C’est souvent notre confiance envers la « bonne foi » d’autrui qui nous pousse à croire certaines affirmations, même lorsque celles-ci viennent directement des scientifiques.
En regardant une vidéo mettant en scène Jean-Jacques Crèvecœur, conspirationniste belge établi au Québec, j’ai bien rigolé, surtout quand il s’attarde à la grave question de savoir si les gens passés dans la cinquième dimension aperçoivent encore ceux qui stagnent dans la troisième. Entre autres idées étonnantes, il semble aussi vraiment penser que les vaccins contre la COVID-19 contiennent une puce visant à assurer le contrôle de l’humanité.
Tout cela fait un peu agité du bocal, non ? La question des dimensions, qu’on ne peut ni confirmer ni infirmer, m’apparaît du même ordre que la proposition du philosophe Bertrand Russell selon laquelle on ne peut démontrer qu’une théière ne tourne pas en orbite autour du Soleil, entre Mars et la Terre — dans ce cas, une analogie avec l’existence de Dieu, dont on ne peut prouver l’inexistence. Qu’ils ne puissent être réfutés ne rend toutefois pas ces énoncés plus vraisemblables ou scientifiques, au contraire.
Ce vaste domaine de la croyance, un univers étrange possédant ses propres règles, ne cesse de me fasciner. Surtout que la pandémie a donné lieu non seulement à une pluie d’affirmations loufoques, mais aussi — c’est bien plus sérieux — à un affrontement intense entre les « tenants » de la science et ceux d’une autre sorte de patin de fantaisie mental.
Lorsque Crèvecœur lance de telles absurdités, c’est sans doute qu’il y « croit », un verbe dont je ne finirai jamais non plus d’admirer la profondeur. Or, j’ai tendance à penser que ces croyances sont plus près de notre réalité quotidienne qu’on veut parfois se l’avouer, « croire » étant une faculté qui se retrouve au cœur de nos processus mentaux. Heureusement, parce que de croire plutôt que de tout analyser est diablement efficace pour développer rapidement une compréhension du monde et en faire part intelligiblement aux autres.
Nous prêtons ainsi « foi » (un autre mot porté par une fascinante, longue et souvent trouble histoire) à moult phénomènes qu’on nous rapporte, enseigne, apprend ou que l’on constate par soi-même.
Mais « croyons-nous » aussi aux faits scientifiques auxquels nous adhérons, au lieu de les déduire ? Je pense bien que oui, parce qu’à moins d’être des spécialistes d’une question donnée, nous acceptons la majorité de ces faits tels qu’ils nous sont communiqués par diverses autorités dans lesquelles nous plaçons notre confiance.
Vous en doutez ? Prenons le fait évident que la Lune tourne autour de la Terre. Si je comprends assez bien (en amateur de physique) le système planétaire, les lois de la gravitation et même certaines des étapes scientifiques ayant conduit à formuler ces hypothèses puis à les valider par diverses expériences, c’est d’abord parce que j’ai eu « foi » dans les experts qui me les ont expliqués. C’est ainsi que je « sais » — que je crois savoir — que la Lune tourne autour de la Terre. Mais je ne l’ai pas déduit moi-même.
Or, si j’examine avec humilité les connaissances variées qui m’habitent, j’en conclus qu’elles ressemblent davantage à ce genre de conviction ou à un effet de confiance dans l’expertise d’autrui qu’à un processus analytique menant de l’hypothèse à sa validation. Même dans les domaines où j’arrive assez bien à évaluer leur source par la lecture des études scientifiques qui les nourrissent, en médecine d’urgence par exemple, c’est tout de même un « acte de foi » envers la « bonne foi » des chercheurs qui me pousse à les accepter comme vraies. C’est donc aussi le cas pour la vaste majorité de mes savoirs, dont de larges pans, sinon la presque totalité, constituent en réalité des croyances.
Quant à la multitude de croyances qualifiées — avec raison — d’irrationnelles, comme ces puces dans les vaccins ou le grave problème de la cinquième dimension, il faut admettre qu’elles ne sont pas moins absurdes que celles qui ont amplement occupé l’humanité depuis la nuit des temps, et encore aujourd’hui. Je parle, bien sûr, de ces « savoirs » transmis par les religions (auxquelles, personnellement, je prête assez peu « foi »), qui ont contribué à façonner notre compréhension du monde.
Alors pourquoi réagir avec autant d’amusement aux propos de ce gourou ? Peut-être seulement parce que ses croyances n’ont pas été promulguées par de riches organisations intimement liées au pouvoir, qu’elles n’ont point reçu l’appui de millions d’êtres humains et qu’elles ne se sont jamais constituées en système de pensée dominant ? Bref, tout ce qui a convaincu l’humanité au fil des siècles, mais n’a rien non plus, croyez-moi, de bien factuel.
source :
Santé et Science
Chronique de Alain Vadeboncoeur
Alain Vadeboncoeur
4 août 2021
https://lactualite.com/sante-et-science/croire-aux-faits-scientifiques/