Depuis vingt ans, le P. André assure le ministère de prêtre exorciste dans le diocèse de Nîmes. Alors que la presse se fait l’écho de cas spectaculaires, ce prêtre témoigne qu’il s’agit avant tout d’un ministère d’écoute
En sortant de ses rendez-vous de la matinée, le P. André a les traits tirés. « C’est fatigant, on ne s’y habitue pas », lâche-t-il à l’hôtesse d’accueil de la Maison diocésaine de Nîmes. Ce prêtre de 63 ans assure le ministère d’exorciste dans ce diocèse depuis vingt ans. Une journée par mois, comme ce matin-là justement, où il reçoit, dans le cadre de ce ministère délégué par l’évêque, les personnes qui désirent le rencontrer.
Ce vendredi gris de novembre, le P. André a commencé sa journée avec Caroline (1), dans son bureau discret et calme de la maison paroissiale de Nîmes. Caroline entend des voix. « Il existe un monde invisible. Des personnes, que j’ai connues avant, viennent me parler », raconte cette femme de ménage d’une quarantaine d’années.
Le P. André l’écoute pendant plus d’une heure avant de la bénir. Il lui a aussi conseillé d’aller voir un psychiatre. « On croit souvent à tort qu’on est ensorcelé. Certains cas relèvent de la médecine », explique le prêtre, sans perdre le sourire.http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif
«Être exorciste, c’est simplement recevoir un mandat de l’Église»
Lui-même se situe entre deux courants de l’exorcisme : les « diabolisants », qui voient le diable partout, et les « psychologisants », qui expliquent tout par des maladies mentales. Il confie « croire au diable, un non-être », mais pas comme il croit en Dieu.
Le P. André a débuté comme exorciste il y a deux décennies, juste au moment où se manifestait un renouveau de l’intérêt pour l’exorcisme en France. À cause d’un regain de demandes, l’Église a dû nommer et former des exorcistes. Il y en a aujourd’hui au moins un par diocèse et trois à Paris, où sont enregistrées plus de 1500 demandes de rendez-vous par an.
Les causes sont multiples : l’ignorance chrétienne, la montée des pratiques superstitieuses et ésotériques… Pour lutter contre ces croyances, le P. André précise dès qu’il le peut n’avoir aucun pouvoir : « Je ne suis pas un gourou. Être exorciste, c’est simplement recevoir un mandat de l’Église », explique-t-il avec son accent du Midi.
Son quotidien est «banal», assure-t-il
Avant d’être reçus par l’exorciste du diocèse de Nîmes, les volontaires doivent passer par le secrétariat de l’évêché, qui répartit les rendez-vous. « C’est toujours urgent. Pour beaucoup de personnes, rencontrer un exorciste représente le dernier recours. Leur point commun, c’est d’être en souffrance », explique la secrétaire. Dans les diocèses plus importants, une équipe de laïcs aide l’exorciste en redirigeant après le premier appel certaines personnes vers les services sociaux ou des psychologues.
À Nîmes, le P. André reçoit tout le monde, catholiques ou issus d’autres religions, croyants ou pas. Le reste du temps, il est curé d’une petite paroisse rurale située entre Nîmes et Avignon, dont il préfère taire le nom, par souci de discrétion.
Son quotidien est « banal », assure-t-il, bien loin de celui des exorcistes de cinéma, tel qu’on peut l’observer dans le film de William Friedkin L’exorciste, sorti en 1973. « Les personnes qui appellent s’attendent à ce qu’ils ont vu à la télé ou dans les films. Certains demandent s’ils seront fatigués après le rendez-vous, s’ils pourront conduire », poursuit la secrétaire de l’évêque.
«Exorciste, c’est avant tout un ministère d’accueil»
le nombre de demandes de rendez-vous augmente après chaque émission télévisée consacrée au diable ou au paranormal. « C’était notamment vrai après l’émission “Mystères”, diffusée il y a plusieurs années sur TF1 », raconte encore le P. André.
S’il a été choisi par l’évêque pour devenir exorciste, c’est pour son « bon sens de fils de paysan », dit-il en mimant de la main des racines bien enfoncées dans le sol. Son appartenance à la congrégation salésienne, qui met en avant l’écoute et l’accompagnement, le prédisposait aussi à occuper cette fonction.
« Être exorciste, c’est avant tout un ministère d’accueil », résume le P. André, qui, en vingt ans, n’a jamais eu à pratiquer d’« exorcisme majeur » (cas de personnes dont on estime qu’elles sont possédées).
Marie prend le relais de Caroline dans le bureau du prêtre. Fragile, on la sent en permanence au bord des larmes. Comme beaucoup des visiteurs du P. André, elle a vécu une série de malheurs – mort violente de ses parents, perte d’un enfant. Aujourd’hui, elle doit vendre sa maison. Marie repartira de son rendez-vous avec une croix, de l’eau bénite et une promesse de bénédiction de sa maison.
La plupart des visiteurs sont passés par des guérisseurs, gourous, cartomanciens
Toutes les personnes qui viennent me voir sont d’abord dans une souffrance affective et spirituelle. Certaines sont aussi fatiguées physiquement, raconte le P. André. Il faut donner les moyens à ces personnes de porter la souffrance ou de la diminuer. »
À l’issue du rendez-vous, outre une simple prière de délivrance avec imposition des mains, éventuellement la bénédiction et l’aspersion d’eau bénite, le P. André donne aussi des conseils pratiques et de bon sens à ses visiteurs. Il recommande à Caroline d’essayer de se refaire un cercle d’amis.
Le P. André n’hésite pas à non plus à « confisquer » certains des ouvrages ésotériques avec lesquels viennent souvent ses visiteurs. Caroline sort ainsi un livre sur la guérison des phénomènes paranormaux par le magnétisme. « Je n’y comprends pas grand-chose. Je crois que ça peut m’aider », avoue-t-elle. On apprendra plus tard qu’elle a été recrutée un moment par une secte, qui sont nombreuses dans la région.
C’est le cas de la plupart des visiteurs du P. André. Ils sont déjà passés entre les mains de guérisseurs, gourous, cartomanciens. Pour le prêtre, « aller voir un guérisseur, ça cause des séquelles. Une fois qu’il vous a dit que vous êtes malade, c’est dur d’arrêter de le croire. Le plus important dans mon intervention, c’est de renvoyer les gens à une vie spirituelle de pratiquant. » Ce que recommande aussi le « livret rituel », confié par l’évêque à chaque prêtre exorciste.
«Mettre Dieu dans la maison»
Des guérisseurs, Mireille, elle, en a vu un grand nombre. « J’ai été à Toulouse et même jusqu’à Paris », témoigne cette célibataire d’une cinquantaine d’années qui habite à une heure de Nîmes. Elle a appelé l’évêché la semaine dernière pour qu’un prêtre exorciste vienne bénir sa maison. Après avoir pris une pause et mangé un bon aïoli, le P. André rend visite en début d’après-midi à cette catholique qui, d’après ce qu’il sait, « papillonne un peu au plan spirituel ».
Dans la petite maison de pierres de Mireille, les représentations religieuses – croix, icônes – sont omniprésentes. Selon elle, sa maladie, dont on ne saura pas le nom, a des causes spirituelles. Un peu excitée par la venue du prêtre, elle déclare voir en rêve des serpents – signe du Malin – envahir sa maison. Le guide d’une « communauté de guérison », à qui elle téléphone régulièrement, lui a confié voir à ses côtés un chien noir très agressif, autre symbole du diable.
Le P. André l’écoute, et bénit à sa demande toutes les pièces de la maison, des chambres jusqu’à la cave. « ça permet de mettre Dieu dans la maison », explique-t-il calmement. Après la visite d’une demi-heure, le prêtre repart, un peu sceptique sur les croyances de Mireille. Mais avec l’espoir d’avoir répondu aux demandes d’une fidèle « très en demande de prières ».
Julien DURIEZ, à Nîmes (Gard)
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