Sans totalement tourner le dos à cette demande, Nicole Belloubet a toutefois incité à la prudence. Les magistrats, eux, y sont farouchement opposés.
Nicole Belloubet, lors d’une séance à l’Assemblée nationale. / Bertrand Guay/AFP
Qui demande la fin de la prescription ?
Les victimes de crimes sexuels sont chaque année plus nombreuses à réclamer de pouvoir déposer plainte à tout moment de leur vie. Aujourd’hui, elles le peuvent jusqu’à vingt ans après leur majorité – soit jusqu’à leurs 38 ans. Un délai jugé trop court par les intéressés, mais aussi par un nombre croissant de praticiens. Ces derniers font valoir la nature spécifique de telles violences, ces dernières s’accompagnant souvent d’une « amnésie traumatique » qui empêche les victimes de dénoncer ces violences.
Elles n’en recouvrent souvent le souvenir qu’en devenant parents ou lorsque leurs enfants atteignent l’âge qu’elles avaient lors de l’agression. Ainsi, on ne compte plus les pétitions réclamant l’allongement des délais de prescription.
Au printemps, l’animatrice Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, chargés d’une mission de consensus sur la question, ont préconisé de passer la prescription de vingt à trente ans. Et des voix s’élèvent pour réclamer sa disparition pure et simple.
Quelle est la position du gouvernement ?
L’exécutif joue la prudence. La secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a annoncé, dans La Croix datée de lundi 16 octobre, lancer une large concertation sur le sujet, se déclare personnellement favorable à l’allongement à 30 ans, « une position équilibrée » selon elle. Elle précise néanmoins : « S’il ressort des débats que l’imprescriptibilité peut avoir un intérêt, alors nous l’étudierons. »
Même discours du côté de la garde des Sceaux. « Je comprends le besoin de l’imprescriptibilité, précise Nicole Belloubet. Je dis qu’il n’y a aucune réflexion interdite sur le sujet. » Pour autant, « cette demande suppose une révision de la Constitution », a-t-elle ajouté lundi 16 octobre, incitant à la prudence. La concertation lancée ce jour-là devrait aboutir dans les six mois et les arbitrages de l’exécutif seront connus dans la foulée.
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Pourquoi cette réforme fait-elle débat ?
L’allongement de la prescription est accueilli fraîchement par les juges qui rappellent qu’en matière de crime sexuel, le droit en vigueur est déjà largement dérogatoire. Ils pointent par ailleurs du doigt les risques d’une telle réforme. Et l’immense désillusion – pour les victimes – qui l’accompagnera.
« Des décennies après les faits, quelles preuves pourrons-nous collecter pour poursuivre l’auteur présumé ? » interroge Katia Dubreuil, du Syndicat de la magistrature. « Si ces dossiers doivent, pour nombre d’entre eux, se conclure par un non-lieu, vous imaginez la frustration pour les victimes… » Autre écueil : à rendre aussi tardivement la justice, on risque rien moins que l’erreur judiciaire.
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Les juges se disent, par ailleurs, très attachés au principe du droit à l’oubli. Il reste impératif, selon eux, d’accorder une sorte de « pardon légal » à l’auteur des faits, ce dernier ayant pu changer et s’amender au fil des ans. Un argument devenu toutefois inaudible pour les parties civiles et pour une partie croissante de l’opinion.
Dans ce contexte, plusieurs acteurs du monde judiciaire préconisent le développement de la « justice restaurative », un dispositif très développé au Canada mais encore balbutiant sous nos latitudes, qui permet aux auteurs et aux victimes de se rencontrer dans une procédure de médiation et d’échanges très encadrés, mais en dehors du strict cadre judiciaire.