La question est soulevée par deux universitaires tunisiens, Sonia Kebaïli et Atf Azzouna (Université de Tunis El Manar) dans le dernier numéro de Recherches en didactiques. Dans un pays où le créationnisme est partagé même par des enseignants, ils rendent compte de trois expériences dans le cours de SVt en lycée. Une certitude : même dans ce contexte, le désassujettissement est possible à condition d’une approche pédagogique particulière.
{{Un savoir « chaud »}}
En France aussi les professeurs de SVT ont à faire avec le créationnisme. Cette théorie qui remet à un personnage divin la création des êtres vivants est partagée par de nombreux courants religieux ou philosophiques qui sont présents sur le territoire national. En 2009, Annie Mamecier, doyenne du groupe des Sciences de la vie et de la terre à l’Inspection générale, évaluait à 5 à 10% le nombre d’élèves touchés par cette doctrine. On les trouve dans tous les milieux sociaux et toutes les obédiences religieuses. Les enseignants sont particulièrement ciblés par les groupes actifs qui propagent cette doctrine. Il n’est pas rare qu’ils reçoivent dans leur établissement de la propagande créationniste.
Ce savoir « chaud » est torride en Tunisie où le créationnisme est majoritaire chez les enseignants, d’après une étude de 2008. D’après Sonia Kebaïli et Atf Azzouna , les manuels scolaires évitent la question particulièrement quand il s’agit de l’évolution des primates.
{{S’adapter aux élèves}}
Sonia Kebaïli et Atf Azzouna se sont inspirés des travaux de Foucault et d’Astolfi pour proposer une démarche mise à l’épreuve dans la pratique dans 3 classes de lycée. Le choix des lycées s’est fait sur un critère social en allant d’un lycée populaire où le fixisme créationniste était mobilisé au départ par un élève sur cinq à des lycées plus privilégiés où il était nul ou très faible.
Dans ce dispositif , cette évaluation de départ est particulièrement importante. C’est elle qui va permettre à l’intervenant de déterminer ses échanges avec la classe. Il s’adapte à chaque fois au public avec qui il va dialoguer.
Car l’autre élément clé du dispositif c’est le débat argumenté entre un scientifique et la classe. L’article paru dans Recherche en didactiques transcrit plusieurs des échanges et on voit bien les transformations d’une classe à l’autre pour faire passer la théorie de l’évolution.
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Un débat argumenté}}
Cela va depuis les questions portant sur la spéciation (Madame il y a de nouvelles espèces qui apparaissent maintenant ?) à des choses plus frontales (Madame dieu a dit xxx les paroles de dieu sont claires) ou encore (dieu il ment ? Nous ne le croyons pas !). Entre les deux, de nombreux thèmes, de nombreux aspects sont abordé spar les élèves ce qui montre d’ailleurs la puissance de ces échanges.
L’article donne aussi les réponses du scientifique qui travaille avec la classe. Ce qui est très fort c’est qu’il présente l’évolution comme un programme de recherche et non comme un savoir balancé d’en haut. Aux questions des élèves il répond en expliquant comment on est arrivé à l’évolutionnisme. Les élèves sont confrontés à la construction de la théorie. « Moi je parle de faits , la théorie se base sur des faits, des choses concrètes et réelles ». Il n’entre pas non plus en conflit avec le religieux (« si tu es convaincu de l’existence de dieu ce n’est pas la théorie de l’évolution qui va te l’enlever !… Je ne vais pas entrer avec toi dans une polémique comment dieu a créé l’homme. On ne peut pas expliquer la science par la religion »).
{{Déstabiliser ce qui est stabilisé}}
Dans les trois lycées le questionnaire de fin de parcours montre une nette progression de la théorie de l’évolution par rapport au fixisme et au transformisme dans les représentations des élèves.
Pour les auteurs, « l’adoption d’une problématisation non formelle est en mesure de déstabiliser ce qui est stabilisé, d’aider à problématiser scientifiquement des questions assujetties aux pouvoirs du socioculturel et de l’institutionnel et de procurer aux élèves des occasions d’ouvertures favorisant une éducation scientifique ». Cela grâce à deux points : un diagnostic périodique dans une logique formative et non de contrôle, d’autre part la prise en compte des différences entre les élèves.
François Jarraud
Recherches en didactiques, n°21, Pratiques et recherches en didactiques, mai 2016. ISBN 979-10-90290-10-5
source:
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2016/07/12072016Article636039051109997599.aspx