Dans la nuit du 5 octobre 1994, peu avant l’aube, 23 cadavres sont découverts dans une ferme en feu de Cheiry. Les corps sont enveloppés dans des habits de cérémonie. A peu près au même moment, un chalet en feu à Salvan livre 25 cadavres.

Le juge instructeur valaisan Jean-Pascal Jaquemet était de permanence cette nuit-là. Il se souvient avoir été appelé à Salvan pour un incendie. Il dit avoir été frappé par l’ampleur et la monstruosité de ce drame. Et aussi réconforté par la certitude d’être vraiment appuyé par la police cantonale.

Affaire complexe

«J’ai senti tout de suite la complexité de l’affaire», a-t-il confié. Un sentiment que l’actualité de cette journée allait rapidement confirmer. Le lendemain, les autorités canadiennes annonçaient la découverte de cinq cadavres carbonisés dans un chalet de Morin Heights.

Rapidement, l’enquête a pu mettre un nom sur le dénominateur commun de la tuerie: l’Ordre du Temple solaire. Une secte apocalyptique dont les membres semblaient s’être volontairement donné la mort pour atteindre une autre dimension. Les deux fondateurs de la secte, Luc Jouret et Joseph di Mambro, ont péri avec leurs adeptes.

Mais les questions demeurent. A Salvan, les victimes avaient absorbé des médicaments dérivés du curare. Les corps ne présentaient pas de trace de violence. A Cheiry, en revanche, 20 des 23 victimes portaient des impacts de balles, presque tous à la tête. Elles étaient vivantes au moment du premier coup de feu. Une partie des balles a été tirée avec un pistolet retrouvé à Salvan.

Débuts au grand jour

Les motivations sont tout aussi obscures. Tout débute dans les années 1980. Les conférences du naturopathe belge Luc Jouret séduisent des personnes ouvertes à l’ésotérisme, mais craignant l’apocalypse.

Avec Jo di Mambro, un escroc notoire, Jouret met en place les structures d’une communauté: l’Ordre du Temple solaire. En 1989, la secte affiche 442 membres, français, suisses et canadiens pour la plupart.

Le mouvement a vécu au grand jour. A coup d’articles dans les médias, de spots publicitaires, il présente l’image d’une communauté d’hommes et de femmes proches de la terre, de la nature, vivant dans le bonheur.

Cette façade cache une réalité plus obscure. Un cercle d’initiés entoure Luc Jouret et Jo di Mambro. Les deux gourous leur font croire qu’ils appartiennent à une élite qui pourra survivre à l’apocalypse dans un lieu spécialement aménagé.

L’argent manque

Le cocktail mystico-ésotérico-religieux servi par di Mambro à grand renfort d’effets spéciaux a convaincu la plupart des adeptes. Mais la condamnation au Canada de membres de la secte pour détention illégale d’armes a déréglé la machine.

Certains pourvoyeurs de fonds ont pris leurs distances, l’argent a commencé à manquer. Les maîtres de la secte ont alors préparé l’adieu à ce monde. Ils l’ont nommé le «transit vers Sirius» pour rester dans une tradition ésotérique.

Ce «voyage» qui a emporté, de gré ou de force, 53 personnes en Suisse et au Canada le 5 octobre 1994 n’est pas resté sans suite. En décembre 1995, 16 corps calcinés ont été retrouvés dans le Vercors en France. Et en mars 1997, cinq autres cadavres, calcinés eux aussi, ont été découverts au Canada. Tous étaient liés à la secte.

Un drame du passé

A Salvan, comme à Cheiry, il ne reste plus trace du drame. Les chalets et la ferme qui ont servi de cadre à la tuerie ont été rasés. Ils ont fait place à de nouvelles constructions. Rien ne vient en rappeler les tragiques événements.

«Ça a été un drame.» Roland Voeffray, président de Salvan, le reconnaît. Mais en définitive, plus personne n’en parle dans le village.

La page est tournée, même si les questions restent. Celles des parents et de proches des victimes. Jean-Pascal Jaquemet leur a ouvert sa porte durant l’enquête. Et même s’il n’a pas eu toutes les réponses, il espère qu’elles ont pu réconforter un peu ces personnes dans la peine.

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20 minutes.ch
30 septembre 2014