Voici une information qui enflamme la Toile (et ses expressions imprimées) depuis quelques jours et dans le monde entier. Les protagonistes? Une association américaine nommée Exodus International et son président, un pasteur pentecôtiste, Alan Chambers.
L’objet du débat? Exodus International s’était spécialisée depuis près de 40 ans dans la guérison, par les voies du Saint-Esprit, de l’homosexualité. Le Champion de l’opération? Le pasteur Chambers, croisé impitoyable de la mouvance anti-gay et chouchou des églises évangéliques américaines. Eh bien, nous annonce La Vie, «l’association Exodus International, qui proposait des thérapies afin de «remettre les homosexuels dans le droit chemin», a décidé de mettre fin à ses activités». Une décision approuvée à l’unanimité par le comité de direction de l’organisation, et qui provoque un coup de tonnerre, que ce soit du côté de ses opposants – qui s’en réjouissent – ou des Eglises évangéliques et pentecôtistes, majoritairement favorables aux idées d’Exodus. Plus impressionnant encore, le président de cette organisation créée en 1976, Alan Chambers (un pasteur pentecôtiste), a présenté des excuses officielles à la communauté gay pour les «traumatismes» dus aux thérapies pratiquées par les membres d’Exodus. Dans une tribune publiée sur le site internet d’Exodus, sobrement intitulée «Je suis désolé», il admet ainsi que son organisation «a beaucoup œuvré pour le bien, mais elle a aussi fait du mal. Nous avons blessé des gens».
Woops! Voilà qui sème le trouble. Et à ceux qui douteraient que cela soit bien les propos d’Alan Chambers, un petit tour sur le site d’Exodus International, convainc de l’ampleur du revirement: car ce n’est dans pas moins de trois déclarations que l’association bat lourdement sa coulpe: «Exodus Int’l President to the Gay Community: «We’re Sorry»; «I Am Sorry» et finalement le coup de grâce: «Exodus International to shut down». «Nous sommes désolés», «Je suis désolé»: bref ils sont tous désolés et, nous apprend le troisième texte, passent à la vitesse supérieure.
Car, oui, l’association en est là aujourd’hui: comme n’importe quelle entreprise qui décide de faire table rase de son précédent modèle d’affaires, elle réoriente de fond en comble son portefeuille d’activités pour se lancer dans un nouveau ministère. «Le conseil d’administration, à l’unanimité, a voté la fermeture d’Exodus International et décidé le commencement d’un ministère séparé». «Ce sera une ère nouvelle, pour une nouvelle génération», a déclaré Chambers. «Nos objectifs sont de réduire la peur (reducefear.org) et de faire en sorte que les églises deviennent sûres, accueillantes, avec des communautés qui se transforment mutuellement».
Les curieux qui suivront le lien de reducefear.org tomberont sur un site en développement, sur WordPress. Est-il besoin de dire que l’onde de choc d’une telle décision n’a, depuis, pas cessé de se renforcer.
Premier touché: Exodus Global Alliance, l’association qui regroupe tous les Exodus disséminés dans le monde entier… Et qui a été, pour le moins, surprise: «Exodus International et Exodus Gobal Alliance sont des organisations indépendantes […] les récentes annonces d’Exodus International ne correspondent pas à la mission de Exodus Global Alliance […] Exodus Global Alliance continue de croire que Jésus Christ est venu pour faire ce que nous sommes incapable de faire par nous-mêmes. Jésus Christ invite les gens qui font l’expérience d’une attraction pour le même sexe d’être partie prenante du Royaume de Dieu». En ce sens, conclut Exodus Global Alliance, sa mission à elle restera d’amener les chrétiens égarés qui auraient des tendances homosexuelles à se conformer à la vision biblique de la sexualité.
Il n’empêche, un monitoring intense de la toile invite tout de même à mettre toute cette affaire en perspective. C’est James Kirchick, sur le site Daily Beast qui nous affranchit: «Bien que la décision d’Exodus de sortir du business de la thérapie réparative [c’est ainsi que l’on appelle aux Etats-Unis la thérapie qui prétend réintégrer dans l’hétérosexualité les personnelles homosexuelles] soit apparue comme un choc pour beaucoup, les signes en étaient apparents depuis au moins une année. En janvier 2012, Chambers admettait en effet publiquement que 99,9% des personnes qu’il avait rencontrées et qui avaient suivi le programme de la thérapie réparatrice n’avaient pas connu de changement notable dans leur orientation sexuelle et il avait alors demandé des excuses pour le slogan d’Exodus, «Le changement est possible». James Kirchick poursuit son analyse en rappelant combien Alan Chambers avait plongé, par son assurance inoxydable et ses déclarations à l’emporte-pièce («Le contraire de l’homosexualité ce n’est pas l’hétérosexualité, mais la sainteté») des milliers de gays taraudés par le remord et le désespoir.
Depuis une année cependant, le pasteur pentecôtiste semblait donc avoir viré sa cuti. Le temps, pour certaines organisations évangéliques qui croient encore à la thérapie réparatrice de préparer le terrain: le New York Times nous apprend ainsi que «The Restored Hope Network tiendra sa propre conférence dans l’Oklahoma» pour ne pas laisser le champ libre à Exodus International. Et surtout: pour reprendre le flambeau d’un combat qu’Alan Chambers a complètement perverti.
Toute cette polémique acharnée entre organisations ultra-évangéliques pour le contrôle de la «santé spirituelle et mentale» des personnes homosexuelles tombe au moment où la Cour suprême des Etats-Unis a invalidé une loi fédérale qui définissait le mariage comme l’union entre un homme et une femme. Une telle invalidation permettant aux homosexuels de se marier à nouveau en Californie.
Les conservateurs, nous apprend l’Agence France Presse, ont vécu cette décision comme une honte et un scandale. «L’arrêt sur la DOMA rend maintenant inévitable la normalisation de la polygamie, de la pédophilie, de l’inceste et de la zoophilie», s’est ainsi insurgé Bryan Fischer, pour l’American Family Association.
Quand, note l’AFP, l’archevêque de New York Timothy Dolan a parlé de «jour tragique pour le mariage et pour notre nation», le pasteur Gary Hall, qui dirige la cathédrale de Washington, dit avoir fait sonner les cloches de l’édifice pour célébrer «une nouvelle ère dans notre pays».
Dans un Etat si radicalement clivé, mais où les tenants du mariage gay et de la normalisation de l’homosexualité gagnent chaque jour plus de terrain, il semble donc que le pasteur pentecôtiste Alan Chambers, ait entendu, sinon la voix du Dieu des conservateurs, du moins celle du marché et sa main invisible: du coup, nouveau business modèle, nouvelle mission, nouveaux prospects… C’est cela, au fond, le génie entrepreneurial des Etats-Unis!
source : Source : http://www.letemps.ch/Facet/print/Uuid/7f2cf6d8-df0c-11e2-97e3-85c4efef144f/Un_pasteur_pentec%C3%B4tiste_a_entendu_le_march%C3%A9_et_vire_sa_cuti
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