«L’experte mondiale d’Anonymous»: c’est ainsi que Gabrielle Coleman, anthropologue de l’Université McGill, a été décrite par la revue américaine Chronicles of Higher Education.
Mme Coleman vient de publier le livre Hacker, Hoaxer, Whistleblower, Spy, the Many Faces of Anonymous, après avoir passé d’innombrables heures dans les forums de discussion fréquentés par les membres du groupe d’activistes et avoir rencontré quelques-uns d’entre eux. La Presse s’est entretenue avec elle.
Q: Pourquoi vous êtes-vous intéressée à Anonymous?
R: Durant mes études de doctorat, je devais travailler sur des guérisseurs en Guyane. Je suis tombée malade et j’ai dû passer beaucoup de temps alitée. J’ai découvert les recoins de l’internet et ça m’a incitée à me pencher plutôt sur les pirates [hackers]. Par la suite, j’ai fait un postdoctorat sur la scientologie et j’ai été témoin des attaques d’Anonymous contre cette secte après qu’elle a tenté d’empêcher la divulgation d’une vidéo de prosélytisme mettant en vedette Tom Cruise.
Q: Y a-t-il un lien entre l’opposition à la scientologie et l’appui à WikiLeaks?
R: N’importe qui peut prendre le nom d’Anonymous. Une nouvelle section est née à partir du groupe d’utilisateurs de Pirate Bay, un site de partage de musique et de films. C’est elle qui a soutenu WikiLeaks après que ce site s’est vu refuser l’utilisation des services bancaires. Cela dit, Julian Assange, de WikiLeaks, a combattu la scientologie par le passé. Il a publié sur WikiLeaks de nombreux documents secrets de la scientologie.
Q: Comment avez-vous fait votre recherche sur Anonymous?
R: J’ai pris une approche ethnographique, holistique. Je me suis intéressée à leur code d’éthique interne, à leur impact politique, à partir des conversations en ligne dont j’ai été témoin. J’ai dû gagner leur confiance, montrer que je n’étais pas menaçante. Je crois que l’anonymat a rendu la collaboration plus facile. Au coeur de l’éthique d’Anonymous se trouve le rejet de la célébrité et de la reconnaissance publique. Certains membres d’Anonymous ont transgressé ces aspects du code et ont été mis au ban du groupe.
Q: Justement, la célébrité de Julian Assange ne devrait-elle pas être un point négatif pour Anonymous?
R: Les gens d’Anonymous sont bien conscients des limites de leur insistance sur l’anonymat. Ils sont conscients que, pour certaines luttes sociales, une figure de proue est nécessaire.
Q: Quelle est l’affiliation politique majoritaire des membres d’Anonymous? Votent-ils pour Barack Obama?
R: C’est assez diversifié, mais il y a très peu de conservateurs anti-avortement ou très religieux. On va des anticapitalistes aux libertariens adeptes du laisser-faire économique.
Q: Avez-vous été surprise par certaines données de vos recherches sur Anonymous?
R: On pense généralement qu’il s’agit d’hommes blancs de la classe moyenne qui sont en colère contre la société. Des hommes aliénés. C’est vrai jusqu’à un certain point, mais il y a plus de diversité culturelle que ce que je pensais. J’ai aussi constaté que l’accent est vraiment sur les questions liées à l’internet. Les enjeux sociaux ne sont presque pas abordés.
Q: Anonymous a-t-il des affinités avec les pirates criminels et les pirates militaires, par exemple ceux de l’armée chinoise?
R: La fraude informatique est très peu présente dans la culture d’Anonymous. Ses membres ne veulent pas être impliqués dans des réseaux criminels ou des actions militaires étrangères. La criminalité organisée et les pirates militaires habitent des mondes totalement étrangers à Anonymous, qui a généralement l’impression que ces deux types de piratages lui donnent injustement une mauvaise réputation. Anonymous veut être vu comme un groupe d’action politique, de «hacktivisme».
ANONYMOUS EN CHIFFRES
5 millions US
Coût de l’attaque d’Anonymous contre PayPal en 2010, parce que PayPal avait suspendu le compte transactionnel de WikiLeaks.
80
Nombre de membres d’Anonymous qui ont participé à la Million March à Montréal, le 5 novembre dernier, au square Victoria. Des marches similaires ont eu lieu le même jour dans 480 autres villes.
source : MATHIEU PERREAULT
La Presse