Ils se font appeler les Three Percent. Ils sont armés et disent qu’ils sont prêts pour une guerre en sol canadien. Les experts disent qu’ils sont dangereux.
Le groupe est généralement constitué d’ex-militaires, de survivalistes, d’adeptes de théories du complot et de gens qui s’inquiètent tout simplement de ce qu’est en train de devenir le Canada.
Devant l’hôtel de ville de Calgary, quelques dizaines d’entre eux se tiennent côte à côte dans une tentative de former un mur humain infranchissable. Chacun porte un uniforme qui consiste en un t-shirt noir arborant un casque de gladiateur – accoutrement qui ne serait pas inapproprié pour des motards. Il y a quelques femmes, mais ce sont surtout des hommes sur les pieds desquels on ne voudrait pas marcher dans un bar. Tous et toutes sont Blancs.
Dans le rang, certains sont munis d’une matraque ou d’une bonne vieille canne, d’autres d’une canne à impulsion électrique – une arme non létale qui donne à la personne que l’on frappe une décharge pouvant atteindre un million de volts. Sur leurs t-shirts, on peut aussi lire « NSA » pour Never Standing Alone (traduction libre : Ne jamais être seul). Autour, des Three Percenters surveillent la scène depuis une position en relative hauteur, tandis que d’autres en civil flânent dans la foule pour glaner des renseignements sur ceux qu’ils considèrent comme l’ennemi d’aujourd’hui : Antifa, le groupe antifasciste.
Devant la ligne, leur chef, Beau Welling, président du chapitre albertain et vice-président national des Three Percent, bien droit, donne discrètement des ordres à l’aide de son téléphone qu’il tient comme un walkie-talkie.
Quelques heures plus tôt, le groupe avait parcouru le périmètre et vérifié que les pots de fleurs autour de l’édifice municipal ne cachaient pas d’explosifs. On craignait qu’Antifa ait au préalable dissimulé des armes… ou que le groupe armé État islamique ait ciblé leur activité.
Les Three Percenters qui participaient à ce rassemblement faisaient office de détachement de sécurité pour une controversée porte-parole anti-islamique nommée Sandra Solomon, qui avait été impliquée dans un accrochage avec des antifascistes quelques jours avant à Winnipeg. Évoquant l’échauffourée de Winnipeg et les manifestations violentes au sud de la frontière, Beau Welling avait donné une directive claire au groupe : participation obligatoire.
Cette première sortie officielle de la cellule albertaine des Three Percent, baptisée Operation Shock N Awe (Opération choc et stupeur), se voulait une démonstration de force. L’organisation anti-islam d’extrême droite affirme être lourdement armée et prête pour une « guerre » en sol canadien.
Une enquête de VICE de huit mois sur leur fonctionnement interne a révélé qu’il s’agit d’un groupe très uni et ouvertement anti-islam. Unique dans l’écosystème de l’extrême droite au Canada, il semble être, aux dires d’un expert, largement inspiré des milices américaines. Au courant de notre enquête, la rhétorique et les tactiques du groupe sont rapidement passées de virulentes publications anti-islam en ligne à des activités concrètes de surveillance de mosquées, d’exercices de tir de type paramilitaire, de supposés achats de terrains et de plans pour créer des bombes fumigènes et des bombes aveuglantes.
Beau Welling, une figure importante du groupe, nous a dit qu’il soupçonnait le gouvernement canadien de les considérer comme des « terroristes intérieurs ».
« Si le moment vient et que nous devons intervenir et utiliser la force, nous le ferons. »
« Nous nous considérons comme la dernière ligne de défense du Canada face à tous ses ennemis, qu’ils soient étrangers ou intérieurs, nous a-t-il dit. Si le moment vient et que nous devons intervenir et utiliser la force, nous le ferons. »
Les groupes insulaires comme les Three Percent sont difficiles à cerner lorsqu’il s’agit de faire la part entre la rhétorique toxique sur internet et d’éventuelles actions concrètes. Les experts nous ont toutefois mis en garde : il est important de ne pas sous-estimer les risques que posent de tels groupes, qui jonglent avec un cocktail potentiellement fatal de xénophobie et d’armes à feu.
Lorsque nous lui avons fait part de leurs activités, Barbara Perry, une chercheure de l’Université de l’Ontario spécialiste des groupes d’extrême droite et des crimes haineux au Canada, a tout simplement répondu : « Ça me fait peur. »
Une montée rapide
Les Three Percent (également connus sous le nom de « threepers ») tirent leur nom du groupe paramilitaire américain mis sur pied après l’élection de Barack Obama en 2008. Il s’agit d’une organisation largement décentralisée créée sur la base de fortes opinions antigouvernementales et favorables aux armes à feu.
De nombreuses personnes liées aux Three Percent des États-Unis ont été accusées de crimes, notamment Allen « Lance » Scarsella, qui a tiré sur cinq personnes dans une manifestation du mouvement Black Lives Matter. Un membre a également été arrêté en 2011 dans le cadre d’un complot déjoué qui visait à bombarder des bâtiments fédéraux à Atlanta.
Les origines des Three Percent canadiens remontent à la fin de 2015, peu après l’élection de Justin Trudeau. Tout a commencé avec « III% Canada », un groupe Facebook à l’échelle nationale qui a rapidement mené à la création de chapitres dans plusieurs provinces. C’est à ce moment que j’ai fait une demande d’adhésion au groupe privé avec mon profil Facebook personnel. Bien que celui-ci indique clairement que je suis journaliste, Beau Welling a accepté ma demande.
Au fil du temps, le groupe est passé de publications enragées sur Facebook à des activités concrètes, une transition plutôt rare. Depuis près d’un an, le chapitre albertain des Three Percent, qui compte le plus grand nombre de membres actifs au Canada, s’est lentement transformé en organisation de type milice. La division compte entre 150 à 200 membres actifs et 1600 membres en ligne.
Le groupe est généralement constitué d’ex-militaires, de survivalistes, d’adeptes de théories du complot et de gens qui s’inquiètent tout simplement de ce qu’est en train de devenir le Canada.
Ils assurent être lourdement armés, et plusieurs membres mettent en ligne des photos de leurs nombreuses armes à feu. Beau Welling explique que le groupe est formé en majorité de cols bleus et d’employés de 9 à 5 qui ont été durement frappés par le ralentissement économique en Alberta. Il ajoute que les Three Percent ont prêté des milliers de dollars à leurs membres.
Si l’on trouve des chapitres ailleurs au pays, ils sont beaucoup plus petits que la cellule albertaine et leurs activités semblent être essentiellement réduites aux échanges en ligne. Toutefois, lors d’un rassemblement anti-islam à Toronto le 6 mai, trois membres des Three Percent se sont présentés et s’en sont pris à Kevin Metcalf, un journaliste de l’organisme Canadian Journalists for Free Expression, à la suite de quoi un homme a été accusé d’agression et un autre individu a été recherché.
Lorsque nous avons joint la GRC à ce sujet il y a plusieurs mois, elle a affirmé ne pas connaître les Three Percent. Mais, après un suivi que nous avons effectué plus récemment, elle nous a transmis cette déclaration.
« La GRC a pris connaissance de ce groupe. La GRC n’enquête pas sur les mouvements ou les idéologies, mais enquête sur toute activité criminelle de tout individu qui menace la sécurité des Canadiens. »
Ouvertement anti-islamique
Le concept des Three Percent canadien est un emprunt direct à la milice américaine, qui a été vaguement adapté pour correspondre à une vision canadienne du monde. Le nom Three Percent lui-même tire son origine d’un mythe américain voulant que trois pour cent des Américains se seraient battus contre les Britanniques lors de la guerre d’indépendance des États-Unis. L’organisation possède une structure hiérarchique semblable à celle des clubs de motards ou des Soldats d’Odin. Afin de devenir membres, les aspirants doivent démontrer leur fidélité et leur valeur afin d’obtenir leurs couleurs auprès des supérieurs.
Le groupe albertain affirme qu’il se réunit une fois par semaine afin de s’exercer au tir en vue du moment où « ce sera la merde ». Les intérêts du groupe fluctuent constamment, mais semblent tourner autour de la haine envers Antifa, l’afflux de réfugiés qui traversent les frontières du Canada et, surtout, la possibilité d’une attaque terroriste islamique. Contrairement aux Soldats d’Odin et à d’autres groupes ayant les mêmes affinités, les Three Percent ne semblent pas ressentir le besoin de dissimuler leur haine envers l’islam.
Lorsque nous avons parlé du groupe à différents experts, ils ont décrit l’arrivée des Three Percent coup sur coup comme « alarmante » et s’entendaient pour dire que le groupe est une anomalie parmi les groupes de droite que l’on trouve habituellement au Canada. Amira Elghawaby, porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens, a dit à VICE que ces groupes et leur nature changeante étaient inquiétants, plus particulièrement dans le contexte où l’on observe un nombre croissant de crimes anti-islam au Canada.
« C’est un sujet qui nous inquiète depuis un bon moment, et nous croyons que les Canadiens ne comprennent peut-être pas vraiment l’impact et la menace qu’ils peuvent représenter, étant donné l’attention disproportionnée portée à l’extrémisme violent quand il est en hausse à cause d’une mauvaise conception de l’islam », a-t-elle expliqué.
Nous avons rencontré Beau Welling dans un Denny’s du nord de Calgary le lendemain d’ Operation Shock N Awe. Avec sa barbe touffue et son chapeau de camouflage, cet homme originaire de Toronto qui a déménagé en Alberta, y a fondé une famille et y gère une compagnie de transport s’est révélé étonnamment ouvert à propos des activités et des opinions anti-islam.
Beau Welling a indiqué à VICE qu’« anti-islam » serait en effet une description juste de la position du groupe. En lui parlant et en lisant les publications dans leur groupe privé, il est clair que les Three Percent croient réellement qu’une invasion islamique du Canada est à l’horizon, et qu’ils s’y préparent. Pour lui, l’arrivée de réfugiés et l’immigration sont « une invasion citoyenne tactique planifiée ».
« Nous n’aimons ni l’islam ni les musulmans », a-t-il ajouté pour être sûr qu’il n’y ait pas d’ambiguïté.»
L’anti-islamisme est l’idée centrale derrière le groupe Three Percent albertain. Cette vision du monde rassemble les membres du groupe en ligne et sert de moteur au recrutement. Sur la page du groupe privé, on trouve des propos qui parlent d’éliminer tous les musulmans sur Terre, et on y utilise fréquemment des termes déshumanisants comme « enculeurs de chèvre » pour les décrire. Beau Welling y a déjà affirmé que les musulmans sont coupables par association, en ajoutant : « Fuck les musulmans modérés! » Dans une autre publication à propos d’une histoire finalement fausse sur de jeunes Syriens dans une école secondaire de Red Deer, un membre suggère qu’ils devraient rassembler les enfants dans des enclos « comme des animaux ».
Chaque fois que s’est produite une attaque terroriste dans les deux dernières années, du bombardement à Bruxelles aux attaques avec un camion de Nice et de Berlin en passant par l’attaque à Westminster, la rhétorique et les efforts du groupe se sont intensifiés d’un cran.
La rhétorique anti-islam a récemment semblé atteindre son paroxysme après l’attaque-suicide au concert d’Ariana Grande à Manchester, qui a fait 22 morts, dont des enfants et des adolescents. Beau Welling a déclaré la guerre.
« Nous sommes en guerre, nous avons été en guerre, et nous sommes au beau milieu d’une lutte pour sauver nos vies. »
« Nous sommes en guerre, nous avons été en guerre, et nous sommes au beau milieu d’une lutte pour sauver nos vies », a-t-il déclaré en majuscules dans le groupe privé. « Ça y est, fils de putes. Il est temps de passer à des actions patriotiques. Vous voulez nous emmerder, vous n’avez encore rien vu. Nous allons gagner cette guerre. »
Le lendemain, selon un calendrier Google utilisé par le groupe auquel VICE a eu accès, une partie du groupe a entamé la « production de bombes fumigènes et de bombes aveuglantes ». Le groupe a également procédé à l’achat de cannes à impulsion électrique, celles que nous avions pu voir au rassemblement à Calgary. VICE n’a cependant pas vu de bombes aveuglantes artisanales. Le 27 mai, Beau Welling a organisé une rencontre avec ses soldats afin de discuter de stratégie de combat et de tactique militaire. VICE n’a pas été en mesure de confirmer si cette rencontre a eu lieu, ni, le cas échéant, les propos qui y auraient été tenus.
Cette tendance extrémiste du groupe n’a pas été bien reçue par tous ses membres. À la fin du mois de mars, le sergent d’armes du chapitre albertain, un membre extrêmement actif du groupe, l’a quitté vu la direction qu’il prenait.
« Lorsque je me suis joint au groupe, je l’ai fait en croyant à la fraternité et la camaraderie que je voyais, [en croyant que] c’était un reflet de la manière dont fonctionnerait le groupe », a-t-il écrit sur Facebook au moment de son départ. « Je croyais aussi, comme il est écrit dans la mention en haut de page, qu’il ne s’agissait pas d’une milice et qu’elle ne le deviendrait pas en public. Je crois que ce n’est plus vrai. »
D’après plusieurs experts à qui j’ai parlé, la rhétorique et les activités extrêmes sont les plus grandes menaces que pose le groupe. « Une attaque d’un loup solitaire, qui adhère aux idées agressives des threepers, mais trouve qu’ils n’agissent pas assez vite, est une menace très réelle », a indiqué Barbara Perry.
« Il y a toujours un risque qu’un individu ou une cellule suivent cette logique jusqu’à ses conclusions extrêmes et que, plutôt que d’attendre le combat, qu’ils l’entament dans les mosquées et qu’ils posent des gestes de violence offensive plutôt que défensive, poursuit-elle. Je crois qu’il y a une très grande probabilité que quelqu’un déraille. »
Surveillance de mosquées
En plus de sa position anti-islam, le groupe affiche également une paranoïa amplifiée par le partage de fausses nouvelles et de commentaires d’extrême droite sur des sites comme Rebel Media ou Infowars. Tout comme leurs homologues d’autres pays, les membres du groupe sont méfiants à l’égard des médias grand public et dévient souvent vers les conspirations extrêmes.
Un bon exemple de cette propension s’est révélé lorsque quatre chasseurs ont été portés disparus au nord de l’Alberta à la fin avril. Bien que l’incident ait été un accident, Beau Welling a laissé entendre qu’il était possible que des djihadistes les aient tués et qu’il devait y avoir des « camps d’entraînement terroristes » dans le nord de l’Alberta. Le 21 mai, il a ajouté en ligne qu’il avait effectué une « enquête secrète » sur une mosquée du nord-est de Calgary où il croyait (sans preuve à l’appui) que des djihadistes effectuaient un entraînement. En surveillant la mosquée, il affirme avoir vu des personnes y introduire des caisses à 4 h 30 le matin, qui, d’après lui, devaient être pleines d’armes à feu et de munitions (il n’a fourni aucune preuve pour défendre ces allégations non plus). Lors de notre entrevue, il a affirmé que lui-même et son groupe « enquêtaient activement » sur 16 mosquées au Canada.
« Ces mosquées, d’après les renseignements que nous avons recueillis, servent de façades pour des cellules d’entraînement terroristes, a-t-il dit. Nous allons continuer de surveiller ces mosquées et d’avoir à œil ces situations. »
Beau Welling, évoquant le tireur d’Ottawa et le complot terroriste des Toronto 18, a affirmé que le groupe considère ces mosquées comme les plus grandes menaces, tant existentielles que physiques, et a laissé entendre, de manière alarmante, que le groupe serait prêt à poser des « gestes concrets » s’il estimait que « le gouvernement ne protégeait pas les vies des Canadiens ».
Barbara Perry pense que le groupe et capable d’aller encore plus loin.
« Je soupçonne que c’est de la poudre aux yeux à 60 %, mais on ne peut pas minimiser le risque dans un cas comme celui-ci. C’est beaucoup trop précis et étroitement défini. Je vois [le rassemblement de Calgary] comme une première étape dans le passage du discours à l’action, nous a-t-elle dit. Je ne crois pas qu’ils vont passer de 0 à 60, mais je crois qu’il y aura une augmentation des activités. »
À savoir si la « cueillette de renseignements » sur les mosquées n’est qu’une façade, Perry affirme que cela semble cohérent avec les activités du groupe, et que la surveillance se fait probablement à un certain degré. D’après elle, la prochaine étape logique serait de cibler ces mosquées dans le but de manifester ou de faire du vandalisme.
En apprenant que le groupe affirmait surveiller les mosquées, Elghawaby s’est dite consternée.
« C’est très inquiétant d’apprendre qu’une telle chose se produit au Canada. Nous nous tournons certainement vers les organismes d’application de la loi afin qu’ils surveillent tout risque ou menace à la sécurité et au bien-être de nos communautés d’ici comme d’ailleurs », a-t-elle dit à VICE.
Un groupe unique dans l’écosphère de l’extrême droite au Canada
Les threepers se vantent d’être lourdement armés. Dans une publication demandant aux membres de montrer leur « équipement », on peut voir des membres posant avec une vaste gamme d’armes à feu passant des armes de poing aux fusils de chasse en passant par ce qui semble être des fusils d’assaut. Les armes ne sont pas achetées par le groupe lui-même, mais appartiennent aux membres et sont mises en commun lorsque ces derniers se joignent. Ryan Scrivens, un doctorant à l’école de criminologie de l’Université Simon Fraser qui s’intéresse à l’extrême droite au Canada, explique qu’il s’agit là d’un des nombreux facteurs qui différencient les Three Percent d’autres groupes semblables.
« Honnêtement, je suis surpris qu’ils soient aussi armés », nous a-t-il confié. « Ça n’est pas typique des groupes d’extrême droite, du moins au Canada. On ne trouve pas tant cette mentalité de survivalisme armé au Canada. »
Le groupe, de son propre aveu, effectue de l’entraînement au tir paramilitaire mené par des membres qui affirment être eux-mêmes d’ex-militaires. Beau Welling nous a expliqué que le groupe s’entraînait sur une base hebdomadaire et pratiquait les signaux de la main, les mouvements de peloton et les exercices de tir et d’assaut à l’aide de véhicules, ce que confirme le groupe Facebook privé. Il nous a aussi dit qu’un ancien médecin militaire était apparemment toujours sur place lors de ces exercices, et les conversations dans le groupe privé indiquent qu’ils s’exercent dans des résidences rurales de différents membres du groupe et sur un site en bordure de la rivière Red Deer près de Penhold.
La légalité de ce type d’entraînement est douteuse. La Section 70 du Code criminel canadien intitulée « Exercices illégaux » interdit les « réunions de personnes, sans autorisation légale, dans le dessein : (i) soit de s’entraîner ou de faire l’exercice, (ii) soit de suivre des séances d’entraînement ou de maniement des armes, (iii) soit d’exécuter des manœuvres militaires ». Les individus ne respectant pas la loi à cet égard s’exposent à des peines allant jusqu’à cinq ans s’ils sont déclarés coupables d’exercices illégaux.
En fait, la légalité du groupe en tant que tel est elle-même douteuse. Beau Welling affirme que le groupe comprend très bien la précarité légale liée au terme de « milice » au Canada, et hésite donc à décrire le groupe comme tel. Diriger une milice n’est généralement pas illégal au Canada, mais certaines lois et certains codes relatifs aux armes à feu, comme la section 70, interdisent les milices. Les threepers ne l’ignorent pas – en témoignent leurs règlements affichés dans le haut de leur page Facebook, qui affirment : « Nous ne sommes PAS une milice ».
« Nous nous décrivons plus ou moins comme un groupe survivaliste, un groupe de plein air, mais nous utilisons souvent le terme de milice, a dit Beau Welling. Rien ne sert de s’en cacher, vous pouvez nous qualifier comme vous voulez, on utilisera le terme de milice, il n’y a pas a avoir honte. »
La menace d’actes violents de la part des Three Percent est probablement basse, selon Scrivens et David C. Hofmann, qui étudie les groupes d’extrême droite à l’Université du Nouveau-Brunswick. Ces derniers nous ont expliqué que ces groupes font généralement de la planification en vue d’un événement ultérieur plutôt que de planifier et d’effectuer des raids ou des attaques. Toutefois, ils ont tous deux ajouté qu’il est de nos jours difficile de prévoir les activités de tels groupes. Hoffman nous a expliqué que la menace de gestes violents dépend généralement de la manière dont ils sont abordés par les organismes d’application de la loi.
« Les Three Percent et autres groupes semblables n’auraient pas vu le jour si ce n’était des réseaux sociaux, en particulier Facebook, qui leur permettent de créer des communautés isolées et de s’organiser secrètement. Les réseaux sociaux facilitent la diffusion d’idées américaines, comme les Three Percent, au nord de la frontière », a expliqué Hofmann.
Organisés et « prêts à frapper »
Dernièrement, l’extrême droite est en hausse au Canada et aux États-Unis. En période de conflits sociaux et économiques, il se forme toujours des groupes réactionnaires. Des publications extrémistes se souciant davantage des histoires que des faits ont également joué un rôle. Au Canada, nous avons été témoins de la grande montée et de la possible chute des Soldats d’Odin, qui ont donné naissance à des groupes dissidents comme Storm Alliance et à une montée de ce qu’on ne peut qualifier que d’anti-anti-islamophobie avec des rassemblements à travers le Canada organisés par des groupes comme World Coalition Against Islam, Pegida Canada et la Canadian Combat Coalition. Aux États-Unis, les milices qui se sont formées pendant la présidence de Barack Obama sont encore actives à la frontière, et certains groupes armés comme les Oath Keepers ont fait sentir leur présence devant des mosquées.
Les plus récentes statistiques sur les crimes haineux publiées par le Canada démontrent qu’il y a eu une augmentation de 60 % des crimes haineux contre les musulmans de 2014 à 2015. En général, les crimes haineux ont augmenté de cinq pour cent au pays, tandis qu’en Alberta, ils ont augmenté de 39 %. Le souvenir des six hommes tués par balle dans une mosquée de Québec par Alexandre Bissonnette est encore frais dans la mémoire des Canadiens. Bien qu’on ne connaisse pas encore les motifs exacts qui ont poussé Bissonnette à l’acte, il a été fréquemment décrit par des gens qui le connaissaient comme étant un troll d’extrême droite en ligne.
Une étude publiée par Perry et Scrivens en 2015 a démontré que dans les 30 dernières années au Canada, le nombre de morts causées par des groupes d’extrême droite dépasse de loin le nombre de morts attribués aux djihadistes. Ils ont également découvert qu’au moment d’effectuer leur étude, il existait plus de 100 groupes d’extrême droite au Canada, dont la majorité se trouvait en Alberta, au Québec, dans l’ouest de l’Ontario et en Colombie-Britannique. Une autre étude de 2015 effectuée cette fois-ci aux États-Unis par le « Triangle Center on Terrorism and Homeland Security » a révélé, après avoir interrogé 328 organismes d’application de la loi, que 73,8 % d’entre eux plaçaient la violence d’extrême droite en tête de liste des menaces touchant leur territoire de compétence.
Tout cela nous amène là où nous sommes actuellement : dans un rassemblement pour la « liberté d’expression » (lire : pour l’anti-anti-islamophobie) à Calgary mené par un groupe d’hommes qui s’entraînent à des activités paramilitaires et qui proposent de la « sécurité ». Il est inutile de mentionner combien ce groupe serait vu différemment (surtout par les organismes d’application de la loi) s’il s’agissait d’une douzaine de femmes et d’hommes musulmans effectuant des exercices semblables ou faisant des démonstrations de force.
« Nous sommes prêts à saigner et à payer avec nos vies pour le pays. »
Peu importe le double standard en jeu, les threepers s’organisent et prennent rapidement de l’ampleur. Le groupe est structuré en fonction de postes comme ceux de président provincial, sergent d’armes, trésorier, et divise la province en dix zones qui ont chacune leur dirigeant. À l’intérieur de ces zones, les membres choisissent d’occuper un rôle de « soldat » ou de « préparateur ». Mais les Three Percent semblent avant tout vouloir être une organisation paramilitaire.
« L’entraînement au combat ne constitue qu’une partie de notre formation, mais elle en est une grande partie. Nous sommes prêts à saigner et à payer avec nos vies pour le pays », m’a dit Beau Welling.
Pour répondre au besoin et au désir du groupe de s’entraîner, le chapitre albertain a entamé des démarches pour se procurer un terrain de 65 hectares en Alberta, qui servirait de « camp d’entraînement, d’installations et de terrain de chasse ». Questionné à ce sujet, Beau Welling affirme que le groupe a déjà procédé à l’achat du terrain. En apprenant cela, Hofmann n’était pas surpris.
« En toute probabilité, ils cherchent à se fortifier », a dit Hofmann. « Ils cherchent à construire des clôtures pour se protéger d’un gouvernement soi-disant hostile. Ils cherchent probablement à accumuler des armes et de la nourriture et à effectuer de l’entraînement militaire. Ce sont des activités typiques. »
Beau Welling voudrait pouvoir transmettre des « avertissements » à son groupe, et ce dernier travaille donc sur un « système d’alerte » et un « système de niveau de menace » à cet effet. Il y a plusieurs mois, il a découvert une histoire (vieille de trois ans à ce moment-là) concernant la fermeture d’une mosquée de Calgary liée à la radicalisation de trois hommes, et a demandé à son groupe de se préparer.
« Prêt à frapper, j’attends seulement le signal », peut-on lire dans les réponses du groupe privé.
Beau Welling a reçu de nombreux commentaires de membres affirmant qu’ils étaient prêts et impatients de combattre « les envahisseurs ».
À plusieurs reprises, Beau Welling et les threepers ont exprimé un désir de patrouiller la frontière. Dans les derniers jours, Storm Alliance, un autre groupe, acommencé à se rendre à la frontière du Québec afin d’assister aux déplacements des réfugiés. Wellling a affirmé qu’il avait déjà patrouillé la frontière avec son groupe, mais que la chose n’était pas fréquente. Face à l’idée que le groupe patrouillait la frontière, Perry a décrit leurs activités et préoccupations relatives à la frontière comme étant « inquiétantes ».
« Cela me terrifie, ça me terrifie absolument. C’est quelque chose de très différent que nous n’avions pas vu auparavant chez d’autres groupes s’opposant aux autorités », a-t-elle ajouté.
« C’est une approche beaucoup plus américaine. Nous en avons vu les conséquences là-bas, il y a eu des homicides à la frontière. Il y a eu des fusillades et des batailles à la frontière. Alors ça me terrifie réellement. »
« J’espère vraiment qu’il s’agit d’un cas isolé », dit-elle.
Prêts à se défendre contre l’État
De retour au Denny’s de Calgary, Beau Welling prend une gorgée de café et demande à son jeune fils, qui l’a accompagné à l’entrevue, s’il veut un smoothie, pour ensuite aborder le sujet des récents attentats terroristes au Royaume-Uni. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois qu’il mentionnera les attaques de Manchester et de Londres. Il ressort clairement de la conversation que l’existence des Three Percent est intrinsèquement liée aux conflits politiques actuels.
Il affirme que le Canada se perd, peu importe ce que cela peut bien vouloir dire, et qu’il est temps de passer à l’action. Il affirme également que son groupe est prêt à être en désaccord avec l’État quant aux activités du groupe. Après s’être fait demander ce qu’il ferait si le système juridique du Canada venait à sa recherche et à celle du reste des Three Percent, il marque un temps et offre une réponse cryptique.
« Si le mandat n’est pas fondé, ils pourraient s’attendre à ce que nous résistions. Mais si le mandat était fondé, alors nous dirions au membre en question de se rendre, dit-il. S’il s’agissait d’un mandat de perquisition, ils pourraient très probablement s’attendre à ce que nous résistions, parce que ça ne serait pas justifié. »
« Nous voulons le bien, et nous nous battrons pour ce qui est juste et honnête. »
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source :
- vice
- Par MACK LAMOUREUX;
- traduit par JULIEN MICHALAK
https://www.vice.com/fr_ca/article/9k5jdv/la-naissance-du-groupe-de-patriotes-canadiens-armes-et-anti-islam