Les bénévoles ou les professionnels de l’aide à domicile pourront juste recevoir des « cadeaux d’usage » d’un montant qui devra rester raisonnable.
C’est l’histoire d’une vieille dame qui, au fil du temps, avait fini par confondre les euros avec les francs. « Elle avait pris l’habitude de donner de l’argent à son aide-ménagère, mais sans avoir conscience de l’importance des sommes versées. Un jour, sa fille a découvert qu’elle s’était ainsi délestée de plus de 4 000 € », raconte Sandra Sapio, coordinatrice-psychologue à la Fédération de la lutte contre les maltraitances, qui gère le numéro d’appel 3977. « Au final, la famille a porté l’affaire justice, mais elle a été déboutée, car il n’a pas pu être prouvé que la dame était démente ou désorientée », ajoute-t-elle.
Lutter contre la maltraitance financière
C’est pour lutter contre ce type de maltraitance financière que Michèle Delaunay, ministre des personnes âgées, souhaite inscrire dans la loi une disposition très concrète : l’interdiction, pour les personnes intervenant au domicile, de bénéficier de dons, de legs ou d’avantages financiers. « Notre volonté n’est en aucun cas de jeter l’opprobre sur le secteur de l’aide à domicile. Nous souhaitons juste protéger les personnes vulnérables contre certains abus qui, même s’ils restent rares, peuvent exister », explique-t-on au ministère.
Cette disposition figurera dans le projet de loi de l’adaptation de la société au vieillissement qui doit être présenté en conseil des ministres le 9 avril. Le texte prévoit d’interdire l’attribution de dons, legs et avantages financiers de toute nature aux personnes intervenant au domicile dans le cadre d’une prise en charge sociale ou médico-sociale.
Cette mesure s’appliquera aux administrateurs, aux employés, aux bénévoles et aux associations concernées. « La personne gardera toutefois la possibilité de faire, si elle souhaite, des cadeaux d’usage en donnant des sommes proportionnées à ses ressources, sans se démunir. Cela laissera, par exemple, la possibilité de verser des étrennes d’un montant raisonnable », précise une conseillère de la ministre.
Aujourd’hui, cette interdiction de recevoir des dons ou de legs s’applique déjà pour les personnes qui exercent dans des maisons de retraite ou dans le secteur de l’accueil familial. L’article 909 du code civil prévoit les mêmes dispositions pour les médecins, les pharmaciens ou les auxiliaires médicaux ayant prodigué des soins à une personne pour une maladie qui a, au final, entraîné son décès. Sur la même ligne, l’article 52 du code de déontologie médicale stipule qu’un praticien ne doit « pas davantage abuser de son influence » pour obtenir des avantages matériels de son patient.
Inscrire ces mesures dans la loi civile
Le secteur de l’aide à domicile a, lui aussi, déjà pris des mesures. « Une convention collective de 2010 prévoit que les intervenants au domicile ne peuvent pas recevoir de legs, de donations ni même de bijoux ou de procurations par exemple sur un compte bancaire », explique Vincent Vincetelli, juriste à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (Una). « Mais ces dispositions concernent le droit du travail. Elles peuvent permettre à un employeur de sanctionner un salarié indélicat. Mais, comme elles ne figurent pas dans le droit civil, elles ne permettent pas d’annuler en justice un legs qui aurait été octroyé dans ces conditions, sauf à prouver l’existence d’un état de faiblesse de la personne âgée. C’est ce qu’a confirmé une décision récente de la Cour de cassation », poursuit ce juriste, favorable à l’initiative du ministère. « Le fait d’inscrire la mesure dans la loi civile va permettre de renforcer la protection des personnes. »
Dans son dernier rapport annuel, la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires avait attiré l’attention sur la vulnérabilité de certaines personnes âgées et la nécessité de « renforcer le contrôle » des bénévoles intervenant à leur domicile. De longue date, l’association des petits frères des Pauvres se montre très vigilante dans ce domaine : « Nous intervenons le plus souvent auprès de personnes très isolées qui parfois finissent par considérer nos bénévoles ou salariés comme des membres de leur famille. Il faut donc faire attention pour prévenir tout risque de “marchandisation” dans notre relation avec ceux que nous aidons », souligne Daniel Bruneau, directeur de la communication.
Afin de lever toute ambiguïté, les petits frères des Pauvres ont créé un fonds de dotation pour recevoir les dons éventuels des personnes accompagnées. « Il arrive souvent que celles-ci nous disent qu’elles voudraient nous laisser quelque chose après leur décès. Mais, pour des raisons déontologiques, nous estimons ne pas pouvoir recevoir directement cet argent. Nous les orientons désormais vers ce fonds qui mène des actions pour les personnes démunies mais est juridiquement indépendant de notre association », précise Daniel Bruneau.
source : La Croix.fr