VALEURS ACTUELLES / 25 juin 2009
Gilles Gaetner, le 25-06-2009
La secte fondée par Ron Hubbard n’en finit pas de rendre des comptes à la justice. En cause : ses pratiques financières. Sa branche parisienne pourrait être dissoute. Verdict à l’automne prochain.
L’ Église de scientologie d ’ Île – de – France,soupçonnée d’escroquerie en bande organisée, n’aurait-t-elle plus que quelques mois à vivre ? Réponse le 27 octobre, lorsque le tribunal correctionnel de Paris dira si elle doit être dissoute, conformément aux réquisitions du parquet.
Lequel ne s’est pas privé de charger la barque en réclamant aux juges d’infliger une amende de 2 millions d’euros non seulement à l’Église de scientologie, personne morale,mais aussi à sa librairie, vendeuse en quantité des oeuvres du maître Ron Hubbard. Dire qu’en septembre 2006, ce même parquet, dans son réquisitoire, était partisan d’un non-lieu général !
Il est vrai qu’à l’époque,au plus haut niveau de l’État, certains estimaient que les actions judiciaires contre la scientologie portaient atteinte à la liberté d’opinion.
Trois ans ont passé. L’absolution n’a pas eu lieu.Bien au contraire, puisqu’à l’issue du procès qui s’est déroulé du 25 mai au 17 juin, le ministère public, par la voix de Maud Morel-Coujard, a opéré un revirement spectaculaire.À ses yeux, désormais, aucun doute, la scientologie, « système maniaque et paranoïaque »,ne se prive pas de recourir à des manoeuvres frauduleuses pour attirer les adeptes et les piéger.Le témoignage pathétique et plein de sincérité de l’une des parties civiles,Aude-Claire Malton,ancienne gouvernante d’hôtel, a incontestablement joué un rôle clé dans ce virage à 180 degrés.
Un jour de mai 1998, à la sortie du métro, deux adeptes de la scientologie lui proposent de remplir un questionnaire. Pour être mieux dans sa peau.Ça tombe bien.Dépressive pour cause de rupture sentimentale,Aude- Claire, 30 ans à l’époque, accepte. Erreur fatale. Quelques jours plus tard,au vu de ses réponses,on lui dit qu’elle a de gros problèmes. Qu’on va l’aider.Mais pas gratuitement ! En quatre mois,la jeune femme se voit fourguer pêle-mêle l’électromètre, des cours, des livres… pour la bagatelle de 21 342 euros. Dont plus de 5 000 euros pour l’électromètre, qui vaut en réalité dix fois moins ! Pressée par l’un des dirigeants de l’Église, Jean-François Valli, prévenu dans le procès,Aude-Claire Malton ira jusqu’à liquider son Codévi, son livret de Caisse d’épargne, son plan épargne logement et une partie de son assurance vie pour le plus grand profit de l’Église : cette dernière en retirera 15 000 euros.Non seulement la jeune femme se voit dépouillée en quelques mois, mais, en prime, elle va être littéralement “lessivée” par le traitement médical – sauna et vitamines – qui lui est prescrit… Finalement, fin 1998, elle ouvre enfin les yeux et exige le remboursement des sommes qu’elle a versées. D’accord, lui répond-on… mais à condition que vous ne portiez pas plainte.Aude-Claire refuse ce chantage et saisit la justice ; une instruction est ouverte… Qui va révéler que l’Église de scientologie est décidément prête à tout pour percevoir des espèces sonnantes et trébuchantes.Significative a été la stratégie de Pierre Auffret, patron de SA Parangon, société spécialisée dans la formation installée en Bretagne.Scientologue, Auffret pompera 152 449 euros entre 1996 et 1999, soit 12 % de la masse salariale de sa PME de 400 personnes, pour les reverser à l’Église de scientologie.
Ces deux exemples illustrent les méthodes radicales utilisées par la scientologie pour se constituer un trésor de guerre. Il y a vingt ans, le juge Georges Fenech découvrait que,pour les seules Églises européennes et africaines, le “denier du culte” avait rapporté, entre 1988 et 1990, un milliard de francs (150 millions d’euros), crédité sur un mystérieux compte Lucas à la Kredit Bank de Luxembourg. Aujourd’hui, les ressources – toujours pour l’Europe et l’Afrique – sont sans doute trois à quatre fois plus élevées.Pour l’ensemble de la planète, qui compterait 10 à 12 millions d’adeptes selon les statistiques de la Scientologie (45 000 en France,en réalité 3 000 à 4 000),les dons et bénéfices recueillis font de la scientologie une authentique multinationale à la tête de plusieurs milliards d’euros.Une manne guère surprenante quand on sait que certains contributeurs, volontaires ceux-là, se montrent d’une générosité exemplaire.Ainsi, selon un document confidentiel de la branche américaine de la scientologie datant de la fin 2006, John Travolta et Tom Cruise apporteraient leur écot à hauteur de 10 millions de dollars chaque année. En deuxième position, avec 5 millions de dollars, viendraient Chick Corea et la cantatrice Julia Migenes (lire notre encadré page 13).
Une dissolution qui ne devrait pas intervenir avant 2010, voire 2011
En France, les dons sont nettement plus modestes : ils sont 22, bon an mal an,à verser 40 000 euros à l’Église et 110 à hauteur de 20 000 euros… Preuve irréfutable, selon les adeptes, que cette dernière ne peut être en rien mêlée à de méchantes histoires d’escroquerie.C’est ce qu’a plaidé l’avocat de la scientologie, Me Patrick Maisonneuve,qui a dénoncé la violence d’un réquisitoire « pour des gens qui ne se sont pas enrichis d’un centime ».Avant de lancer : « C’est la première fois que je passe d’un réquisitoire de non-lieu à un réquisitoire de peine capitale. » Sous-entendu : la mort de l’Église de scientologie. Encore que, même si, le 27 octobre, les juges prononcent sa dissolution, elle ne sera pas immédiatement exécutoire : il y aura un appel,qui suspendra la décision,puis un éventuel pourvoi en cassation. Ce n’est donc pas avant 2010, voire 2011, que l’Église sera définitivement fixée sur son sort.D’ici là,elle aura eu tout le loisir de mettre en lieu sûr ordinateurs, disquettes, relevés bancaires et autres documents compromettants…
Quant aux branches locales – celles d’Angers, de Nice, de Clermont- Ferrand,de Marseille,de Bordeaux,de Saint-Étienne, de Vannes notamment –,elles n’ont,pour l’heure,aucun souci à se faire. Sauf si, en cas de dissolution de l’Église d’Île-de-France, le nouveau garde des Sceaux, soucieux de porter un nouveau coup aux héritiers de Hubbard,souhaite une sanction identique pour chaque centre de l’Hexagone. Il lui suffira de donner des instructions aux procureurs généraux afin qu’ils saisissent les tribunaux de grande instance, seuls habilités à liquider une association loi 1901.Seulement voilà : il n’est pas sûr que le ministère de la Justice soit prêt à prendre une initiative éminemment politique.Peutêtre estimera-t-il que la scientologie a suffisamment trinqué en France, alors qu’elle est reconnue comme Église aux États-Unis,en Allemagne,au Portugal, en Suisse, au Mexique, en Inde et au Japon.