La Colonia Dignidad, une colonie sectaire installée dans le sud du Chili par des expatriés allemands au début des années 1960, a souvent fait la Une de l’actualité. La chaîne Arte a diffusé ces mardi 10 et mercredi 11 mars une saisissante enquête en quatre volets sur cette secte. Elle raconte et démonte les mécanismes de l’enfer dans lequel ont vécu trente-six ans durant les « colons » et interroge la passivité ou complicité des pouvoirs politiques tant au Chili qu’en Allemagne.

« Je n’ai plus jamais réussi à écouter la Petite musique de nuit de Mozart ». Adriana raconte sa détention dans une prison secrète dans la Colonia Dignidad sous la dictature d’Augusto Pinochet. Au nom de la lutte contre le communisme, le chef de cette secte allemande donne un coup de main aux tortionnaires. Chaque prisonnier a sa petite musique et lorsqu’il l’entend, c’est le signe qu’il va être appelé pour un interrogatoire, une séance de torture. Les cris étaient « terrifiants » raconte Georg, 12 ans à l’époque, qui dormait dans un lit de camp au dessus d’une de ces chambres de torture. « Je me disais, ça y est, il est mort… »

Complice de la dictature militaire

Les séquences musicales sont nombreuses dans le documentaire, car Paul Schäfer, le chef de la colonie, prédicateur autoproclamé et gourou de la secte, aime beaucoup la musique. Chaque colon doit savoir jouer d’au moins un instrument de musique. La musique adoucit les mœurs, c’est bien connu, d’ailleurs Augusto Pinochet, en visite dans la colonie en 1974, essuiera quelques larmes en entendant les chants en espagnol appris en son honneur par les petits colons, raconte Esther qui a vécu 43 ans dans la colonie et était alors adolescente. Manuel Contreras, le chef de la police secrète, la Dina, était lui un visiteur régulier. On le surnommait Mamo, et Edeltraud se souvient avoir été sa cuisinière attitrée. Roberto Thieme, du groupe fasciste Patria y Libertad – qui fut aussi le conjoint de la fille aînée d’Augusto Pinochet – , et des officiers supérieurs viennent aussi rendre visite à Paul Schäfer pour organiser la résistance au gouvernement de Salvador Allende.

Esther, Georg, Willi et Edeltraud, Anna, Robert, Jürgen, Günter et Erika… Le documentaire en quatre volets chronologiques est construit sur leurs témoignages. Des récits face caméra, souvent glaçants par leur distanciation. Une caméra et des mots pudiques au regard des terribles faits racontés. Parfois cependant l’émotion affleure comme lorsque Willi et Edeltraud évoquent les enfants qui leur ont été enlevés ou les corps des suppliciés de la dictature brûlés au napalm. Quelque trois cents Chiliens ont été emprisonnés et torturés dans la Colonia Dignidad et les proches des disparus viennent toujours demander justice sur les terres de ce qui fut la propriété, maintenant un centre de loisirs.

Enfances volées, enfants violés

Outre les récits des témoins de l’époque devenus des adultes, le film utilise aussi des images d’archives issues de la colonie elle-même. On y filme beaucoup et Paul Schäfer se servira au besoin pour sa propagande de ces chromos idylliques mettant en scène ces magnifiques enfants blonds, ces choeurs et danses folkloriques ou encore ces scènes de travaux des champs dignes d’un tableau de Millet pour illustrer sa « terre promise ».

Des images qui servent aussi à manipuler l’opinion publique chilienne et internationale comme la mise en scène du départ du petit Angel de la secte. Ayant appris que les enfants étaient abusés sexuellement par Paul Schäfer, la mère du petit garçon chilien est venue le chercher. La scène des adieux, destinée à prouver que les enfants sont rois à Colonia Dignidad, est une monstruosité de manipulation. Des larmes, des accolades et des chants, comme il se doit. Ce sont les témoignages des enfants chiliens accueillis dans la colonie qui permettront à la justice d’avancer ses pions. Les auteurs du documentaire ont interrogé deux des victimes. Lorsque les colons allemands entendent parler d’abus sexuel, ils ne savent pas eux de quoi il s’agit… Plus de 200 jeunes garçons, allemands et chiliens, ont été abusés sexuellement par Paul Schäfer.

La terre promise

L’histoire de la colonie commence sur les ruines de l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Déboussolé, le pays est alors en quête de repères et Paul Schäfer, ex-brancardier dans l’armée allemande et ex-militant des jeunesses hitlériennes, mais surtout prédicateur autoproclamé et charismatique, fédère autour de lui une communauté de fidèles, notamment des jeunes. « Quand il parlait, on entendait les mouches voler », raconte l’une de ses fidèles. Paul Schäfer déclare que Jésus l’a chargé de fonder une communauté chrétienne dans laquelle les gens partageront tout. Les enfants et adolescents – l’Allemagne compte de nombreux orphelins de guerre – sont particulièrement ciblés par le prédicateur. Les petits garçons sont déjà « invités » à partager la couche du gourou. Poursuivi par des parents pour agression sexuelle pour mineurs, Paul Schäfer quitte l’Allemagne et cherche une terre d’accueil pour sa communauté. Ce sera le Chili…

Pendant trente-six ans, les colons allemands travaillent sans relâche, défrichent, bâtissent. « Travailler, c’est servir Dieu », assure Paul Schäfer qui asservi les fidèles, interdit les contacts entre hommes et femmes, les fêtes, les jeux et jouets, sépare les parents de leurs enfants. Le colon – enfants compris – n’existe que par sa force de travail. Une déshumanisation organisée, favorisée par l’isolement de la communauté, dont les femmes et les enfants sont particulièrement victimes. « Il a enfin ce qu’il veut, un lieu où personne ne peut fourrer son nez dans ses affaires », dit le commentaire off. Quelques colons cependant parviendront à s’échapper comme Wolfgang Kneese qui consacrera sa vie à témoigner sur les crimes de Paul Schäfer.

Des protections troubles

Les témoignages et images d’archives sont contextualisés par le commentaire qui ouvre le champ et éclaire sur les relations entre la colonie au Chili et son siège en Allemagne, entre Paul Schäfer et les responsables politiques chiliens et allemands. Des relations souvent troubles et ambigües. On sait que la colonie – un empire économique à son apogée – fabriquait des armes et participait à des trafics. Là fut fabriqué par exemple du gaz sarin que Pinochet comptait utiliser en cas de conflit armé avec l’Argentine.

Paul Schäfer sera finalement arrêté en 2005, puis jugé pour les crimes commis sur les colons et les enfants (abus sexuels, tortures, travaux forcés, etc.). Pas pour les crimes sur les opposants politiques. Il sera protégé jusqu’à son décès en 2010 par l’appareil militaire et judiciaire au Chili. Quelques membres de sa garde rapprochée sont également jugés et condamnés. Ce n’est qu’en 2016 que le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier reconnaît la responsabilité morale de l’Allemagne. « La Colonia Dignidad n’est pas un chapitre glorieux de l’histoire du ministère des Affaires étrangères », déclare-t-il. En 2019, le Bundestag, le Parlement allemand, décide le versement de 10 000 euros pour chaque victime allemande, mais le bras droit de Paul Schäfer, Hartmut Hopp, ne sera pas condamné, faute de « preuves suffisantes ».

 

Les petites victimes chiliennes, qui sont maintenant de jeunes adultes, n’ont toujours pas été indemnisées. Et bien des crimes commis dans le huis clos de la colonie n’ont jamais été éclaircis… Une histoire à suivre donc.

► Colonia Dignidad: une secte allemande au Chili, un documentaire en 4 volets de Annette Baumeister et Wilfried Huismann (2019, co-production Looksfilm, Surreal Films, WDR, SWR en association avec ARTE, Canal 13)

http://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200310-doc-colonia-dignidad-chili-voyage-bout-horreur-arte

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le : 10/03/2020