Dans le prieuré de Saint-Michel de Grandmont, dans le sud de la France, le chef de secte belge Edgard Doulière vivait avec ses centaines de disciples. Chaque femme qui le rejoignait devait donner naissance à son enfant, car il voulait créer une nouvelle race supérieure avec sa « super semence ». Les bébés ont disparu après leur naissance.
Pendant quarante ans, Edgard Doulière a attiré des centaines de femmes dans sa secte et a mis la plupart d’entre elles enceintes. Le gourou a ensuite laissé les bébés disparaître dans un obscur circuit d’adoption. Edgard Doulière était un “criminel spirituel”, qui a aussi la mort de la fille de l’écrivain Georges Simenon sur la conscience. “Les femmes ne pouvaient plus savoir qui était le père de leur enfant.”
Edgard Doulière n’était pas un gourou typique. Il n’avait pas l’allure hollywoodienne de Jim Jones du Peoples Temple, le regard pénétrant de Bhagwan (Osho) ou la fougue de Charles Manson. Doulière était un homme chauve et peu séduisant, avec une moustache négligée et un bras gauche paralysé. Mais lorsqu’il prenait la parole, les femmes de sa secte le regardaient comme une rockstar. Grâce à son charisme, elles faisaient tout pour lui.
“À la pleine lune, j’étais convoquée chez lui”, raconte Linda de Maaseik. “Pour une rencontre mystique, j’ai dû revêtir une grande robe, puis on m’a conduit dans la pièce avec une bougie dans les mains. Edgard Doulière était allongé, nu, sur un matelas posé à même le sol. Il n’a rien fait, il n’a rien dit, il est resté allongé là. La rencontre mystique s’est révélée être un rendez-vous sexuel arrangé. On m’a soulevée et mise sur Edgard, et j’ai dû faire mon affaire. Il n’y a pas eu de discussion, pas de baiser – ça n’a pas pris longtemps. Quand il a eu fini, j’ai récupéré ma bougie, et j’ai pu repartir.”
Dans les années 1980, Linda était l’une des centaines de disciples de Doulière, un éleveur de chèvres et psychothérapeute autoproclamé d’Uccle, qui a dirigé une secte entre 1960 et 2006 – d’abord en France, puis en Belgique. Ce qui s’est passé dans cette secte est resté un secret bien gardé pendant plus de quarante ans. Jusqu’à aujourd’hui. Le producteur de télévision Eric Goens s’est entretenu avec des proches et des adeptes du gourou belge. Le documentaire qu’il a réalisé pour Streamz – “De 42 kinderen van de goeroe (Les 42 enfants du gourou, ndlr)” – montre comment le mouvement spirituel hippie était en réalité une couverture pour un sombre réseau de trafic d’enfants.
Sous couvert de mysticisme et de spiritualité, le chef de la secte belge s’est présenté comme une sorte de gourou du sexe. “Il a conçu les rituels les plus hideux dans lesquels la position de la lune et des étoiles déterminait quel était le sort de la femme cette nuit-là”, explique Goens. “Elle devait ensuite avoir des relations sexuelles avec lui, d’une manière presque absurde. Car contrairement à d’autres chefs de secte, Doulière n’organisait pas de fêtes sexuelles sauvages qui duraient des heures. Il ne pouvait pas faire ça, à cause de sa paralysie, il était tout sauf une bête de sexe. Tout s’est donc passé comme le décrit Linda: les femmes devaient faire le travail, et Doulière ‘donnait’ – aussi souvent que nécessaire, jusqu’à ce qu’elles soient toutes enceintes. Dans sa tête, c’était le moyen idéal de créer un übermensch (surhomme, ndlr).”
Edgard Doulière voulait créer une nouvelle race humaine supérieure avec ses gènes « supérieurs ». Les bébés étaient ensuite enlevés à leurs mères. Certains ont été « donnés » à d’autres membres de la secte, mais la plupart se sont volatilisés dans un réseau d’adoption clandestin
Tel était l’objectif déclaré du gourou: créer une nouvelle race supérieure de personnes dotées de ses gènes “supérieurs”. Mais les enfants qu’il a engendrés avec ses adeptes ont été enlevés à leurs mères. Certains nouveau-nés ont ensuite été “donnés” à d’autres membres de la secte, mais la plupart se sont volatilisés dans un réseau d’adoption clandestin. Doulière déclarait à ses disciples qu’il envoyait ces enfants dans le monde comme une sorte d’Adam et Eve de la nouvelle “race supérieure”.
À la même époque, des réseaux d’adoption illégaux étaient actifs en Amérique du Sud et en Asie, payant entre 7.000 et 15.000 euros pour des bébés volés à leur mère après leur naissance. Seulement, rien ne prouve que Doulière ait reçu de l’argent pour les enfants qu’il “distribuait”. Ce qui est certain, c’est qu’il a fait payer à de nombreux adeptes des sommes élevées pour les soi-disant séances thérapeutiques qu’il donnait. Un ancien membre de la secte, sous couvert d’anonymat, raconte dans le documentaire qu’il a dû lui payer 9.000 euros, ce qui représentait à l’époque un salaire annuel.
Edgard Doulière, le cerveau et le gourou de la secte, est né en 1931 à Uccle. Il était le fils de fabricants de verre aisés qui l’ont élevé dans une stricte tradition catholique. Adolescent, il est frappé par la polio et sort un jour de son lit avec un bras paralysé. C’est un handicap qui l’affectera toute sa vie, mais il ne se sent pas inférieur, au contraire. Fermement convaincu de sa supériorité sur le “commun des mortels”, Doulière compense ses défauts physiques par une intelligence supérieure et un charme surdimensionné. C’est ainsi qu’il a également conquis Micheline, sa première épouse, qui lui a donné trois enfants. Avec eux, Doulière s’est installé en France en 1960 – il avait alors 29 ans – où il est devenu pasteur dans un petit village de l’Ardèche. C’est là que son plan macabre a pris forme.
Des centaines de personnes ont été charmées par « l’évangile spirituel » prêché par Edgard Doulière. C’était un mélange de vérités et d’absurdités que le Bruxellois avait empruntées à diverses sagesses et dont il avait fait son propre cocktail
Doulière a convaincu sa famille de vivre comme le prescrit la Bible: dépouillée de tous biens matériels et entourée par la nature. Dans une ferme abandonnée, il a rassemblé autour de lui un troupeau de chèvres et un groupe d’adeptes. Il les séduit lors de conférences sur l’amour courtois, qu’il donne en France et en Flandre. Des centaines de personnes sont tombées dans le panneau et ont été charmées par l’”évangile spirituel” prêché par Doulière. Un mélange de propos fondés mais surtout non fondés, que le Bruxellois avait empruntés à diverses sagesses et dont il avait fait son propre cocktail. Il se faisait appeler “professeur” et se disait psychothérapeute, bien qu’il n’ait jamais obtenu de diplôme.
“Le pouvoir de cet homme devait être énorme”, déclare Eric Goens. “Il n’a pas seulement réussi à convaincre des centaines de personnes de venir dans sa secte, il a aussi obtenu que beaucoup de femmes fassent leur premier enfant avec lui, et lui donnent ce premier né. La question est de savoir s’il était réellement convaincu de créer une race supérieure, ou s’il était simplement – comme beaucoup de gourous – mû par l’argent et la convoitise. Je crains que ce ne soit une combinaison des deux, et qu’il ait aussi apprécié le pouvoir qu’il avait. Je ne peux pas imaginer que dans une vie normale, Doulière puisse entrer dans un bar à Bruxelles et séduire une fille de 20 ans. Mais lorsque cette même fille entrait dans sa secte, il savait: ‘Malgré mon apparence difforme, elle sera bientôt à moi’.”
Doulière avait imaginé une sorte de gangbang dans lequel une femme devait être fécondée par douze hommes masqués à la fois, et il était le douzième et dernier de la file. De cette façon, les femmes n’avaient aucun moyen de savoir qui était le père de leur enfant
Les jeux sexuels de Doulière ont poussé sa femme Micheline à le quitter en 1968, dévastée. Son départ n’a fait que pousser Doulière à aller plus loin. Il se remarie avec Anne-Marie et la couronne comme nouvelle reine de la secte. Doulière lui-même devient le roi: il se fait appeler le Melek, roi en hébreu. Le centre névralgique de sa secte se déplace dans un château près de Montpellier, où des centaines de nouveaux adeptes se joignent au fil des ans et où il développe une nouvelle méthode pour féconder les femmes de sa secte: les orgies.
“Il avait imaginé une sorte de gangbang dans lequel une femme devait être fécondée par douze hommes masqués à la fois, et Doulière était la douzième et dernier de la file”, raconte Eric Goens. “De cette façon, les femmes n’avaient aucun moyen de savoir qui était le père de leur enfant. Doulière avait également créé tout un rituel autour de ces orgies et prétendait se baser sur des textes de l’Ancien Testament – alors que beaucoup de ces textes n’existent pas. En créant une atmosphère mystique, tout cela sonnait très bien pour ses adeptes – des gens en quête de sens – et tout le monde s’y est rallié.”
Parmi les adeptes de Doulière, on trouve aussi bien des âmes vulnérables qui voient un sauveur dans le gourou “psychothérapeutique”, que des personnes instruites de la noblesse. L’une d’elles était Denyse Simenon, épouse de Georges Simenon, auteur des romans policiers sur le commissaire Maigret et auteur belge le plus populaire de tous les temps. Après leur divorce, sa femme s’est réfugiée dans la secte de Doulière. En échange de son “aide psychologique”, le gourou lui a confisqué la pension alimentaire qu’elle recevait de son ex-mari. “C’était un montant astronomique pour l’époque”, déclare Eric Goens. “Sans s’en rendre compte, Denyse Simenon est devenue l’un des principaux soutien financiers de la secte”.
Grâce à ce nouveau filon d’or, sa secte a pu chercher des endroits plus luxueux. Doulière quitte son château délabré de Saint-Martin-de-Londres pour s’installer dans le prestigieux prieuré de Saint-Michel de Grandmont. Mais ce n’était pas encore assez. Il a convaincu Denyse Simenon d’écrire un livre sur son mariage avec Georges Simenon, dont les adultères étaient notoires. Il l’a convaincue qu’il s’agissait d’une “étape importante dans son rétablissement psychologique”, mais il savait très bien que cela lui profiterait. “Un oiseau pour le chat” est paru en 1978. Dans ce livre, Denyse Simenon, sur les conseils du gourou, décrit Georges Simenon comme un monstre qui a abusé d’elle physiquement et mentalement pendant des années. “Peu après la publication du livre, sa fille Marie-Jo, âgée de 25 ans, s’est suicidée”, raconte Eric Goens. “Près de son corps se trouvait le livre de sa mère, que Doulière avait écrit. La raison de son suicide ne pourrait être plus claire. Je ne pense pas exagérer en disant qu’Edgard Doulière avait la mort de cette fille sur la conscience.”
Peu de temps après le suicide de la fille de Georges Simenon, la magie d’Edgard Doulière semble s’être dissipée. Ses adeptes sont devenus plus âgés et, aux yeux du gourou, moins attrayants. Il n’invitait plus toutes les femmes à ses soirées sexuelles, ce qui provoquait des disputes entre elles. Lentement mais sûrement, le prieuré du sud de la France se vide. Lorsque même ses plus fidèles partisans lui ont tourné le dos, Doulière lui-même a fait ses valises. “Avec l’aide d’un avocat flamand qui était resté dans la secte avec sa famille pendant des années, il a cherché et trouvé un nouveau foyer dans notre pays”, explique Eric Goens. “Il s’est installé à Lier au début des années 90 et est reparti de zéro. Dans un domaine isolé sur les rives de la Nete, il a fondé une nouvelle secte, selon sa propre règle absurde: tout le monde était le bienvenu, à condition que chaque femme qui adhérait ait son premier enfant conçu par lui.”
source : Rédaction Dernière mise à jour: 26-07-22, 11:39 Source: Het Laatste Nieuws