{{Témoignage. Alain Stoffen a passé quinze ans dans l’Eglise de Scientologie. Brisé moralement, physiquement, financièrement, rejeté par son épouse – elle aussi scientologue -, l’ancien adepte raconte cet “empire où la haine est la seule science”.}}
{{Lyon Capitale : Comment ressort-on de quinze ans de scientologie ?}}
Alain Stoffen : J’ai eu entre les mains mon “dossier d’éthique”, un document ultra confidentiel où tout ce qui me concernait était soigneusement noté. Tout. Ça a été un véritable électrochoc, une collision frontale avec la réalité. J’ai alors pris conscience que j’avais construit quinze ans de ma vie d’adulte sur des mensonges, que j’avais subi un véritable viol. J’ai alors tout rejeté en bloc mais je n’étais plus que le résultat d’un conditionnement que j’avais suivi pendant quinze ans. Ce qui a été cauchemardesque, c’est que je ne savais plus ce qui m’appartenait, qui j’étais, où était le bon sens. Quand j’ai compris à quel point j’avais été dupé, j’ai eu un sentiment de honte et de culpabilité écrasant. Je n’étais plus Alain Stoffen, mais un scientologue, une sorte de clone à la Hubbard. Ça me faisait vomir. Pour me reconstruire, il fallait que j’assume cela, que je décortique ce mécanisme de manipulation. Mais pour comprendre, il faut analyser et le propre même de la scientologie vise à annihiler tout sens critique.
{{Qu’y-avait-il dans ce document “ultra confidentiel” ?}}
Tous les scientologues connaissent l’existence de ces dossiers-là. Personne ne l’a jamais eu entre les mains. Sur les 500 pages de mon “dossier d’éthique”, il y avait plus de 120 pages ultra secrètes dont je n’aurais jamais dû avoir connaissance. Par exemple, une des pièces maîtresses est un télex de 17 points qui émane des plus hautes instances mondiales de la scientologie. Ils ordonnaient une séquestration pour me “manier” et me soutirer de l’argent, un truc méthodiquement planifié à haut niveau, hallucinant !
Il y avait aussi des rapports de délation : j’ai été fliqué pendant des années. Les moindres faits et gestes de ma vie privée étaient consignés dans ce dossier.
{{Question que tout le monde se pose : comment tombe-t-on dans les mailles du filet, d’autant que vous écrivez qu“on n’entre jamais en scientologie de sa propre initiative, jamais en connaissance de cause” ?}}
On a une vision des sectes assez caricaturale. La plupart du temps, il y a des délires mystiques, ésotériques avec tout un folklore. A la Scientologie, on n’est pas du tout dans ce trip-là. Quand je suis rentré dedans, j’avais 24 ans, j’étais jeune et un peu idéaliste. La sciento est axée sur le développement personnel. Le profil type des gens que j’ai rencontrés sont plein de projets, ambitieux. Au lieu d’être spectateurs, ils veulent être acteurs de leur propre vie. La sciento va vous présenter ses services sous l’angle de vos propres envies. Les premiers cours que l’on reçoit sont extrêmement efficaces : comme il n’y a aucun engagement, que l’encadrement est très aguerri, qu’il n’y a pas de “délire mystique”, on a l’impression d’être dans un truc vraiment très pro. D’autant que si on place ces cours en dehors de la sciento, ils peuvent être très formateurs. Le problème, c’est qu’ils s’inscrivent dans une stratégie qui vise à piéger les gens. Au final, les mises en scène ne sont qu’illusion et les discours mensongers.
{{Quels sont les vecteurs d’endoctrinement ? Comment devient-on prisonnier du système ?}}
Après cette phase de mise en confiance, il y a une phase de déstabilisation. La scientologie crée la détresse de toutes pièces avec le fameux test de personnalité, une série de 200 questions qui donne un résultat toujours négatif. On va alors vous vendre “l’état de Clair” qui vise à débarrasser l’individu de toutes les choses indésirables en lui, ses craintes, ses phobies, son manque de confiance en soi. Je prends une image : Germaine habite au fin fond de la Creuse dans une maison qui a une petite fissure dans un mur. Elle appelle un maçon, un filou, qui sait qu’il y a beaucoup d’argent sous le matelas. Il va faire croire que sous la fissure se cache un problème beaucoup plus grave dans la structure et qui risque de faire tomber la maison. Il lui propose de tout démolir. En Scientologie, c’est pareil : on met l’adepte dans un état d’urgence pour qu’il aille au plus vite vers cet “état de Clair”, sous peine d’être en grand danger. On vous soumet à des pratiques prétendument scientifiques qui s’avèrent être de purs délires de science-fiction mélangés à quelques principes rudimentaires de psychologie. C’est une véritable torture mentale. La personne ira de moins en moins bien. Tous les principes qui entourent ces théories sont extrêmement culpabilisants.
{{Vous parliez de cours de “gestion de l’argent”. C’est plutôt étonnant, les adeptes de la Scientologie étant criblés de dettes, comme vous l’écrivez dans votre livre. Combien avez-vous dépensé ?}}
Environ 45 000 euros. C’est une somme non négligeable mais dérisoire par rapport à ce qu’on dépense pour aller au plus haut niveau d’endoctrinement. Comptez plutôt 300 000 euros. Une fois que vous êtes dans un état de dépendance, vous êtes dans le même cas que si vous aviez un cancer : si on vous dit qu’un médecin du bout du monde peut le guérir, vous vous débrouillez pour trouver l’argent. C’est une question de vie ou de mort. Dès qu’on commence à douter ou avoir un peu d’esprit critique, on a l’impression d’être son propre ennemi, qu’on est possédé. Du coup, on court tout de suite se dénoncer pour se remettre dans le droit chemin. De l’extérieur, on est soumis à une discipline extrêmement coercitive, mais de l’intérieur, on a l’impression que c’est pour notre bien.
{{Vous avez porté plainte contre l’Église de Scientologie. Ne craignez-vous pas une réaction de leur part ?}}
Depuis que j’ai quitté la Sciento, je me suis pris un nombre de plaintes incalculables pour vol de documents, pour tentative de chantage, des choses privées dans le cadre de mon divorce avec ma femme, toujours scientologue. J’ai passé six ans devant les tribunaux. On n’est plus au far-west, donc avec le temps les scientologues sont devenus extrêmement procéduriers. Ils ont des budgets illimités. Le but n’est pas de gagner mais de saigner les gens financièrement. On les accable de procès, même si ce sont des dossiers montés de toutes pièces avec des choses diffamatoires. Mais je n’ai plus peur.
Auteur : Guillaume Lamy
Lyon capitale