Lorsque le premier livre de Harry Potter est sorti, les ultraprotestants américains sont allés jusqu’aux autodafés en disant que ce récit apprenait la magie aux jeunes.
Il y a peut-être une part de dérision face à une intrusion dans la vie privée. Mais on se souvient également de cette policière anglaise qui avait fait les manchettes en déclarant que si plus de policiers partageaient sa foi Jedi, le travail de la police s’en trouverait facilité. Une Grande-Bretagne où, en 2001, on comptait quand même 390 000 « Jedi ». L’Office statistique tchèque commentait que « 15 000 adhérents, la population d’une petite ville, n’est pas un phénomène social négligeable. »
On pense naturellement d’abord aux pouvoirs des Chevaliers dans les films, déplaçant à distance les objets, se propulsant eux-mêmes lors de combats et manipulant les esprits. Mais peut-être cette bobby visait-elle plus simplement ce qu’indique l’Office : « Beaucoup de gens adhèrent aux valeurs morales des Chevaliers » .
Je fais partie de cette génération qui, juste ado, a vu le premier film; désormais, tout bâton est un sabre laser et devant une porte automatique, je m’amuse à esquisser le geste des Jedi lorsqu’ils forcent un mécanisme.
Je n’en suis pas pour autant croyant. Lorsque le premier livre de Harry Potter est sorti, les ultraprotestants américains sont allés jusqu’aux autodafés en disant que ce récit apprenait la magie aux jeunes. A vrai dire, ils pouvaient bien le craindre pour leurs propres enfants, la magie des sorciers n’étant que le pendant de la magie qu’eux-mêmes attribuent à la religion dans leur compréhension littéraliste. Question de sens critique, donc.
Mais on ne peut manquer d’être interpellé par le fait que dans de nombreux pays, des gens se rallient plutôt à cette « religion du Jedi », y cherchant une sagesse de vie et une forme de méditation voire de prière (car les Jedi méditent, entrant en contact avec la Force; leur palais de Coruscant est un « temple »).
La part de dérision (involontaire ou marque d’une génération et d’un esprit ?) et les flous artistiques du site de la religion Jedi (où l’on peut acheter des tenues de Chevalier « pour Halloween » – on imagine mal le site du Vatican vendre des chasubles « pour le Carnaval ») ne cachent pas la volonté de rassembler autour d’une croyance et d’une espérance communes.
C’est un formidable coup de pied aux Eglises chrétiennes. En effet, sans surprise puisque les films nous viennent des USA, les valeurs des moines-chevaliers Jedi sont celles du christianisme : paix, respect des autres, maîtrise de ses sentiments, non-violence sauf en cas de défense, survie personnelle après la mort – ces mêmes valeurs que d’autres vont chercher en Orient. Le code et le combat de ces Chevaliers les rapprochent autant des chevaliers chrétiens que des samouraïs.
Que se passe-t-il donc que les Eglises ne puissent offrir l’original et qu’il faille se tourner vers de pâles copies ? Ou peut-être sont-ce les Eglises qui sont devenues pâles ? « Au côté obscur la colère conduit » (Yoda) a-t-il pris plus de sens que « Qui est lent à la colère vaut mieux qu’un héros » (Bible) ? Rappelons tout de même que Star Wars est un roman de science-fiction, même s’il fait partie du génie de Georges Lucas d’y avoir intégré de grands archétypes culturels.
Le site va lui-même plus loin dans ce sens : « Star Wars a aidé à créer la terminologie religieuse, mais n’a pas créé la foi elle-même. La Force a toujours existé et existera toujours. »
Derrière l’archétype des Chevaliers (chrétiens, japonais, Jedi) serait exprimée une réalité. Quand au reproche d’être justement une fiction, « de nombreuses religions clament être l’unique et seule vraie religion, proclamant par là que les autres sont des fictions » .
De fait. Comme le dit le site, il est étonnant de voir combien de personnes ont rapidement retrouvé dans la saga « le nom populaire de leur religion intérieure, ayant maintenant un nom commun pour leur profond sentiment religieux et leurs convictions morales » . Ne doit-on lire un appel à des valeurs et un sens qui dépassent ceux de notre société de consommation ?
Saint Jean Chrysostome (345-407) faisait remarquer qu’il ne faut jamais prêcher sur l’amour de Dieu sans prêcher en même temps sur la vérité, car les hérésies parlent aussi d’amour de Dieu.
Les Eglises chrétiennes n’ont-elles pas vidé la foi de sens et de fond, aussi bien dans des Eglises trop institutionnelles que dans celles autoproclamées de base , finissant par ne plus rien dire du tout de la Vérité ? Il faudrait donc chercher la Force ailleurs. Pourtant, cette fameuse Force qui traverse l’Univers, le christianisme (comme les autres monothéismes) la connaît, au fond, dans la présence de Dieu.
Certes, rien de semblable aux midi-chloriens qui, présents en tout, permettent par le contact adéquat de modifier un objet ou une volonté. Le site précise que la Force est « le champ énergétique créé par chaque chose vivante. Elle nous entoure, nous pénètre et lie la galaxie ensemble » .
La mystique juive a compris que le monde créé par le retrait de Dieu a gardé des traces du Divin; à sa suite, la mystique chrétienne a réfléchi sur les Energies divines ne cessant d’être à l’action dans le monde. Le site fait remarquer que ce concept appartient à la plupart des religions; évidemment, les religions réfèrent ce « champ » à Dieu et non aux créatures.
Amenée à son apogée par saint Grégoire Palamas (1296-1359), cette théologie des Energies divines pourrait être une façon de répondre à la (bonne) intuition des chercheurs égarés dans un roman, adorant la créature plutôt que le Créateur.
Ces Energies expliquent pour saint Grégoire Palamas la possibilité pour l’humain d’entrer en contact avec Dieu malgré la distance de nature qui nous sépare. Les interactions via les Energies nous font passer dans les coulisses invisibles mais bien réelles du monde visible et superficiel. On aboutit ainsi à une cosmologie qui vaut bien celle des Jedi et qui s’appuie sur la philosophie grecque autant que sur la Révélation chrétienne.
L’enjeu dépasse finalement le fait que les Eglises puissent à nouveau offrir leur pleine richesse; le site de « l’Eglise du Jedi » banalise le fait que se crée une religion sur base artificielle et opportuniste de textes d’origine purement humaine (et se réclamant tels) et la scientologie est citée en exemple à côté du bouddhisme (même si plus bas est pris distance avec les pratiques prosélytes de la première). On aboutit ainsi à non seulement une offre d’ersatz mais à un brouillage de la notion de religion. Ce n’est pas sans danger pour la personne « cherchant un nom » à « son sentiment religieux » et ses convictions morales !
Source : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/711685/la-religion-du-jedi.html
par Mathieu Daland, criminologue