L’essentiel

Dans « À la recherche de mon frère », le journaliste Elliot Wax tente d’infiltrer les milieux complotistes pour renouer avec son frère, friand des théories alternatives.

20 Minutes s’est procuré en exclusivité plusieurs extraits de l’ouvrage qui sort vendredi en librairie, aux éditions Goutte d’Or.

On y accompagne Elliot Wax, l’auteur, convaincu de pouvoir rentrer dans la tête de son grand frère, converti aux théories les plus givrées (ou presque) qui écument les bas-fonds des Internets. Comment ? En cherchant à décrédibiliser le discours complotiste de l’intérieur. Évidemment, cela ne se passera pas comme prévu. 20 Minutes vous livre les bonnes feuilles de cet ouvrage, garanti sans relecture d’Elvis depuis sa villa de Buenos Aires.

Une relation qui dégénère peu à peu

Très proche de son frère, qui l’a souvent pris en charge dans sa jeunesse, Elliot décrit dans les premières pages une relation fusionnelle, faite de complicité et de débats intellectuels incessants avec un aîné à la vie parfois chaotique mais tellement excitante. Jusqu’à un glissement progressif dans les affres du complotisme. Le début des embrouilles ? Une vénération pour un homme politique qui ressemble étrangement à François Asselineau, la figure préférée des amateurs de fake news.

« Le séjour de mon frère en centre de désintoxication est l’aboutissement d’un long processus. Ces trois dernières années, mon frère a appris à organiser sa vie sans que la drogue soit au centre de ses préoccupations. Il a alors commencé à s’intéresser à des théories alternatives. Cela s’est enclenché avec le mystère des pyramides, puis tout s’est enchaîné très vite : la présence d’une vie extraterrestre sur terre, l’énergie libre, le 11-Septembre, l’assassinat de JFK, l’existence d’une planète cachée dans le système solaire… Maintenant qu’il est libéré de ses addictions et dispose de beaucoup plus de temps libre, mon frère est d’autant plus branché sur Internet. Il s’est mis à suivre les conférences de Norton Mabille, le fondateur du parti des Éveillés. Depuis, il ne jure que par lui et prêche sa cause avec la ferveur d’un nouveau converti. » »

Aux origines du Covid

Comme chez beaucoup d’adeptes des théories du complot et leurs proches, le surgissement du Covid-19 à l’hiver 2019-2020 marque une profonde rupture et fait voler en éclats les dernières apparences. Elliot, rentré en France quelques semaines avant de se confiner, voit son frère le submerger de contenus fumeux sur l’origine de la maladie, jusqu’à rendre leurs rapports presque impossibles, décrit-il longuement.

« Novembre 2020. Cela fait six mois que je suis rentré de Turquie. Le retour à la vie francilienne est brutal. […] Ce sentiment est exacerbé par les mesures mises en place pour lutter contre le Covid-19. J’essaye de le prendre avec philosophie. Certes, le confinement n’est pas très agréable, mais cela semble être un mal nécessaire. Mon frère, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Chaque jour ou presque, il m’envoie des articles censés démontrer que l’épidémie de coronavirus n’est pas aussi grave que les médias le prétendent. Pour lui, il s’agit d’un prétexte utilisé – voire créé, il n’écarte pas cette possibilité – par l’oligarchie pour redessiner les contours de l’économie mondiale. Ce vendredi 13 novembre, mon frère visionne le documentaire conspirationniste « Hold-up », qui fait le buzz depuis sa diffusion l’avant-veille sur la plateforme Vimeo.  »Regarde-le !!! », s’empresse-t-il de m’écrire sur WhatsApp une fois qu’il a terminé, aux alentours de 23 heures ». »

La lettre de motivation pour un média complotiste

Journaliste de profession, Elliot entend démontrer à son frère que l’une de ses sources d’infos principales colporte un ramassis de mensonges qui ne visent qu’à manipuler des lecteurs crédules. Il décide alors d’envoyer son CV au journal La Véritéque les lecteurs attentifs reconnaîtront sans mal, même s’il n’a plus rien à voir avec le quotidien populaire le plus vendu du pays sous la direction de Pierre Lazareff.

« J’envoie ma lettre de motivation. Pour être convaincant, j’en fais beaucoup, peut-être même un peu trop. Je parle de l’impossibilité pour moi de travailler pour un média « covidiste ». Comprendre : un média qui souscrit aux thèses officielles sur le Covid-19. J’évoque les « manipulations » du gouvernement, la « naissance d’une dictature sanitaire ». […] « Il me paraît aujourd’hui absolument impensable de travailler pour un média qui éluderait le sujet du Covid-19. Un peu comme les journaux sportifs qui, en 1940, ont continué à couvrir les matchs de football comme si de rien n’était alors que la Wehrmacht s’apprêtait à envahir le pays », écris-je, de façon grandiloquente, en guise de conclusion. Moins d’une semaine plus tard, je reçois un coup de téléphone : « Allo, monsieur Wax ? Achille Araz de « La Vérité ». Nous avons bien reçu votre candidature. Pourrions-nous nous rencontrer pour en discuter ? » ». »

Rencontre avec le directeur de la Vérité

Désormais intégré à la maigre rédaction du site Internet de La Vérité, l’auteur entreprend de se rapprocher de son propriétaire et directeur, qui a impulsé le virage éditorial du titre vers la désinformation depuis son rachat en 2014. Grand fan de Didier Raoult et de Silvano Trotta, « Yolain Racine », encore un pseudo facilement identifiable, se révèle aussi être un affabulateur de talent. Parmi quelques anecdotes savoureuses, le récit d’un voyage fantasmé en Amérique du Sud.

« Yolain Racine revient sur la semaine qu’il vient de passer au Brésil. Là-bas, m’assure-t-il, il a notamment rencontré le chef du renseignement et le numéro deux du gouvernement. « J’aurais aussi dû voir Bolsonaro. Mais bon, c’était compliqué pour lui d’être vu en ma compagnie. » Depuis le début de la pandémie, le leader d’extrême droite s’est distingué en niant la gravité du Covid-19 et en faisant la promotion active de l’hydroxychloroquine. La preuve, selon le directeur de « La Vérité », que le régime brésilien est l’un des seuls à ne pas s’être laissé corrompre par « l’oligarchie mondialiste ». « Mais c’est hyper chaud, là-bas. Un soir, en sortant du restaurant, on nous a carrément tirés dessus. » Mon patron nous raconte qu’il aurait donc échappé à une tentative d’assassinat en compagnie du chef des services secrets. […] L’histoire est invérifiable. Pourquoi ont-ils voulu l’assassiner, lui ? « Parce que je suis identifié. Dès que je suis arrivé, des gens m’ont approché pour essayer de m’acheter. […] Les journalistes ne sont même plus payés par leurs journaux. Les labos écrivent les articles à leur place, ils leur filent mille dollars, et eux ont juste à apposer leur signature. » » »

Avouer la vérité à son frère, une gageure

S’il est parvenu au fil de son infiltration à renouer la relation avec son frère, Elliot comprend assez vite qu’il est empêtré dans un mensonge familial dont il entrevoit de moins en moins la sortie. Il expose longuement ses doutes dans l’ouvrage, redoutant le moment où il lui faudra avouer à son frère qu’il l’a « piégé » pour aller au bout de sa démarche. Une issue qu’il repousse le plus longtemps possible, à raison.

« Il y a quelques mois, je l’ai informé que j’allais publier un livre, sans pour autant lui révéler qu’il en serait le personnage principal. À chaque fois que nous en parlons, je sens chez lui la même fierté qu’à l’époque où je remportais mes premiers tournois d’échecs. « J’ai prévenu tout le monde autour de moi. Je vais me la péter grave quand, il va sortir. J’ai tellement hâte », s’enthousiasme-t-il. Le voir si ravi de cette publication dont il ne connaît pas encore le contenu me met mal à l’aise. Beaucoup de choses ont changé depuis le début de mon enquête. J’ai compris que je devais cesser de combattre le complotisme de mon frère comme si je me trouvais sur un ring, espérant qu’un de mes arguments finisse par le mettre K.-O. et le force à reconsidérer sa vision du monde. Aujourd’hui que nos rapports se sont apaisés et que mon frère semble avoir trouvé son équilibre, quel effet mon livre peut-il avoir sur nos relations ? » »

source :

Julien Laloye

Julien Laloye