marlène Schiappa annonçait des renforts… qui se font attendre, à l’inverse du million promis, effectivement versé aux associations. Et ensuite ?
Pointant les budgets prévus par la loi de finances 2022, nombre d’acteurs de la lutte anti sectes déchantent : « L’extension et la diversification constatées des phénomènes sectaires méritent un effort public significatif, des moyens identifiés accrus tant en nombre de fonctionnaires affectés à plein temps sur ses missions, qu’en budget de fonctionnement pour permettre un travail efficace de terrain en lien avec tous les acteurs concernés et à l’écoute des victimes », s’inquiète la LDH dans le communiqué, qui conclut : « Parce qu’il est urgent de se mobiliser, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) demande au gouvernement de corriger sa copie et de donner plus de forces à la lutte contre les dérives sectaires. »
UN BUDGET DE FONCTIONNEMENT INSUFFISANT
De fait, la Miviludes devrait être renforcée par seulement deux agents en 2022 : « Les effectifs devraient se stabiliser autour de 10 agents », annonce ainsi le projet de loi de Finances 2022. Trop faible ? Un proche de la Mission ajoute : « Le budget de fonctionnement récurrent de la Miviludes de 85 000 euros annuels, déjà très faible, est resté inchangé ! Plus grave encore, il a été fondu cette année dans le budget global du CIPDR. Dès août, la part Miviludes sera déclarée épuisée pour l’année en cours ! »
Malik Salemkour, président de la LDH, rappelle que « la crise sanitaire et le contexte global qui peut être vécu comme anxiogène ou désespérant sont des terreaux fertiles au déploiement des mouvements sectaires. Ce n’est pas le moment pour l’État de relâcher l’effort, et la Miviludes est un outil essentiel. Or, après l’avoir retirée de la tutelle du Premier ministre pour la placer comme un service du Ministère de l’Intérieur, affaiblissant son caractère interministériel et son autorité, on constate maintenant que son budget et ses moyens pour 2022 ne sont pas à la hauteur des enjeux. » Aux yeux de Charline Delporte, présidente du Centre national d’accompagnement familial face à l’emprise sectaire (CAFFES) et cosignataire de l’appel de la Ligue des droits de l’Homme, « la Miviludes travaille dur, mais c’est compliqué. Ses membres doivent pouvoir traiter tous les dossiers qu’on leur fait remonter. À la veille des présidentielles, c’est l’avenir de la lutte anti sectes qui se joue. »
Interlocuteur privilégié de la Miviludes, Malik Salemkour constate que la faiblesse des moyens désormais alloués « met en péril sa capacité d’agir efficacement, d’instruire toutes les saisines et de mener sa mission d’investigation et d’enquête ». Pour Charline Delporte, « la Miviludes devrait être totalement indépendante, afin de ne pas être liée aux changements de majorité. On doit protéger et garder la Mission ! » Et le président de la LDH de reprendre : « L’État doit être intransigeant face aux menaces signalées et aux tentatives d’infiltration, dans l’Éducation nationale ou dans le sport, sous couvert de pratiques apaisantes ou de produits développés en fait par des groupes ésotériques aux ramifications sectaires. Il ne doit pas céder à ces intérêts douteux. »
Membre du conseil d’orientation de la Miviludes qu’il présida de 2008 à 2012, l’ancien magistrat et ex-député LR Georges Fenech nuance : « En début d’année, nous aurons un conseil d’orientation auquel participeront toutes les associations. Il y sera évidemment question du budget. Je constate que la Miviludes existe toujours. Et malgré les restrictions budgétaires, l’impulsion politique est là. » Contacté par Marianne, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite.
source :
https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/derives-sectaires-la-miviludes-en-peril-les-associations-denoncent-un-manque-de-moyens
Marianne Par Thomas Rabino
Publié le 27/12/2021