Une affaire très sensible de maltraitance supposée sur de jeunes enfants était jugée hier au tribunal de grande instance de Tours. A la barre, un couple de trentenaires : lui, solide bonhomme à l’élocution irréprochable ; elle, femme frêle et plus hésitante. Ils doivent répondre de l’état de santé plus que précaire de deux de leurs enfants.
Tout commence à l’été 2010. Le père remarque une déformation du coude gauche de l’un de ses jumeaux, nés 9 mois plus tôt. Il l’emmène à l’hôpital Clocheville de Tours le 28 juillet pour passer une radio. Celle-ci révèle cinq fractures : aux avant-bras, dont les deux os sont tordus ainsi qu’aux tibia et cheville droits.
La liste ne s’arrête pas là puisque le médecin observe une lésion à la lèvre et une perte de poids. L’autre jumeau passe également une radio qui révèle deux fractures anciennes. Les médecins n’ont pas d’explication claire concernant l’origine de ces blessures.
Pourrait-on être face à la maladie des os de verre, qui entraîne une fragilité des os et une très faible masse osseuse ? Un cortège d’experts, sommités nationales de la médecine, est alors chargé de répondre à cette question. Ceux-ci apparaissent dubitatifs pour plusieurs raisons : l’aîné de la fratrie passe des examens qui ne révèlent rien, et il n’y a pas d’antécédent connu dans la famille.
La maladie étant génétique, la piste est écartée. Le diagnostic de violences est donc privilégié, à travers des torsions voire des secousses : le rapport évoque l’image de la branche qu’on prend aux deux bouts et qu’on casse. Les jumeaux sont tous deux placés en famille d’accueil.
Concernant le profil des parents, la fragilité de la mère est mise en avant. Née au Liban, elle grandit dans un contexte de guerre qui la marque, ainsi que le décès prématuré de son père. « Je fais du mieux que je peux, explique-t-elle. Si je bats deux de mes enfants, pourquoi ne battrais-je pas les deux autres ? » Car un quatrième fils est venu agrandir la famille en 2011. Mais la présidente rétorque que ces jumeaux sont des « enfants particuliers ».
Nés prématurés, ils sont retirés des mains de leur mère à peine venus au monde. En grandissant, l’un des deux enchaîne les maladies, pleure beaucoup, ne mange pas bien. Cela pourrait-il avoir poussé les parents à bout ? « Dans ma mentalité, ça n’existe pas, les enfants parfaits ou imparfaits », se défend la maman.
Les médecins n’ont pas d’explications claires
La présidente hausse le ton : « Vous avez tendance à vous cacher derrière de belles phrases. Là, vous êtes face à des faits. Toutes les mères craqueraient dans ce cas-là, c’est humain. » Le père explique que « ce qui s’est passé nous échappe complètement ».
L’hypothèse des barreaux de lit entre lesquels les jumeaux auraient pu se coincer les membres est évoquée. Et pour les lésions aux gencives : des coups de cuillère ? Des piqûres d’araignées ? Le doute subsiste. Reste que, depuis leur placement, l’état de santé des bambins s’est sensiblement amélioré.
Du côté de la partie civile, c’est l’Adavip (Association d’aide aux victimes d’infractions pénales) qui est mandataire ad hoc des enfants. L’avocat met en avant le rapport des experts selon lequel il s’agit de gestes violents, volontaires : « Tous les éléments du dossier nous ramènent à vous. » Il réclame 5.000 € d’indemnité provisionnelle pour chacun des jumeaux.
Le procureur parle de ce couple comme d’un « bloc monolithique » qui fait front, mais regrette que cela se fasse « au détriment de la vérité et des enfants ». Il requiert deux ans de prison avec sursis pour la mère et un an avec sursis pour le père.
L’avocat de la défense parle des deux seules certitudes du dossier : les fractures et le caractère aimant des parents, que personne ne conteste. « Il y a peut-être eu maladresse, pas maltraitance. » Me Bendjador se rappelle des retrouvailles émouvantes entre les parents et leurs jumeaux, aujourd’hui âgés de 5 ans, qui ont récemment regagné le domicile familial. Il plaide la relaxe au nom du « doute ». La décision est mise en délibéré au 24 novembre.
source : la nouvelle république.fr
par Sébastien Bourcier