Ce fut une foule mélangée de laïcs et de religieux, unis pour protester contre les manifestations d’exclusion des femmes qui se multiplient dans la société israélienne, à l’instigation d’extrémistes ultra-orthodoxes.
Les banderoles des manifestants – « Libérons Israël de la coercition religieuse », « Empêchons Israël de devenir l’Iran » – résumaient une première mobilisation populaire, presque un sursaut citoyen contre l’intolérance religieuse.

Naama Margolis n’est pas la seule écolière de l’école des filles Orot Banot à avoir été terrorisée pendant des semaines par des groupes de Sikrikim, ces fanatiques ultra-orthodoxes qui insultent, menacent et crachent sur les femmes de tous âges, coupables à leurs yeux d’être vêtues de façon « immodeste ». Mais les images de son visage, de ses sanglots et sa peur de reprendre le chemin de l’école, diffusées sur la deuxième chaîne israélienne, ont ému le pays.

Les Sikrikim, dont le nom est issu des anciens Sicaires, ces terroristes juifs qui assassinaient les Romains et leurs alliés de Judée vers 50 après J.-C., sont originaires de Mea Shearim, le quartier ultraorthodoxe de Jérusalem, où ils n’hésitent pas à utiliser la violence pour faire respecter leur rigorisme fanatique.

A Beit Shemesh, cette secte fait régner dans certains quartiers une forme de terreur religieuse, qui jette l’opprobre sur l’ensemble de la communauté ultra-orthodoxe. La petite Naama Margolis est devenue un symbole, presque un exutoire pour une majorité, jusque-là silencieuse, de la société israélienne, qui a le sentiment que ses valeurs démocratiques sont de plus en plus menacées par la propension des extrémistes ultra-orthodoxes à imposer les règles d’un puritanisme exalté.

La quasi-disparition, à Jérusalem, de la représentation physique des femmes dans la publicité, qu’elle s’affiche dans les abribus, sur les murs ou dans les journaux ; la ségrégation par sexe qui oblige les femmes à monter à l’arrière des bus sur les lignes mehadrin desservant les quartiers haredim (les « Craignant-Dieu ») ; les trottoirs et les files d’attente réservés aux femmes ; les femmes exclues de certaines cérémonies publiques ou simplement de funérailles ; les marques d’insubordination de soldats refusant d’assister à des cérémonies comprenant une chorale féminine… Autant de manifestations ressenties comme une volonté des ultra-orthodoxes de bannir les femmes de l’espace public.

Si ces phénomènes choquent peu lorsqu’ils sont circonscrits à des quartiers ultra-orthodoxes comme Mea Shearim, des villes comme Bnei Brak (banlieue au nord-est de Tel-Aviv) ou des colonies comme Beitar Illit, ils deviennent difficilement supportables dans des zones urbaines où les haredim ne constituent pas la majorité. Les violences dont les extrémistes ultra-orthodoxes se sont rendus coupables à Beit Shemesh ont entraîné une cascade de condamnations des responsables politiques, ainsi qu’une forte mobilisation policière pour éviter les débordements lors de la manifestation de mardi soir.

Ce résultat a été atteint, mais il est peu probable que l’arrestation d’une poignée de haredim suffise à mettre un terme à un phénomène dont tous les experts s’accordent à dire qu’il est le produit d’une dérive politique et démocratique. « Le pays tout entier doit se mobiliser pour sauver la majorité des Israéliens (des agissements) d’une petite minorité qui viole la solidarité nationale », a souligné le président israélien, Shimon Pérès.

La question est de savoir s’il en est encore temps : outre que l’influence des religieux ne cesse de croître dans la société israélienne, la coalition du premier ministre, Benyamin Nétanyahou, est très dépendante de partis ultra-orthodoxes, comme Shass, dont le chef de file est le ministre de l’intérieur, Eli Yishai, et United Torah Judaism, lesquels ne cachent pas qu’une politique hostile aux intérêts des ultraorthodoxes serait sanctionnée par une rupture du pacte gouvernemental.

M. Nétanyahou le sait bien, qui s’insurge contre les discriminations à l’encontre des femmes, tout en courtisant assidûment le rabbin Ovadia Yosef, chef spirituel de Shass.

Source : Le Monde| 28.12.11

Laurent Zecchini

http://www.lemonde.fr/international/article/2011/12/28/en-israel-l-ostracisation-des-femmes-par-les-fanatiques-ultra-orthodoxes-indigne_1623324_3210.html