Dans sa BD » J’ai vu les soucoupes« , parue aux éditions La Boîte à Bulles, Sandrine Kérion décrit sa plongée dans les délires des objets volants non identifiés : les ovnis. Adolescente en perte de repères dans les années 1990, baignant dans l’ésotérisme et le complotisme, la Bretonne raconte comment elle s’est enfermée dans ses croyances des objets volants non identifiés avant de s’en extirper grâce à la science. Entretien.
Adolescente, la Bretonne Sandrine Kérion y a cru dur comme fer aux ovnis, ces objets volants non identifiés. Convaincue d’avoir vu des soucoupes et même d’être en lien direct avec les extraterrestres, elle se laisse entraîner dans les délires des ufologues les plus fantaisistes.
Dans J’ai vu les soucoupes, BD parue aux éditions La boîte à Bulles, l’autrice et dessinatrice se livre sur ces années d’errance psychologique et sociale, baignée de complotisme fumeux et d’ésotérisme malsain dont elle a pu s’extraire grâce à la science.
Un témoignage édifiant sur les mécanismes qui font passer du doute légitime à la croyance aveugle. Bien documenté, l’ouvrage au style agréable donne aussi la température d’une époque – les années 1990 – où gourous et charlatans se répandaient dans les médias.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de croire aux extraterrestres et autres soucoupes volantes ?
Lorsque j’étais adolescente, je me suis raccrochée à ce que j’appelle « la branche pourrie de l’ufologie » [N.D.L.R. étude des ovnis et des phénomènes associés]. C’est-à-dire toute la partie un peu délirante, mais la plus présente médiatiquement, qui s’est développée en parallèle d’une ufologie plus sérieuse, rationnelle et documentée.
En ce qui me concerne, je me suis en quelque sorte « auto-endoctrinée ». Quand on a besoin de croire à quelque chose, le côté mystérieux des ovnis est attractif, même si dans la majorité des cas, c’est parfaitement explicable scientifiquement. J’ai été aussi marquée par le contexte de l’époque.
Qu’entendez-vous par le contexte de l’époque ?
Dans les années 1990, les extraterrestres étaient un sujet d’actualité. En 1989 et 1990, cela a commencé par une vague d’observations d’ovnis. Il y avait aussi la série X-Files, qui a commencé à être diffusée en 1994 en France. Globalement, tout cela a accentué l’engouement autour de ces thématiques.
Vous expliquez avoir cru voir des soucoupes en sortant de chez vous. Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Je ne sais pas si j’ai réellement vu quelque chose ce jour-là. Mais ce que je me dis aujourd’hui, c’est que j’ai interprété un phénomène dans un sens qui m’arrangeait car j’avais besoin de croire qu’il pouvait m’arriver une situation hors du commun.
C’était un besoin de me sentir spéciale, au-dessus du lot. Une aspiration très humaine de ne pas vouloir être noyée dans la masse. Mais c’est un élément que l’on retrouve dans beaucoup de théories du complot : le fait de croire que l’on détient une vérité que les autres refusent d’admettre. On se sent élu. J’étais vraiment dans cette configuration. Et c’est très difficile de lutter contre ce discours sans discréditer ce côté « spécial ».
Quel rôle peuvent jouer l’ésotérisme, les théories new age dans cette dérive ?
Toutes ces théories, ces thématiques, sont liées en quelque sorte entre elles. S’alimentant mutuellement dans une espèce de continuité historique qui s’imbrique en apparence. J’ai essayé de comprendre la source de tout ça.
Reptiliens, illuminatis… Comment les théories du complot et les croyances extraterrestres se nourrissent l’une de l’autre ?
L’idée, pour schématiser, ce serait qu’un groupe réduit de personnes comploterait pour asseoir leur domination sur le monde.
C’est aussi pour cela que, dans la BD, on a mis en perspective le récit avec les Qanon et autres théories complotistes actuelles, qui partagent cette vision, alimentée par la corruption, les scandales politiques… Elles puisent dans la défiance vis-à-vis des politiques et des élites. Ça ne découle pas de nulle part.
L’ouverture récente de certaines archives américaines concernant des observations inexpliquées, cela vous semble une bonne chose ?
Je n’ai pas consulté ces documents mais la transparence est toujours bonne. Car le sentiment que l’on nous cache des choses alimente le complotisme.
Dans votre ouvrage, vous dites que la science vous a « ramené à la raison ». Comment vous en êtes-vous sortie ?
C’est un processus sur plusieurs années. Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant : « C’est complètement grotesque ». Pour assouvir ma curiosité, je me suis mise à lire des ouvrages d’astronomie, des livres d’histoire… À un moment, on commence à douter en se disant que ce à quoi l’on croit est un peu gros. On révise petit à petit son jugement face à des preuves scientifiques solides. Ce qui m’a amenée à aiguiser mon esprit critique de manière plus rationnelle.
Certains « spécialistes » autoproclamés se réclament pourtant de la vraie science. Comment faire le tri quand on n’est pas spécialiste ?
C’est effectivement compliqué de faire la part des choses face à un charlatan. Plus on avance, plus on se tourne vers les personnes ou les lectures qui vont confirmer nos croyances. On est dans un mode de pensée endoctriné, avec des éléments de langage très identifiables.
En ce qui me concerne, ça allait jusqu’au révisionnisme. On peut aller très loin en tombant petit à petit du côté obscur. Jusqu’à atteindre un point de non-retour. On a alors des difficultés à prendre du recul sur ses propres croyances.
Quels conseils donneriez-vous pour en sortir ?
Si j’avais la recette… C’est très difficile d’atteindre quelqu’un qui va aussi loin dans une théorie du complot. Plus on essaie de convaincre, plus la personne va se braquer. Ce qui est compliqué, c’est que l’on se met dans une configuration mentale où il est quasiment impossible de nous atteindre.
On se considère comme un esprit libre alors que notre raisonnement tourne en rond et qu’il est difficile de s’en extraire. La seule chose à faire, c’est la faire douter. Lui faire comprendre que c’est bien d’avoir un esprit critique vis-à-vis du discours officiel, de la classe politique…
Mais il faut aussi l’appliquer sur les théories complotistes. C’est ce que j’ai réussi à comprendre et qui m’a permis d’en sortir. Et prendre du recul. Car on en sort plus libre.
Pourquoi témoigner aujourd’hui ?
Dans le contexte actuel, ça me semble essentiel. Il s’agit de toucher les personnes dans le même cas, même si ce n’est pas simple. On peut tous être amenés à tomber dans ce type de raisonnement pour un tas de raisons. Et ce n’est pas que l’on est plus bête que les autres. Je me suis replongée dans mes lectures loufoques de l’époque.
Pour comprendre comment elles avaient pu m’influencer. J’ai pris conscience de l’énormité de ce qui était écrit. Replonger dans tout ça, c’est une introspection pour comprendre cette période de ma vie.
Pour cette BD, je me suis aussi beaucoup documenté sur l’époque, en tentant de conserver un récit assez fluide pour rester accessible à tous. Ce livre est un appel à utiliser son esprit critique à bon escient.
J’ai vu les soucoupes, de Sandrine Kérion, La boîte à Bulles, 128 pages, 19 €.
source :
Ouest-France
Propos recueillis par Nicolas BLANDIN
Mercredi 7 juillet 2021