« Un homme trahi par celui en qui il avait placé sa confiance, lequel l’a placé sous soumission mentale, avant d’obtenir de lui faveurs et argent ». La définition colle de près à l’affaire dite des « Reclus de Montflanquin », récemment jugée devant la Cour d’appel de Bordeaux. Elle colle tout aussi bien à l’enfer personnel de Christian Radoux, ancien chef d’entreprise de Charente-Maritime, pris dans un engrenage relevant de la manipulation mentale.
Deux hommes auraient, selon son avocat, provoqué « une psychose chez leur victime », l’auraient poussée à la paranoïa « selon un scénario établi à l’avance, pour lui soutirer de l’argent. » Un cas isolé ? Il n’en est rien, rappellent tant Anne Guibert, présidente du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) de Paris, que l’avocat spécialisé Daniel Picotin. Lesquels balaient les idées reçues.
•Les victimes sont des personnes vulnérables issues de milieux défavorisés
Faux, rappelle Daniel Picotin. « C’est même souvent le contraire. » L’avocat girondin, qui travaille depuis maintenant 20 ans sur la notion d’emprise mentale, ne cesse de recenser les cas de victimes issues de milieux favorisés. Universitaires, médecins, chefs d’entreprise… « Un ouvrage paru récemment, « Croire en l’incroyable », donne des statistiques sur le milieu socio-professionnel des victimes. Nous sommes très souvent dans le cas de personnes éduquées et aisées. » Un constat que fait également Annie Guibert. « Regardez l’affaire de Monflanquin. Qui aurait cru qu’une famille aussi bien insérée pourrait se laisser embrigader ainsi ? Il y a très souvent, dans ce genre d’affaire un vécu familial, une faille dont s’empare le gourou ou l’escroc pour soumettre sa victime. »
•Les cas signalés sont de plus en plus nombreux.
Vrai. Daniel Picotin et Anne Guibert font le même constat. Avec cependant un bémol. Les dossiers qui aboutissent sur leurs bureaux respectifs sont souvent consécutifs à la médiatisation de telle ou telle affaire. « Je suis avocat spécialisé, explique Daniel Picotin. Il est normal que je lise plus de dossiers que d’autres. La médiatisation d’affaires comme celle de Monflanquin ou du gourou Robert Lê Dinh, le gourou Tang, incite cependant les victimes à se manifester. » Même constat auprès du CCMM. « Pour le seul mois d’août, alors même que nous étions en équipe réduite, nous avons reçu 250 appels, précise Annie Guibert. Les gens sont encore sous le choc du très bon documentaire « Dans les yeux d’Olivier », diffusé sur France 2 début août. Il faudra bien entendu faire le tri dans les dossiers. Mais un grand nombre de situations méritent notre attention. »
•La manipulation mentale est l’apanage des sectes.
Faux. Il existe des manipulateurs de toute sorte. « Cela peut effectivement être un gourou, estime Anne Guibert. Mais tout aussi bien un prêtre, un membre de la famille, un esicroc, un coach… Il y a des cas de soumission dans l’entreprise ou même dans le couple. » De nouvelles formes de manipulation mentales émergent. Notamment dans le cadre d’arnaques dites « à la Nigériane », comme les « love scam », qui voient des escrocs séduire des personnes vulnérables par internet avant de les mettre sous pression. « Tout cela procède d’une même logique. Celle d’une rencontre entre un manipulateur et un manipulé, lequel sera complètement soumis à l’autre. Sauf dans le cas des manipulateurs pervers, où la relation est celle de bourreau à victime. »
•Les manipulateurs sont des personnes très charismatiques.
Vrai et faux. « Certaines personnes ont le charisme nécessaire pour embrigader leurs victimes sans utiliser de techniques particulières. Certains font appel à des techniques apprises par ailleurs. Dans le cas qui nous occupe, l’homme aujourd’hui mis en examen est coach. Une telle personne peut avoir eu une formation sur le comportement qui lui donnerait des bases pour manipuler sa victime. » L’avocat girondin ne manque pas d’exemple. « Certains travaillent la question à fond. Une des dernières affaires que j’ai eue à traiter concernait un faux thérapeute dans la région parisienne. Les policiers ont trouvé sur sa table de nuit un ouvrage sur les techniques de manipulation de la CIA… »
•Les victimes sont toujours mises en confiance par le manipulateur
Vrai. « C’est la première étape, rappelle Anne Guibert. Ils savent vous mettre en confiance. L’homme mis en cause dans le dossier de Monsieur Radoux a su capter cette confiance. Il le considérait comme un ami. Il y a toujours ainsi une période de séduction préalable. Il y a ensuite une période de déstabilisation, de déconstruction de la victime. » L’avocat de Christian Radoux, Me Moulineau, évoque une « psychose » provoquée chez la victime, une paranoïa élaborée selon un scénario préétabli. « Le manipulateur fait en sorte que la victime pense comme lui », reprend Annie Guibert. Le gourou et/ou l’escroc obtient en général ce qu’il veut. « De l’argent mais pas seulement, précise Daniel Picotin. Cela peut être aussi du pouvoir ou des faveurs sexuelles. Cela peut être les trois à la fois… »
•Les victimes ont du mal à se faire entendre
Vrai. « Cela reste très difficile, confirme Annie Guibert. Nombre de victimes déposent une main courante pour signaler la situation dans laquelle elles se trouvent et se heurtent à l’incrédulité des forces de l’ordre. Les choses évoluent, heureusement, mais pas assez vite. J’ai assisté au procès en appel de Robert Le Dinh. Les juges ne comprenaient pas comment des femmes avaient pu subir des viols répétés durant 20 ans sans réagir. Il était sous-entendu qu’elles étaient consentantes ! Non. Elles étaient victimes de soumission mentale. » Les victimes se heurtent tout aussi bien à l’incompréhension de leurs proches. Elles finissent la plupart du temps par couper les ponts, accentuant leur isolement. « Dans le cas de de Monsieur Radoux, sa fille a pu réagir et prendre les choses en main. »
•Il n’existe aucun recours juridique pour poursuivre les manipulateurs.
Faux. Il y a bien sûr, dans le cas ou des crimes ou délits sont constatés, des poursuites judiciaires. C’est le cas pour un viol avéré ou une escroquerie. Il existe également un texte de loi déterminant les termes de « l’abus de faiblesse ». « Il s’agit de la loi About-Picard, précise Me Picotin. L’article 223-15-2 du code pénal détermine cependant trois conditions essentielles pour qu’il soit reconnu. Il faut que la victime soit dans un état de détresse qui permette une soumission psychologique. Cela nécessite une expertise psychiatrique. L’instruction doit en outre établir l’existence de pressions graves et délibérées. Les manipulateurs doivent enfin avoir obtenu ou tenté d’obtenir quelque chose de la victime. Dans le cas de Monsieur Radoux, que je ne peux évaluer sans avoir lu le dossier, il s’agirait d’argent. »
source : SUD OUEST DU 8 SEPTEMBRE 2013 Publié le 07/09/2013 à 07h20
Par Philippe Belhache, SudOuest
consulter sur le site du CCMM dansla rubrique « vidos » le documentaire de France 2 » Dans les yeux d’Olivier » diffusé le 8 août 2013″
ne pas oublier de regarder ce soir sur France 2 » faites entrer l’accusé » : LE DINH.