C’est un livre en cavalcade, le récit d’une déambulation dans un Paris secret, mais aussi dans les discours farfelus de faux prophètes de tout poil. Philippe Vasset s’en amuse. Il nous traîne à la découverte de drôles d’oiseaux, escrocs du spirituel dans une version New Age. Ce court roman explore l’univers contemporain des sectes, ou de leurs multiples avatars qui prennent la forme de séances de méditation ou de promenades exploratoires dans la forêt à la rencontre d’hypothétiques extraterrestres.
Son personnage, dont on ne connaît pas le nom, travaille pour un écrivain raté qui veut fonder une secte comme on crée une entreprise. Nul élan ici, nulle croyance, il ne s’agit bien que de faire de l’argent. Et donc d’aller chercher, dans les groupes qui existent déjà, les idées les plus efficaces pour fonder de toutes pièces la nouvelle doctrine efficace. Le narrateur se charge de ce travail. Et là, tout est possible.
Cette plongée aux marges des organisations sectaires, en compagnie d’un narrateur solitaire, s’accompagne d’une exploration de lieux inattendus de Paris : souterrains, jardins, entrepôts, chantiers, bureaux vidés de leurs occupants durant de longs week-ends… La documentation est impressionnante par l’accumulation de détails vrais. Comme toujours dans ses romans, Philippe Vasset se nourrit de références à la réalité.
On court d’un gourou à un autre : d’un émule des scientologues à un soucoupiste iso-zen, croisant au passage quelques mangeurs de champignons hallucinogènes et même des sadomasochistes. On rit forcément. On voudrait souvent en savoir plus sur ces personnages qui ne sont que des silhouettes. Philippe Vasset ne nous laisse pas cette chance. Son livre avance comme un carrousel que rien ne freine, jusqu’au développement final.
Il ressort l’image d’un monde déboussolé, peuplé d’hommes et de femmes en recherche, mais comme vidés de l’intérieur. Au fil de ses livres, (sept déjà), Philippe Vasset poursuit une œuvre originale, qui se consacre à l’exploration du monde, et plus précisément au dessous des cartes. Il s’ancre dans un territoire et s’attache à visiter un aspect du réel. Son Journal d’une prédatrice, en 2010, s’intéressait au pôle Nord et à son exploitation commerciale. Son Journal intime d’un marchand de canons, en 2009, traitait du commerce des armes.
Journaliste spécialisé sur l’énergie et les questions de renseignement, il semble poursuivre, dans son travail d’auteur de fiction, son voyage dans les recoins cachés. Comme son personnage, il entre par les portes dérobées pour visiter les espaces le plus souvent cachés aux yeux des passants ordinaires, comme s’il trouvait, dans ces lieux, l’expression démultipliée de ce qui fait notre époque et notre humanité. Le ton reste léger, mais le rire qu’il provoque se bloque quelquefois dans la gorge. On s’esclaffe en galopant avec lui dans les souterrains de Paris, mais surtout, on frissonne d’effroi en se demandant :«Où allons-nous donc ?»
par ALAIN GUILLEMOLES
source : LA CROIX
lire : LA CONJURATION
de Philippe Vasset
Éditions Fayard, 208 p., 17 €