{{LE MONDE | Article paru dans l’édition du 29.10.09}}
{{Compte rendu}}
‘Eglise de scientologie et ses responsables français n’en ont pas fini avec la justice. Mardi 27 octobre, ils ont interjeté appel du jugement rendu le jour même par le tribunal correctionnel de Paris, qui les a conjointement reconnus coupables « d’escroquerie en bande organisée » et « d’exercice illégal de la pharmacie « .
Aux termes de ce jugement et sous réserve de la décision du procès d’appel qui se tiendra dans une douzaine de mois, l’Eglise de scientologie peut poursuivre ses activités. Elle n’a pas été dissoute, la loi ne le permet plus. Et elle échappe à la sanction la plus lourde : l’interdiction d’exercer ses activités.
Tout en condamnant l’association spirituelle de l’Eglise de scientologie et la société Scientologie espace librairie (SEL) à des amendes respectives de 400 000 et 200 000 euros, le tribunal a prononcé des peines de prison avec sursis contre quatre responsables français de l’Eglise fondée aux Etats-Unis en 1954 par l’auteur de science-fiction Ron Hubbard.
Considéré comme le principal dirigeant, puisque – selon le tribunal -, il exerce depuis trente ans « un rôle éminent » dans la scientologie en France, Alain Rosenberg écope de la peine la plus lourde. Absent à l’audience de jugement, il est condamné à deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende. Pour trois autres responsables qui avaient aussi comparu du 25 mai au 17 juin devant la 12e chambre correctionnelle, les peines prononcées vont de dix-huit mois à dix mois de prison, assortis du sursis et d’amendes de 20 000 à 5 000 euros ; tandis que deux autres prévenues s’en tirent avec des amendes de 2 000 et 1 000 euros.
{{« Historique »}}
C’est moins que les demandes du parquet, qui avait requis le 15 juin la dissolution de l’association cultuelle et de sa librairie, alors même que cette peine de dissolution avait été supprimée en catimini du code pénal un mois auparavant, le 12 mai, par une loi dite de simplification du droit. « Une peine qui n’est plus possible juridiquement en vertu de l’application de la loi du 12 mai 2 009 », a relevé la présidente Sophie-Hélène Château, qui a jugé « plus opportun de sanctionner ces comportements par une très forte amende » plutôt que d’infliger la peine maximale encourue : l’interdiction d’exercer. Concernant l’association, le tribunal redoute dans ses attendus qu' »une interdiction d’exercer engendre la continuation des activités en dehors de toute structure légale ».
Concernant la SEL, il considère que « la fermeture d’une librairie irait à l’encontre des grands principes de liberté de pensée et d’expression qui sont le fondement de toute démocratie « .
D’une manière générale, les juges estiment qu’il vaut mieux « mettre en garde d’éventuelles victimes par le biais d’une très grande publicité de la décision ». Ainsi, le tribunal a exigé la publication de ce jugement dans plusieurs journaux, et, notamment, dans deux journaux étrangers : le Herald Tribune et Times Magazine.
Le tribunal ne se prononce pas « sur la valeur d’une doctrine », a pris soin d’expliciter Mme Château, « mais sur des méthodes » fondamentalement malhonnêtes, à ses yeux. Ses attendus sont sans équivoque. Escroquerie que ces tests de personnalité qui n’ont aucune valeur scientifique ; escroquerie encore, les cures de purification avec sauna et jogging à la clé ; escroquerie enfin, le fameux électromètre, objet fétiche des scientologues, vendu à des tarifs prohibitifs. « La place dans la scientologie dépend des capacités financières des adeptes », dénonce le tribunal.
« Historique « , s’est réjoui Me Olivier Morice, l’avocat d’une des victimes. Jamais la justice française, qui a déjà condamné, en 1997, à Lyon, et, en 1999, à Marseille, des scientologues pour des pratiques délictueuses, n’avait prononcé de peines aussi sévères. S’ils ont échappé au pire, les scientologues ne se sont pas moins indignés. » On ne peut pas dire, d’un côté, je condamne pour escroquerie en bande organisée et, de l’autre, je ne vous interdis pas parce que l’escroquerie pourrait se poursuivre de manière inorganisée », a ironisé Me Patrick Maisonneuve, leur avocat.
Bien que le Sénat ait réintroduit, le 14 octobre, un alinéa législatif qui permet à nouveau de dissoudre une personne morale coupable d’escroquerie, celui-ci ne pourra pas s’appliquer contre l’association de Scientologie, en tout cas dans cette affaire. En droit français, en effet, la rétroactivité ne joue que pour les lois plus douces.
Aussi, devant la cour d’appel, la Scientologie n’encourra pas les foudres de la loi adoptée par les sénateurs, mais celles du texte en vigueur au moment du premier procès. L’association des disciples français de Ron Hubbard restera donc la seule à avoir bénéficié de cette clémence passagère votée par les députés et qui n’aura vécu que le temps d’un procès.
Yves Bordenave
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{{Précédentes condamnations de l’Eglise en France}}
{{1978}}. Ron Hubbard, auteur de science fiction, fondateur de l’Eglise de scientologie en 1954 aux Etats-Unis, est condamné par défaut à Paris à quatre ans de prison pour escroquerie.
{{1997}}. La cour d’appel de Lyon condamne l’ancien président de l’Eglise en France, Jean-Jacques Mazier, pour homicide involontaire – un adepte s’est suicidé – et escroquerie.
{{1999}}. Cinq scientologues sont condamnés pour escroquerie.
{{2003}}. L’Eglise de scientologie d’Ile-de-France est condamnée pour le fichage illicite d’anciens membres.
{{15 juin 2009}}. Le parquet de Paris requiert la dissolution. Mais un mois plus tôt, sans que personne s’en aperçoive, les députés ont rendu cette dissolution impossible, en modifiant la loi.