Ancien magistrat devenu député (Les Républicains) du Rhône, Georges Fenech a présidé la commission d’enquête « relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 ». Publié en juin, le rapport de la commission a été snobé par l’exécutif. Depuis, Georges Fenech revient sans cesse à la charge.

{{Depuis les derniers attentats, le défaut d’anticipation que vous dénoncez reste-t-il le même ?}}

On manque d’anticipation face à l’augmentation exponentielle du nombre de personnes radicalisées dans notre pays : autour de 15 000. Ce sont des personnes qui présentent un danger et qui peuvent passer à l’acte. Manque d’anticipation aussi face aux quelque 2 160 ressortissants (c’est le chiffre officiel) qui sont en Irak et en Syrie et qui, tôt ou tard, vont revenir.
D’autant que Daech connaît des reculs sur le terrain ?
Plus Daech perd du terrain, plus on aura des retours. Or, dans les prisons françaises, on a recensé 1 500 détenus radicalisés. On ne pourra pas continuer de donner trois cellules à Salah Abdeslam alors que 1 600 personnes dorment par terre sur des matelas. Tout cela va exploser. Le Premier ministre et le garde des Sceaux l’ont compris et vont lancer à l’automne un plan pénitentiaire. Mais je crois qu’on est encore en dessous de l’anticipation des afflux à venir.

{{Quand les djihadistes reviennent, que fait-on ? On les stoppe et on les enferme ?}}

Il y a deux situations. Face à ceux qui peuvent être judiciarisés, le parquet de Paris a une attitude très ferme, bien plus résolue qu’il y a un an, en requérant l’ « association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes », qui peut aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement. Il existe aussi des individus contre lesquels on n’a pas de charges spécifiques et qui présentent un réel danger. Ils ont vécu voire commis des choses terribles et peuvent être tentés d’aller jusqu’au bout et de mourir en martyrs sur le territoire national. Contre ces personnes-là, souvent fichées S, on n’a pas de mesures d’anticipation. C’est pourquoi, dans l’opposition, nous réclamons des centres de rétention administratifs pour qu’elles soient évaluées de manière coercitive. Mais la gauche est très hostile à la privation de libertés tant qu’il n’y a pas de passage à l’acte. C’est vrai que c’est un sujet très difficile sur le plan des règles constitutionnelles. Mais à situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.

{{Et changement de la législation en vigueur ?}}

Il faut changer les textes et peut-être même adapter la Constitution. Nous souhaitons aussi, dans l’opposition, que la rétention de sûreté soit étendue aux actes terroristes, le temps là encore d’évaluer la dangerosité des individus, avec tous les recours possibles bien sûr et l’assistance de l’avocat. La gauche y est également hostile.

{{Ces mesures auraient-elles pu empêcher l’égorgement du Père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray ?}}

On ne peut jamais dire les choses comme ça. Le risque zéro n’existe pas. Mais entre le risque zéro et le risque maximum, il y a le risque minimum. On avait des signes indicateurs de la dangerosité des terroristes. Adel Kermiche est l’exemple même de la contamination en milieu pénitentiaire. On peut penser qu’il aurait fait l’objet d’une telle mesure.

{{Vous êtes favorable à des établissements dédiés…}}

Notre parc pénitentiaire n’est absolument pas adapté à ces populations. Il y a dans les prisons un prosélytisme, un caïdat religieux où les plus forts obligent les plus faibles à faire leurs prières, à ne pas se doucher nu, à changer leur style de vie, etc. Il y a aussi un problème de sécurité, avec le risque de prises d’otages, d’évasions, le problème des parloirs et celui des portables : en 2015, 30 000 portables ont été saisis dans les prisons ! Or le portable, c’est l’accès à Internet, et à Daech. À titre personnel, je suis favorable à des établissements pénitentiaires entièrement dédiés à cette population pénale, où seraient regroupés une maison d’arrêt pour les prévenus et un centre de détention pour les longues peines. On a caricaturé cette proposition en la qualifiant de Guantanamo à la française. Ce n’est pas cela du tout. L’objectif, ce serait la déradicalisation, puis la réinsertion, dans le respect de l’Etat de droit.

{{Certains de vos collègues des Républicains disent que l’Etat de droit n’existe pas…}}

Bien sûr que l’Etat de droit existe, et personne ne parle d’en sortir ! L’Etat de droit, c’est garantir à un individu des droits par rapport à la puissance étatique. C’est le respect des principes généraux et universels du droit, comme ne pas pratiquer la torture, donner le droit d’avoir un avocat, le droit de comparaître devant un juge.

{{Quand le beau-frère de Cherif Kouachi, le terroriste de Charlie Hebdo, est arrêté à la frontière turque, vous vous dites qu’on a encore loupé quelque chose ?
}}

On a tout loupé ! La Commission d’enquête montre que, depuis Charlie Hebdo, tous les auteurs d’attentats étaient dans nos radars. Ils sont tous passés à l’acte. Ces attentats sont des échecs des services de renseignement. D’où nos propositions, notamment, de revoir de fond en comble le renseignement avec une base commune du renseignement qui n’existe pas, et de créer une agence nationale de lutte contre le terrorisme placée auprès du président de la République. On a aujourd’hui un simple coordinateur, qui travaille avec cinq agents !

{{La France a-t-elle agi avec naïveté sur ces sujets ?}}

Entre les attentats de Kelkal en 1995 et ceux de Merah en 2012, on n’a sans doute pas pris la mesure de ce qui allait nous exploser en pleine figure, ce salafisme radical violent qui est en train d’inoculer une partie de la société. Pourtant, on sentait monter quelque chose. Lorsque j’étais président de la Miviludes (lutte contre les sectes), de 2008 à 2012, j’avais été saisi de signalements de familles qui s’inquiétaient de voir leur fille porter le voile, arrêter l’école, changer de style de vie. J’avais demandé si la Mission devait aussi s’intéresser aux dérives sectaires dans l’Islam. La réponse avait été négative et j’étais retourné m’occuper des Témoins de Jéhovah et des Raëliens…

source : 15 août 2016 à 12h29 L’OPINION