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En début de semaine, le tribunal administratif de Paris a rendu cinq décisions qui confortent leurs demandes répétées
Le bras de fer continue entre les Témoins de Jéhovah et l’État, et tourne, pour l’heure, à l’avantage des premiers. L’enjeu ? La possibilité offerte à l’organisation de faire entrer des aumôniers en prison, ce qui n’a jamais été autorisé par la chancellerie.
Après avoir multiplié les recours (une trentaine de procédures sont en cours), les Témoins de Jéhovah viennent de remporter une victoire devant le tribunal administratif de Paris : en début de semaine, les juges, statuant dans cinq affaires, ont notamment demandé aux services pénitentiaires de réexaminer leur demande.
C’est le cas dans l’affaire Alfred B., qui se présente comme « ministre du culte » des Témoins de Jéhovah et a sollicité début 2008 un agrément en tant qu’aumônier de prison. « La décision implicite née du silence gardé par le directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris sur la demande d’agrément (…) est annulée », écrit le tribunal administratif, qui poursuit : « Il [lui] est enjoint de procéder au réexamen de la demande de M. Alfred B. dans un délai de trois mois (…) sous peine d’une astreinte de 100 € par jour de retard. »
« chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse »
Dans une autre affaire, celle d’un détenu demandant à bénéficier de l’assistance spirituelle d’un aumônier des Témoins de Jéhovah, le tribunal est tout aussi clair. Il considère que ce dernier « a été privé (…) de la faculté de pratiquer son culte (…), que son préjudice est certain et résulte directement du refus de l’administration pénitentiaire ». Il condamne l’État à lui verser 3 000 €.
Pour le ministère de la justice, qui a décidé de faire appel, « il n’y a aucune raison que les Témoins de Jéhovah aient un aumônier spécifique ». Et de souligner que les visites – et donc l’assistance spirituelle – peuvent se faire au parloir. D’autant que d’autres religions ou mouvements se revendiquant comme tels font déjà la même demande. De son côté, l’avocat des Témoins de Jéhovah, Me Philippe Goni, qui se dit « très serein du point de vue juridique », estime que les crispations sont avant tout « politiques ».
En 6 juillet 2007, le même tribunal avait rendu un jugement similaire. En février dernier, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) a estimé que le refus d’agréer un aumônier des Témoins de Jéhovah constituait « une discrimination fondée sur les convictions religieuses. »
En pratique, le code de procédure pénale encadre l’assistance spirituelle fournie aux prisonniers, rappelant notamment que « chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle », ou encore que « le service religieux est assuré, pour les différents cultes, par des aumôniers désignés par le directeur régional qui consulte à cet effet l’autorité religieuse compétente, et après avis du préfet ».
Pour motiver leurs refus constants et nombreux d’accéder aux demandes des Témoins de Jéhovah, les responsables d’établissements pénitentiaires se fondent sur les nombreuses circulaires précisant les règles d’agrément et de rémunération des aumôniers de prison. Comme l’a constaté la Halde, plusieurs se retranchent derrière une « liste limitative des cultes autorisés » définie par le bureau central des cultes du ministère de l’intérieur et dans laquelle les Témoins de Jéhovah ne figurent pas.
« Il y a dorénavant une vraie question que va devoir trancher la chancellerie »
Les services pénitentiaires invoquent aussi les « attentes de la population pénale ». Des circulaires de 1994 posent en effet le seuil de 200 détenus appartenant à la même religion pour la nomination d’un auxiliaire d’aumônerie (un bénévole) « dans les établissements de grosse capacité pourvus d’un aumônier », seuil ramené à 150 détenus dans les établissements de plus petite taille.
Mais la jurisprudence européenne récente est venue fragiliser cet argumentaire. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé en 1993 que l’article 9 de la Convention, qui suppose le respect par les autorités publiques de toutes les convictions, s’appliquait également aux Témoins de Jéhovah (arrêt Kokkinakis c/Grèce du 25 mai 1993).
Désormais, pour justifier un refus opposé à un détenu, une autorité administrative doit prouver que ce refus est « nécessaire », que son but est « légitime » et que cette décision est « proportionnelle » au but poursuivi. Or, comme l’a noté la Halde, l’argument du « nombre d’adeptes n’est jamais invoqué pour apprécier le bien-fondé des demandes d’agrément sollicitées pour les ministres du culte des quatre principales confessions (catholique, protestante, juive et musulmane) ».
« La question n’est pas de savoir si nous reconnaissons ou non un culte : nous n’en reconnaissons aucun, rappelle le ministère de l’intérieur. Mais, dès lors que le Conseil d’État a à plusieurs reprises confirmé le statut d’association cultuelle des Témoins de Jéhovah, que ces derniers ne troublent pas l’ordre public, il y a dorénavant une vraie question que va devoir trancher la chancellerie. »
Anne-Bénédicte HOFFNER et Marine LAMOUREUX