À la suite de la publication dans Science [2], le 26 juillet 2013, d’une découverte sur l’implantation d’un faux souvenir dans le cerveau de souris, un grand nombre de journaux ou de sites ont commenté cette nouvelle : « Des chercheurs en neurosciences implantent des faux souvenirs dans le cerveau. L’étude du MIT (Massachussets Institute of Technology) montre où se logent les traces des souvenirs, faux ou authentiques », « Une révolution dans la compréhension des mécanismes de la mémoire. », « Avec ces recherches, les scientifiques espèrent mieux comprendre le phénomène de “faux souvenirs” induits chez les hommes, parfois nés lors de séances de psychanalyse, comme nous l’expliquions dans cet article. » [3]
Si les recherches en psychologie expérimentale menées par Elizabeth Loftus ont montré qu’il était possible d’induire de faux souvenirs par la suggestion, c’est la première fois que la recherche en neurosciences parvient à apporter un début de preuve que l’implantation de faux souvenirs dans le cerveau est possible. Jusque-là, cela était nié par certains psychothérapeutes et par des mouvements tels que leRecovered Memory Movement aux États-Unis et ignoré lors de procès de personnes accusées sur la base de témoignages, se révélant par la suite faux grâce à des preuves apportées par les analyses de leur ADN.
Des films de science-fiction tels que Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), Inception (2010), Total Recall : Mémoires Programmées (2012), nous avaient déjà un peu familiarisés avec cette idée de faux souvenirs implantés dans le cerveau, mais cela restait de la fiction. En effet, dans Total Recall : Mémoires Programmées de Len Wiseman [4], Douglas Quaid rêve de s’évader de sa morne existence d’ouvrier. Pour changer de vie, il demande à la société Rekall d’implanter dans son cerveau des souvenirs fictifs : « Dites-nous votre fantasme, nous, on vous donne le souvenir. Vous avez envie d’être justicier ou sportif de très haut niveau ? ». Quaid répond : « Agent secret ». Sa mémoire est alors effacée, mais la procédure d’implantation tourne mal… Sa vie devient alors un vrai cauchemar où s’emmêlent réel et imaginaire, vrais et faux souvenirs, personnalités multiples.
Aujourd’hui, il semble que la réalité tende à rejoindre peu à peu la fiction.
En effet, les nouvelles découvertes illustrent le fait qu’une souris peut être conduite à avoir peur dans une cage où elle a reçu des chocs électriques sur les pattes, puis qu’un souvenir peut être réactivé pour associer une autre cage avec le choc électrique. Les chercheurs Steve Ramirez et Xu Liu du Laboratoire Howard Hughes Medical Institute (HHMI) du MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Boston, dirigé par le Professeur Tonegawa, en ont fait la démonstration [5].
Dans un premier temps, ils ont développé une technique pour identifier les neurones qui sont activés dans le cerveau d’une souris placée dans une situation particulière. Cette technique est appelée stimulation optogénétique de l’hippocampe. Elle permet de commander des cellules du cerveau par des éclairs de lumière.
Dans un deuxième temps, les chercheurs ont créé une souris génétiquement modifiée pour exprimer une protéine appelée Channelrodopsine-2 (ChR2). Cette protéine est exprimée exclusivement dans l’hippocampe et seulement dans les neurones impliqués dans la formation des souvenirs. Ceci permet à Tonegawa et son équipe de marquer et d’activer uniquement les cellules du cerveau qui encodent un souvenir spécifique. Cette protéine ChR2 est sensible à la lumière et lorsqu’elle est illuminée à l’aide d’une fibre optique, les cellules qui expriment cette protéine sont activées.
Enfin, ils ont connecté des fibres optiques dans le crâne de la souris pour transmettre la lumière au cerveau et ainsi réactiver des neurones préalablement choisis. Cette technique avait été décrite en 2012 dans un article de la Revue Nature [6].
Plus récemment, ces scientifiques se sont penchés sur la question de savoir s’ils pouvaient modifier la façon dont la souris se souvient d’une situation, en activant les neurones correspondants. Pour tester cette idée, ils se sont servis de la peur qu’une souris peut avoir dans une cage. En effet, Steve Ramirez dit que le comportement d’une souris est binaire. Ou bien l’animal n’a pas peur, il est alors curieux et explore la cage, ou bien il manifeste de la peur et se terre dans un coin sans bouger. Il devient ainsi très facile d’identifier le souvenir associé au contexte de la souris. Les chercheurs ont utilisé pour cela plusieurs cages différentes avec des matériaux différents pour le sol, des odeurs différentes et un éclairage différent.
Le premier jour, dans la cage A, les souris explorent leur nouvel environnement, un sol noir, une lumière tamisée rouge et l’odeur d’acide acétique, et ne reçoivent aucun choc électrique, mais les chercheurs identifient dans le cerveau les cellules correspondant aux souvenirs créés en A et les marquent avec le ChR2.
Le deuxième jour, dans la cage B, après un certain temps laissé aux souris pour l’exploration, les chercheurs appliquent une série de légers chocs électriques sur les pattes et activent les cellules du cerveau qui ont codé le souvenir de la cage A. Ils veulent vérifier si la souris forme une association nouvelle, totalement fausse, entre la première cage A et les chocs douloureux. C’est à ce moment-là que sera implanté ce qui va devenir le faux souvenir.
Le troisième jour, les souris sont remises dans la cage A et montrent clairement leur peur. Elles craignent la cage A à cause des chocs qu’elles ont reçus dans la cage B. Immédiatement après le rappel du faux souvenir, les chercheurs montrent que l’activité neuronale est aussi élevée dans l’amygdale (le centre de la peur du cerveau) qu’avec un souvenir vrai. Quand on place les souris dans la cage C, leur comportement est normal.
Ramirez dit : « Nous avons été surpris de voir que dès la première souris, celle-ci pouvait être effrayée dans un environnement où rien ne lui était arrivé. Par contre, lorsqu’elles sont placées dans la troisième cage C où elles n’avaient jamais été, elles n’ont montré aucune peur. Un groupe de contrôle, qui n’avait reçu ni choc ni stimulation lumineuse dans la cage B, n’a manifesté aucune peur une fois revenu dans la cage A. »
Avec cette expérience, les chercheurs ont ainsi identifié quels neurones du cerveau étaient responsables du souvenir modifié de la cage, dans une zone de l’hippocampe.
On peut conclure que les scientifiques se sont appropriés les souvenirs d’une souris, les ont modifiés et ont montré que les souris se comportent selon les nouveaux faux souvenirs qu’on leur a implantés. Il apparaît donc possible de modifier le contenu des souvenirs dans le cerveau.
Steve Ramirez se demande s’il y a plusieurs façons de créer des faux souvenirs. Si l’on peut créer artificiellement de faux souvenirs pour des évènements aussi bien agréables que désagréables. Qu’en est-il des faux souvenirs liés à des objets ou à l’alimentation ?
Ce sont les questions qui vont être examinées expérimentalement en laboratoire.
Xu Liu, chercheur du MIT et un des co-auteurs de cette recherche, dit : « Comme chez la souris, nos souvenirs sont stockés dans des cellules et quand un évènement est rappelé, nous reconstruisons les morceaux issus de ces cellules presque comme les éléments d’un puzzle. »
Il ajoute : « Le rappel de ce faux souvenir active les mêmes centres de la peur dans le cerveau, ce qui ne permet pas de le distinguer de la mémoire d’une expérience bien réelle de frayeur ». Selon lui, ce mécanisme cérébral de formation de faux souvenirs serait le même que celui qui est activé par un psychanalyste lorsqu’il fait ressortir par la persuasion un souvenir enfoui d’une expérience traumatisante prétendument subie dans l’enfance [7]. « Une des idées fausses les plus répandues quant à la mémoire, c’est celle d’une image qui reste gravée pour toujours dans le cerveau sans être altérée. »
Il poursuit : « La mémoire est en fait très dynamique et est modifiée à chaque fois que nous nous souvenons de quelque chose. Quelquefois, nous nous en rendons compte, mais la plupart du temps, nous n’en sommes pas conscients, ce qui explique pourquoi les gens sont convaincus de l’exactitude de leur souvenir ». Xu Liu indique que la prochaine étape dans les recherches sur la mémoire se concentrera sur les mécanismes permettant d’effacer de mauvais souvenirs.
À ceux qui objecteraient que le cerveau de la souris et celui de l’homme sont à mille lieues l’un de l’autre, Pierre-Marie Lledo, chercheur en neurosciences au CNRS et à l’Institut Pasteur, rappelle que « les processus mnésiques ont été intimement conservés entre les espèces au cours de l’évolution, du ver à l’humain. » À la question de savoir s’il existe des critères qui permettraient de différencier faux et vrais souvenirs, il répond : « C’est un autre résultat important de cette publication. Les données montrent que la mémoire fictive est tout aussi efficace que la vraie mémoire pour déclencher des réponses affectives. Et dans les deux cas, ce sont les mêmes circuits neuronaux qui sont impliqués. La frontière entre le réel et l’imaginaire s’efface. » [8]
La manière dont les chercheurs du MIT ont mis en œuvre cette implantation d’un faux souvenir dans le cerveau est vraiment ingénieuse !
——————————————————————————–
[1] « Comment fabriquer de faux souvenirs avec une question »
[2] « Creating a False Memory in the Hippocampus »
http://www.sciencemag.org/content/3…
http://www.tonegawalab.org/Publicat…
[3] http://www.kurzweilai.net/neuroscie…
http://www.slate.fr/life/75936/faux…
http://www.francetvinfo.fr/sciences…
http://www.francetvinfo.fr/france/f…
[4] L’idée de l’implantation de souvenirs n’est pas nouvelle. Total Recall : Mémoires programmées de Len Wiseman (2012) est le remake de Total Recall ou Voyage au centre de la mémoire de Paul Verhoeven (1990), adapté de la nouvelle de science-fiction Souvenirs à vendre (We Can Remember It for You Wholesale) de Philip K. Dick (1966).
[5] « Neuroscientists plant false memories in the brain »
http://web.mit.edu/newsoffice/2013/…
[6] X. Liu et al., Nature 484, 381–385 (2012).
[7] http://sciencesetavenir.nouvelobs.c…
[8] http://www.lefigaro.fr/sciences/201…
source :AFIS science
Par Brigitte Axelrad – SPS n° 306, octobre 2013
relayé Science et pseudo-sciences
relayé INFOSECTES CANADA
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2178