Dans la campagne de l’Utah, dans le grand ouest américain, à quelques encablures de Salt Lake City, un chaos organisé prend forme comme chaque matin dans la maison. Alina arrive la première, suivie par ses « soeurs épouses » Vicki et Valerie, et enfin leur mari Joe. Ce dernier a épousé les deux cousines, Alina et Vicki, en 1990. Dix ans plus tard, la soeur jumelle de Vicki, Valerie, les a rejoints. Son premier mariage polygame venait de tomber à l’eau. Dans sa nouvelle famille, elle embarque avec elle ses cinq enfants. Tout ce petit monde vit depuis sous le même toit, heureux. Ils ont même publié un livre en 2011 : Amour fois trois.
Pendant longtemps néanmoins, Joe Darger a craint d’être arrêté au nom de la loi anti-polygame de l’État de l’Utah. « Quand mon style de vie a été connu du public il y a quatre ans, j’ai vraiment eu peur, raconte le chef de famille. C’est un crime de troisième degré, ça veut dire beaucoup de temps en prison… Mes grands-pères déjà avaient été incarcérés, donc on a eu très peur ».
L’Etat dans la chambre à coucher
Mais depuis décembre, cette angoisse a quasiment disparu. Un juge fédéral américain a en effet annulé une partie essentielle de la loi anti-polygamie de l’Utah, la déclarant anticonstitutionnelle. Pour le juge Clark Waddoups, la législation interdisant les « cohabitations illégales » entre en désaccord avec le sacro-saint droit de la liberté de religion inscrit dans la Constitution américaine.
Alina Darger, qui travaille comme avocate sur des affaires impliquant la polygamie, se dit soulagée : « L’un des meilleurs aspects de cette décision est la dépénalisation. Le juge a estimé en gros que l’État ne devait pas s’immiscer dans la chambre à coucher des gens. Tant que nous sommes entre adultes consentants… Moi je ne me permettrais pas de dire à quelqu’un : « Vous ne pouvez pas choisir d’aimer qui vous voulez » », souligne-t-elle.
Mais ce que les Darger voient comme une intrusion injustifiée du gouvernement dans leur vie privée, d’autres l’assimilent au contraire à un élément essentiel de la protection des femmes et des enfants. Marion Munn a quitté le Royaume-Uni pour s’installer dans l’Utah après s’être convertie à une branche fondamentaliste de la foi mormone. Elle dit avoir fait partie d’une relation polygame pendant 18 ans. « C’est comme vivre dans l’adultère au quotidien, explique-t-elle. Et par-dessus tout, il faut sourire et prétendre que tout va bien parce que ça fait aussi partie de la culture ».
Vivre dans la polygamie par choix
Aujourd’hui, elle affirme que ce genre de mariages créent des inégalités intrinsèques entre l’homme et la femme. Et bien souvent, ils ne se font pas véritablement par choix. « Il ne s’agit pas vraiment de choix, car les Écritures mormones enseignent à une femme que si elle ne consent pas à vivre dans la polygamie, alors Dieu va la détruire, précise Marion Munn. Dans mon cas, je ne voulais pas vivre ainsi, mais je me suis sentie obligée de le faire pour des raisons de foi ».
Si ce mode de vie semble convenir aux Darger, une étude de 2011 de l’Université de Colombie-Britannique souligne que la polygamie entraîne des niveaux importants de crimes, violence, pauvreté et inégalités dans les communautés qui la pratiquent. Les Nations unies ont appelé à interdire la polygamie, dans le cadre d’affaires qui ont fait grand bruit comme celle de Warren Jeffs, chef de file d’une branche fondamentaliste de l’Église mormone reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineurs en 2011. La branche principale de la foi mormone – l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours – a elle renoncé à la pratique de la polygamie dans les années 1890, sous la pression du gouvernement américain. Si les véritables chiffres restent difficiles à connaître, on estime que près de 40.000 résidents de l’Utah vivent au sein de mariages polygames.
Source : LE MONDE .fr