Leader charismatique de l’église Extravagance, un mouvement évangélique comptant environ 1 500 fidèles à La Réunion, le pasteur Bruno Picard a désormais interdiction de mener des célébrations – des « cultes » donnés dans un grand hangar à Saint-Pierre, qui ressemblent à des shows musicaux grâce à une scénographie travaillée et une liturgie énergique. Le prédicateur est soupçonné de dérives sectaires avec huit de ses anciens fidèles.

Après deux jours et une nuit de garde à vue, Bruno Picard a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, jeudi 8 juillet, par deux juges d’instruction pour « abus de faiblesse commis par le dirigeant de fait ou de droit d’un groupement poursuivant des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes participant à ces activités ». « L’association Eglise protestante évangélique Extravagance » a également été mise en examen, en tant que personne morale, a précisé la procureure de Saint-Pierre, Caroline Calbo.

L’enquête des gendarmes de la section de recherches de La Réunion porte sur des mécanismes d’emprise mentale qui ont conduit des adeptes à se couper de leur famille, à abandonner leur emploi pour se consacrer bénévolement à l’église Extravagance et au service du pasteur, ou encore à verser de grosses sommes d’argent en plus de la contribution financière, fixée à 10 % des revenus.

« Un truc de malades »

Parmi les plaignants, l’ancien chef d’une entreprise de BTP liquidée, qui avait effectué des dons dépassant 900 000 euros, sur plusieurs années, avec des versements mensuels de 10 000 euros à l’église et de 10 000 euros au pasteur. « Bruno Picard avait fait des prophéties sur sa réussite, témoigne un proche de l’entrepreneur. Il lui expliquait que, plus il allait donner, plus il allait gagner. Il a décroché des marchés inespérés dans la foulée. Le pasteur l’a convaincu que donner était un test de Dieu, un acte de foi. »

Premier à avoir déposé une plainte, Rudy Thazard, membre d’Extravagance pendant vingt ans, raconte avec force détails comment il a abandonné son emploi pour se consacrer au pasteur et à l’Eglise. « Cela allait de cirer ses chaussures à des tâches administratives », regrette ce responsable d’une entreprise en sommeil qu’il veut relancer. Une année, lui et son épouse ont vidé leurs comptes en banque pour verser 80 000 euros à Extravagance. Sans parler des nombreux cadeaux, comme un piano à 4 000 euros. « Nous n’avions plus rien. Ce sont nos parents qui nous faisaient manger ; moi, mon épouse et mes enfants, souffle Rudy Thazard. On a été pris dans un truc de malades, un magma de pensées qui vous convainc que Dieu va prendre soin de vous. Il a contrôlé nos vies. » Un autre fidèle, héritier d’une petite fortune familiale, a également effectué des versements quand le pasteur l’a persuadé que Dieu allait protéger ses enfants de la maladie génétique dont il souffre.

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Appartenant à la catégorie des « prophètes de la prospérité », Bruno Picard propage l’idée, dans ses prêches ou ses vidéos sur les réseaux sociaux, que la richesse et la santé des fidèles dépendent des dons effectués à l’Eglise. Selon Rudy Thazard, le pasteur se présente comme l’« Oint de l’Eternel », pour signifier l’onction après avoir été sept jours en communication personnelle avec Jésus ; ou encore le « Prophète des nations », choisi pour « changer le monde, qui est chaotique et abîmé par Satan ».

Habile dans ses méthodes de communication positive, le prédicateur, au look toujours très soigné, affichait ostensiblement sur son compte Facebook sa réussite sociale et son bonheur familial. Effacées depuis, les photos étalaient ses nombreux voyages en métropole, en Suisse ou au Canada, ou encore ses vingt ans de mariage fêtés dans le faste au château de Bel-Ombre, sur l’île Maurice. « Grâce à des méthodes poussées de développement personnel, il a réussi à créer une idolâtrie autour de lui », observe Rudy Thazard.

« Les failles de chacun »

Beaucoup des plaignants entendus ont décrit le même profil psychologique caractérisant Bruno Picard : un être « manipulateur » et « séducteur », utilisant la culpabilisation jusqu’à l’humiliation pour soumettre ses fidèles. Selon d’anciens adeptes, les réunions de groupes donnent lieu à des « comptes rendus » détaillant la vie professionnelle et privée de chacun. « Le pasteur s’appuie sur les failles de chacun pour faire des prophéties et exercer son pouvoir, quitte à diviser les couples en valorisant l’un et en stigmatisant l’autre, celui qui n’est pas dans l’adoration et qui est démoniaque », observe un témoin l’ayant approché.

Face aux gendarmes, le pasteur Picard a nié avoir cherché à exercer une emprise sur les plaignants. « Extravagance ne peut être considérée comme une organisation sectaire, affirme Me Gabriel Odier, son avocat. Il n’existe pas de logique visant à couper les fidèles du monde. Ils s’investissent s’ils le veulent et donnent s’ils le veulent. » « Le pasteur dit que l’Eglise a besoin de dons pour vivre, ajoute l’avocat. Cela ne constitue pas une pression. Faudrait-il mettre en examen un curé ou un imam, des membres des religions traditionnelles, qui lancent un appel aux dons ? »

Outre l’enquête sur les présumées dérives sectaires au sein du mouvement Extravagance, qui possède aussi des centres religieux à Metz, Toulon, en Belgique et au Canada, les investigations se concentrent, selon une source judiciaire, sur le train de vie et le patrimoine de Bruno Picard et de l’Eglise, en plus d’un volet fiscal.

source :https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/12/a-la-reunion-un-pasteur-evangelique-interdit-de-preches-pour-abus-de-faiblesse_6087974_3224.html

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Publié le 12 juillet 2021 à 09h33