Trois questions sur le témoignage d’une ancienne membre de l’Opus Dei par Claire Lesegretain du journal »
{{Quelle est l’origine de ce livre ?}}
En 1992, paraissait en Espagne Tras el umbral (1), un témoignage très critique sur l’Opus Dei, cette institution de l’Église catholique fondée en 1928 par le prêtre espagnol Josemaria Escriva de Balaguer, et devenue prélature personnelle en 1982. L’auteur de ce livre, Maria del Carmen Tapia, racontait de manière précise ses dix-huit années (1948-1966) au sein de l’Opus Dei. Elle en était devenue membre à 23 ans, en partie sous l’influence du P. Raimon Panikkar (2), et s’y était engagée comme « numéraire » (célibataire consacrée).
Après huit ans passés à servir dans des maisons de l’Œuvre à Madrid et à Rome, elle fut envoyée au Venezuela pour prendre en charge l’apostolat des femmes. Ce qu’elle fit avec succès pendant neuf ans… jusqu’à ce jour d’octobre 1965 où, sans la moindre explication, dit-elle, elle fut renvoyée au siège de l’Œuvre à Rome. Là, elle fut assignée à résidence et traitée en paria. « Tu es une misérable, une ordure ! », lui hurle le P. Escriva en lui laissant le choix entre démissionner ou provoquer « le déshonneur ». Elle quittera l’Opus Dei fin mai 1966, tout en restant célibataire consacrée.
En publiant son témoignage, Carmen Tapia souhaitait apporter des éléments à l’« avocat du diable », chargé d’argumenter contre la béatification de Mgr Escriva de Balaguer. Bien que salué comme l’un des témoignages les plus documentés sur l’Opus Dei et traduit en anglais, en allemand, en portugais et en italien, ce livre n’était jamais paru en France. Jusqu’à ce que Jean Mouttapa, éditeur chez Albin Michel, décide de le faire traduire.
{{En quoi ce témoignage pose-t-il question ?}}
Neuf ans après la publication de son livre, et quelques mois avant la canonisation par Jean-Paul II de Mgr Escriva, le 6 octobre 2002, Carmen Tapia avait envoyé une déclaration à l’agence de presse italienne ANSA. « Ma position par rapport à l’Église catholique a toujours été celle d’un amour filial, indiquait-elle en décembre 2001. Ce serait donc une lourde erreur que d’utiliser mon livre pour mettre en doute la sainteté du fondateur de l’Opus Dei. J’ai connu personnellement Mgr Escriva et j’ai toujours constaté que ses efforts s’orientaient entièrement vers le bien de l’Église et des âmes. » Carmen Tapia ajoutait même qu’elle avait « eu recours de nombreuses fois » à l’intercession de Mgr Escriva depuis son décès et qu’elle avait été « souvent exaucée ».
Aujourd’hui âgée de 91 ans, Carmen Tapia « ne renie rien » de son livre et explique sa déclaration de 2001 par son seul désir d’« aller dans le sens de l’Église et ne pas donner l’impression de m’opposer à une décision du pape ». Elle avait appris, en 1992, que son livre n’avait pas été utilisé lors du procès en béatification, l’avocat du diable étant membre de l’Opus Dei.
{{Quelles sont les réactions à ce livre depuis sa parution en France ?}}
Pour Béatrice de La Coste, porte-parole de l’Opus Dei en France, « les changements d’attitude de son auteur suffisent à discréditer ce livre ». « Les contre-vérités et distorsions de la réalité qui émaillent l’ouvrage ont été largement et formellement démenties par nombre de témoins oculaires », peut-on lire également sur le site de l’Œuvre. De son côté, Aymeri Suarez-Pasos, ancien « numéraire » (1991-2005) aujourd’hui président de l’Avref (Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles), affirme que« tout ce qui est décrit par Carmen Tapia est toujours vrai, car l’Opus n’a pas changé d’un iota ». Selon lui, l’Œuvre continue de « manipuler l’histoire, de piétiner les consciences, de contourner le droit canonique et de cacher ses documents internes ».
Claire Lesegretain
http://www.la-croix.com/Religion/Monde/Trois-questions-temoignage-ancienne-membre-Opus-Dei-2016-04-14-1200753314
(1) Au cœur de l’Opus Dei », Marie del Carmen Tapia, Albin Michel, 464 p., 22,90 €. (2) Ce théologien indo-espagnol (1918-2010) fut prêtre de l’Opus Dei de 1940 à 1966.