La raison nous permet-elle de critiquer les autorités politiques, médiatiques ou scientifiques, et de forger notre propre avis en toute indépendance ? Ou bien est-elle un outil que nous employons pour convaincre les autres d’adhérer à nos opinions les plus folles et justifier jusqu’à l’injustifiable ? Ce sont ces questions qui ont été au cœur du dialogue entre le sociologue Gérald Bronner et le chercheur en sciences cognitives Dan Sperber.
Voici deux phrases : « Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre ans devant elle » (attribuée à Albert Einstein) et « La disparition des abeilles au Maroc est due à la normalisation des relations avec Israël » (selon le prédicateur Abouzaid al-Mokrie al-Idrissi, interviewé sur Russia Today le 1er février 2022). Laquelle de ces deux affirmations vous paraît la plus fausse ?
Dan Sperber : La première ! La disparition des abeilles aurait sûrement des effets délétères, mais annoncer la fin de l’humanité dans quatre ans – pas trois, pas cinq ! – n’a aucun sens. Pour l’autre, on pourrait imaginer un scénario où la normalisation des relations entre le Maroc et Israël irait de pair avec de nouveaux accords commerciaux et l’importation massive au Maroc d’un désherbant nocif aux abeilles. Il existe donc un récit – bidon, mais pas inconcevable – où cette affirmation ne serait qu’un raccourci trompeur.
Gérald Bronner : Ces deux phrases sont fausses, mais celle d’Einstein est plus crédible. D’abord, parce qu’il y a un effet de médiateur de l’information – on attribue cette déclaration à Einstein, ce qui fait qu’on l’accueille avec indulgence. Ensuite, l’extinction des pollinisateurs naturels aurait des effets spectaculaires. Enfin, le prédicateur marocain commet une erreur de raisonnement courante : il établit des corrélations, puis les présente comme des causalités. Comme une vague de disparition des abeilles semble s’être produite en Égypte après une normalisation des relations avec Israël, et que c’est le cas aujourd’hui au Maroc, il explique la première par la seconde. Mais il ne propose aucun modèle aussi sophistiqué que celui de Dan. Pour lui il s’agit plutôt d’une punition divine !
Récemment, les éditions du Seuil ont publié un livre anonyme, le Manifeste conspirationniste, dont la thèse est que le « système » néolibéral a pris peur fin 2019 à cause d’une série de soulèvements – émeutes à Hongkong et à Santiago du Chili, « gilets jaunes » en France – et que la pandémie a été utilisée pour confiner et contrôler les populations… Bref, pour mener une « contre-révolution ». Qu’en pensez-vous ?
D. S. : C’est un texte assez brillant, genre dandy d’extrême gauche, qui me fait penser aux situationnistes et à d’autres camarades des années 1960. Les idées avancées sont extrêmes mais elles ne sont pas délirantes. Pour un texte qui se veut un manifeste, il est presque sans prise sur les problèmes du monde, même sur ceux qu’il évoque : on entend bien la mélodie, moins bien les paroles.
G. B. : Je n’ai pas de sympathie ni de cousinage intellectuel avec cette façon d’écrire. Je suis étonné qu’une maison comme le Seuil publie ce texte sans nom d’auteur. Ce qui m’inquiète, c’est qu’une petite musique s’installe dans l’espace public, qui laisse entendre que le conspirationnisme serait une lecture politique du monde défendable et que vouloir combattre le conspirationnisme témoignerait d’une forme de mépris de classe. À mon sens, le véritable mépris est de penser que les récits mythiques ou irrationnels sont réservés aux classes populaires. Sans avoir lu la totalité du Manifeste, les passages que j’ai parcourus se rapprochent par moments d’une tournure de raisonnement qu’on appelle le quid protest, selon laquelle « le criminel est celui à qui profite le crime ». Si les laboratoires pharmaceutiques se sont enrichis grâce aux vaccins anti-Covid et si les États en ont profité pour faire du contrôle des populations, ce serait la preuve que ce sont eux les responsables de la pandémie.
D. S. : Les auteurs ne soutiennent pas que l’épidémie a été fabriquée à dessein. Ils suggèrent que les puissants de ce monde y ont vu une aubaine pour renforcer le contrôle des populations avec leur consentement.
À votre avis, l’intelligence rend-elle réfractaire à l’autorité ?
G. B. : En tant que chercheur, je ne sais pas ce qu’est l’intelligence, et j’ai besoin d’une variable qui me permettrait de l’approcher. Il y a le QI, mais je ne connais pas de travaux de sociologie permettant de vous répondre. Si j’essaie d’isoler une variable sur laquelle il y a des publications, je citerai – au risque de choquer – le niveau d’études. Il ne dit pas grand-chose sur l’intelligence ou la rationalité, mais c’est une approximation acceptable, et, surtout, nous avons des données. Pour le conspirationnisme, nous savons que plus on a un niveau d’études important, moins on est susceptible d’y adhérer. Cependant, il y a des contre-exemples. Dans les années 1980, les sociologues Daniel Boy et Guy Michelat ont montré une corrélation positive entre niveau d’études et endossement de croyances comme l’astrologie, les pouvoirs paranormaux ou la psychokinèse. Plus près de nous, les données livrées par les 3 800 fiches des combattants étrangers de Daech révèlent qu’ils ont un niveau d’études supérieur à la moyenne de la population de leurs pays d’origine. À mon avis, il y a ici une variable cachée, et ce qui mène à la révolte est le décalage entre un niveau d’études élevé et un capital symbolique faible. C’est ce qu’on appelle la frustration relative : mon niveau d’études me donne l’impression d’avoir certains droits que le contexte social me refuse. Par exemple, si je viens de l’immigration, que j’ai des diplômes, mais que je ne suis pas reconnu pour ma compétence, je suis susceptible de basculer dans la radicalisation. Dans le cas des combattants étrangers de Daech, si leur niveau d’études était élevé, il y avait parmi eux un taux de chômage également plus élevé que la moyenne. Le croisement de ces deux variables accrédite l’explication par la frustration.
La confiance, même mesurée, même réfléchie, accordée aux experts pose de sérieux problèmes aussi bien épistémologiques que politiques”
D. S. : Je ne sais pas bien, non plus, ce qu’est l’intelligence. Mais je me placerais ici dans une perspective plus historique. Dans l’essor de la Modernité, la raison a été opposée à l’autorité. Pour prendre un exemple, dans son Discours de la méthode [1637], Descartes invoque la raison – que tous les humains partagent – comme la seule voie d’accès à la connaissance. Le recours à l’autorité, celle d’Aristote ou celle des théologiens, n’a donc plus aucune force probante. Cela dit, nous avons changé d’époque, et, aujourd’hui, de nombreuses institutions – scientifiques en particulier – prétendent détenir leur autorité de la place qu’elles donnent à la raison elle-même. Cette prétention est contestable – elle passe sous silence le rôle de rapports de pouvoir dans ces institutions –, mais elle n’est pas indéfendable. Qui plus est, les sciences se sont si bien développées qu’il est devenu rationnel de s’en remettre à l’autorité d’experts là où nous ne sommes pas compétents. Ainsi, dans le cas de la pandémie actuelle, le plus rationnel est de suivre l’avis de la majorité des épidémiologistes, même s’ils peuvent aussi se tromper : sans eux, nous nous tromperions bien plus gravement. Cela dit, cette confiance, même mesurée, même réfléchie, accordée aux experts pose de sérieux problèmes aussi bien épistémologiques que politiques.
“La quantité de connaissances n’a pas beaucoup changé avec le temps, tandis que la quantité d’informations scientifiques a explosé”
G. B. : Je suis assez d’accord. La sélection des idées ne se fait pas de la même manière dans un système autoritaire et en démocratie. Dans le cas du despotisme, les idées qui ont droit de cité sont régulées par des interdits et des inhibitions de concurrence. En outre, la quantité de connaissances qu’un être humain peut acquérir au cours d’une existence n’a pas beaucoup changé avec le temps, tandis que la quantité d’informations scientifiques a explosé. On est donc obligé de croire par délégation. J’ajouterai, en sociologue, que l’adhésion aux théories conspirationnistes suit une « courbe en J » : elle est forte à l’extrême droite, faible au centre et remonte un peu à l’extrême gauche. Les enquêtes d’opinion confirment cette répartition « en J » sur chaque nouveau thème qui surgit – la croyance en l’efficacité de l’hydroxychloroquine, par exemple. Il serait absurde d’en tirer la conclusion que les centristes sont plus rationnels. Mais il y a un ressort de frustration qui intervient là encore.
Dan Sperber, dans L’Énigme de la raison [coécrit avec Hugo Mercier], vous écrivez : « En règle générale, lorsque les êtres humains raisonnent, ils partent d’un biais ou d’une préférence intuitive pour une conclusion donnée et cherchent des raisons qui l’étayent par inférences rétrogrades. » Si cette affirmation est juste, cela signifie-t-il qu’un scientifique est ni plus ni moins rationnel qu’un conspirationniste ?
D. S. : Hugo Mercier et moi affirmons que ce qui a toujours été décrit de manière plutôt négative, la rationalisation a posteriori d’une opinion, loin d’être une exception ou une mauvaise méthode, est en réalité l’usage normal de la raison ! Selon la tradition « intellectualiste », qu’on trouve chez Descartes ou Kant, mais aussi aujourd’hui chez le psychologue Daniel Kahneman, le bon usage de la raison consisterait, à partir de connaissances établies, à raisonner conformément à des règles logiques et à aboutir ainsi à des conclusions justifiées. Nous soutenons au contraire que nos mécanismes cognitifs restent largement intuitifs. Nos idées n’en sont pas plus mauvaises pour autant. Dans L’Énigme de la raison, nous développons une conception « interactionniste » selon laquelle la raison remplit avant tout une fonction sociale. Nous, les humains, sommes des animaux sociaux. Nous interagissons les uns avec les autres et nous avons intérêt à nous accorder. Pour cela, nous devons souvent justifier nos conduites et nos croyances auprès des autres. Si nous voulons les influencer, nous devons aussi les convaincre. Dans bien des cas, notre autorité suffit : si je vous dis où je suis né, mon évidente compétence en la matière et, je l’espère, mon évidente bonne foi suffiront. Dans d’autres cas, j’ai une opinion dont je voudrais vous convaincre, par exemple que la conception interactionniste de la raison que Hugo et moi défendons est la bonne. Aucun espoir que vous soyez convaincu par ma seule autorité ! Il me reste une possibilité : trouver de bons arguments. La raison est donc le mécanisme mental qui me permet de concevoir des arguments pouvant vous convaincre de la justesse de notre théorie. Ce qui peut rendre les arguments plus convaincants qu’une simple affirmation, c’est que la raison sert non seulement à produire des arguments mais aussi à évaluer la force des arguments qu’on nous présente. Quand on produit des raisons, on rationalise a posteriori ses idées, on est en quelque sorte son propre avocat et, pour cela, on a bien sûr un biais d’autoconfirmation, mais toutes les raisons que l’on pourrait donner ne se valent pas. Il en faut d’assez fortes pour convaincre nos interlocuteurs. Or, quand on évalue les raisons que nous donnent les autres, on est capables de le faire de façon plus critique et objective. Les arguments sont produits de façon biaisée, mais ils s’adressent à des interlocuteurs qui ont intérêt à être plus objectifs.
Mais qu’en est-il du complotiste, est-il aussi rationnel que le scientifique ?
D. S. : Les complotistes tout comme les scientifiques tentent de trouver des arguments convaincants. La différence est que les complotistes ne peuvent trouver pour leurs thèses farfelues que des arguments indigents qui convaincront seulement ceux qui ne demandent qu’à l’être – et ils sont très minoritaires. Combien de gens sont-ils vraiment disposés à croire que les vaccins à ARN messager sont un moyen d’implanter des nanoparticules fluorescentes dans les gens pour mieux les contrôler ? Les scientifiques, eux, doivent convaincre des collègues compétents qui défendent des hypothèses concurrentes et qui ne seront convaincus que par des arguments probants !
Et vous, Gérald Bronner, êtes-vous convaincu par cette théorie interactionniste de la raison ?
G. B. : Je suis assez fasciné. J’ai d’ailleurs lu avec beaucoup d’attention L’Énigme de la raison. Cependant, je m’inscris plutôt dans la tradition intellectualiste et reste donc un peu circonspect. Ou plutôt, je me demande s’il n’est pas possible d’envisager une théorie qui associerait les deux approches, intellectualiste et interactionniste. En effet, la théorie interactionniste laisse certaines questions dans l’ombre. Et notamment celle-ci : qu’en est-il des dispositions analytiques du cerveau ? Je prends un exemple : quand vous faites passer un CRT [test de réflexion cognitive] à quelqu’un, c’est-à-dire quand vous lui soumettez des exercices qui l’obligent à se concentrer, on observe, durant le temps de l’expérience, que cette personne sera moins encline à approuver des énoncés loufoques. Les personnes qui ont de meilleurs résultats à ces tests partagent également moins d’infox. Cela signifie que la stimulation de la pensée analytique a une influence sur la manière dont les individus accueillent les arguments qu’on leur présente. Il y a une autre très belle expérience, dans laquelle on a soumis 200 énoncés (du type « la Lune émet de la lumière ») aux participants. Résultats : d’une part, ceux qui ont une formation scientifique sérieuse tombent moins souvent dans le panneau, ils repèrent mieux qu’un énoncé est faux, même quand il contredit nos intuitions ; d’autre part, les mêmes personnes mettent en moyenne davantage de temps à répondre. Cet allongement du délai indique donc qu’il y a une sollicitation de la pensée analytique. Comment la théorie interactionniste rend-elle compte de ces phénomènes ?
“Lorsqu’on raisonne de manière solitaire, le mieux qu’on puisse faire, c’est de mettre en scène en son for intérieur un usage social de la raison”
D. S. : C’est une question difficile ! Mon hypothèse est que ce que nous appelons le raisonnement prend, lorsque nous le pratiquons de façon solitaire, la forme d’un dialogue intérieur. On réintroduit dans l’affaire un autrui virtuel qui ressemble souvent à ceux qu’il nous faudra vraiment convaincre. Les scientifiques en témoignent : même s’ils passent une bonne partie de leur temps à réfléchir seuls, ils anticipent les objections que leur feront leurs collègues et cherchent les moyens d’affiner leurs arguments et leurs démonstrations. Autrement dit, lorsqu’on raisonne de manière solitaire, le mieux qu’on puisse faire, c’est de mettre en scène en son for intérieur un usage social de la raison.
G. B. : Je vais prendre un cas sur lequel j’ai travaillé : l’abandon de la croyance au Père Noël. Je n’ai pas eu la cruauté d’expliquer à des enfants que le Père Noël n’existait pas, mais j’ai mené 140 entretiens avec des adultes pour comprendre à quel moment ils avaient renoncé à cette croyance. C’est un cas intéressant, parce que cette histoire du Père Noël est un complot des adultes contre les enfants. De plus, les parents sont porteurs d’autorité pour les enfants. Eh bien, souvent les enfants cessent de croire au Père Noël, parce qu’ils ont été confrontés à une anomalie qui contredit la version officielle. Par exemple, le Père Noël porte les mêmes chaussures que leur grand-père. Ou bien ils sautent sur un lit et voient des paquets cadeaux posés sur une armoire deux jours avant Noël. Sur la base de ces observations, un certain nombre d’individus cessent de croire, alors que socialement tout les inciterait à continuer. Que penser de cet usage intime de la raison ?
D. S. : Il y a tout de même le fait que les enfants, après avoir été confrontés à de telles anomalies, vont en parler autour d’eux, notamment avec d’autres enfants plus âgés, et qu’à ce moment-là, ils vont être confortés dans l’idée que peut-être le Père Noël n’existe pas. C’est aussi cela, grandir : il y a un moment où l’on passe du groupe de ceux qui croient au Père Noël au groupe de ceux qui n’y croient pas.
Gérald Bronner, dans La Démocratie des crédules et Apocalypse cognitive, vous montrez que, sur le Web, les théories conspirationnistes et les infox ont tendance à se propager plus efficacement que les démonstrations scientifiques… Cela contredit-il l’optimisme de Dan Sperber, quand il affirme que les conspirationnistes sont beaucoup moins forts que les savants pour produire de bons arguments ?
G. B. : L’ère numérique nous confronte à des dangers et à des défis inédits. Nous venons d’assister à une dérégulation du marché de l’information. Aujourd’hui, tout le monde peut donner son point de vue de manière publique ou semi-publique. L’augmentation de la quantité d’informations disponibles est un fait historique majeur. Le problème, c’est que l’offre d’informations a tendance à s’indexer de plus en plus sur nos pulsions. Par exemple, les vidéos pornographiques sont les plus regardées partout dans le monde, même dans les pays religieux où elles sont interdites ! La conflictualité nous intéresse aussi beaucoup. Nous sommes des singes sociaux, et la vie collective s’apparente pour nous à une série de conflits et de coalitions. Par conséquent, les contenus critiques, injurieux, polémiques vont avoir tendance à hameçonner notre attention. Grâce à la lanceuse d’alerte Frances Haugen, nous savons que Facebook met en avant, avec un coefficient de 5, les contenus assortis de l’émoticône « colère » par rapport à ceux qui ont simplement récolté des Like. Ce qui prouve qu’il y a une éditorialisation de la conflictualité sur les réseaux sociaux. Enfin, sur ces mêmes réseaux, 1 % des utilisateurs représentent 35 % des échanges. L’influence de ces superusers n’est pas corrélée avec leur expertise, ni avec leur honnêteté intellectuelle. La majorité d’entre nous sommes un peu mous sur la plupart des sujets, et cela donne aux plus radicaux la possibilité de peser davantage dans le débat public, puisque, selon l’adage, la tyrannie consiste à profiter de l’apathie des gens de bien et de raison. Un cas d’école, les antivax : statistiquement, les véritables antivax représentent peu de monde, mais, sur les réseaux, ils ont eu une visibilité qui excédait de loin leur représentativité.
D. S. : Je voudrais ajouter deux remarques. La première est politique : pourquoi l’ensemble des réseaux sociaux ne serait-il pas un service public ? Pourquoi abandonne-t-on à des puissances privées telles que Google, Facebook ou Twitter le pouvoir de choisir l’information que les gens reçoivent sans l’avoir sollicitée ? Ce n’est pas une fatalité ! Seconde remarque : la quantité d’informations de qualité dont tout le monde dispose ne cesse de s’accroître. Prenez l’exemple de Wikipédia : elle ne contient pas plus d’erreurs que les encyclopédies classiques, tout en étant bien plus complète. Elle pratique l’autocorrection collective à grande échelle comme en témoignent les tentatives récentes de zemmouriens pour rendre plus séduisante l’entrée « Zemmour » – tentatives qui ont été détectées et bloquées.
“Si nous voulons éviter l’apocalypse cognitive, nous avons aujourd’hui besoin d’une ingénierie de l’intelligence collective”
G. B. : Oui, Wikipédia est l’exemple prototypique d’un bon usage de l’intelligence collective. Il y a néanmoins deux bémols. Les contributeurs ne sont pas égaux, un coefficient de crédibilité leur est associé. Dans le cas de Zemmour, il y a eu un problème, car un contributeur considéré par l’algorithme de Wikipédia comme hautement crédible a profité de sa légitimité pour faire du prosélytisme. Ensuite, l’information disponible sur Wikipédia est vraie, mais souvent conflictuelle. S’il y a quelque chose de négatif à raconter sur vous, vos ennemis iront l’inscrire sur votre page. Et vous ne pourrez pas le retirer, puisque c’est vrai. C’est une limite. La conclusion plus générale que j’en tire est que, si nous voulons que les bons arguments triomphent des mauvais, donc si nous voulons éviter l’apocalypse cognitive, nous avons aujourd’hui besoin d’une ingénierie de l’intelligence collective. Il va falloir repenser nos algorithmes et imaginer de nouvelles régulations de l’information, si l’on ne veut pas précipiter des foules entières dans des visions du monde obscurantistes et irrationnelles !
source :
Dossier / “Penser, c’est dire non ?”
Philosophie Magazine
Dan Sperber, Gérald Bronner, propos recueillis par publié le 02 juin 2022
https://www.philomag.com/articles/dan-sperber-gerald-bronner-lesprit-critique-rend-il-complotiste