Splendeur et misère du métier de star et illustration de la sauvagerie des moeurs dans l’une des mecques de l’industrie culturelle. Après 14 ans de collaboration et une décennie passée au firmament du cinéma hollywoodien, Tom Cruise, 44 ans, vient de se voir viré sans ménagement des studios de la Paramount. Petit signe d’humiliation supplémentaire, histoire sans doute de bien lui faire comprendre qui était le patron — ce que la star, sur son nuage avait peut-être un peu oublié ces derniers temps –, la Paramount n’a même pas pris la peine de lui annoncer directement. C’est par la presse, dans un article du Wall Street Journal, que Tom Cruise a appris le non renouvellement du contrat qui le liait aux célèbres studios de Los Angeles.
Le magnat octogénaire Summer Redstone, président de Viacom (maison-mère de Paramount), a été aussi précis qu’un tueur à gages: "Nous apprécions Tom Cruise en tant que personne, mais nous avons estimé que renouveler son contrat n’était pas approprié. (…) La façon dont il s’est récemment conduit n’est pas acceptable pour Paramount. (…) Nous ne pensons pas que quelqu’un qui effectue un suicide professionnel et fait perdre de l’argent à l’entreprise ait sa place chez nous." Exit donc la star de Top Gun et de Mission impossible, intronisé il y a encore à peine deux mois par le magazine Forbes "célébrité la plus influente du monde".
On lui reproche son comportement, en particulier ses frasques dans la célèbre émission télévisée d’Oprah Winfrey où il s’est mis à sauter à pieds joints sur le canapé du plateau pour déclarer publiquement sa flamme à sa dernière et jeune conquête Katie Holmes, ce qui l’a fait taxer d’abruti par une partie de la presse, ou encore sa violente diatribe, dans une autre émission grand public, contre la psychiatrie et l’actrice Brooke Shields qui prenait des antidépresseurs pour soigner son baby blues. Surtout, le petit monde de magnats, actionnaires et producteurs protestants et juifs quasi intégristes qui contrôle Hollywood voyait d’un très mauvais oeil l’adhésion sans réserve de Tom Cruise à l’Église de Scientologie. Le puissant cinéaste producteur Steven Spielberg, entre autres, n’avait pas du tout apprécié les propos de Cruise en faveur de la Scientologie lors des entretiens promotionnels réalisés à la sortie de son film La Guerre des mondes. Autre raison, moins mise en avant mais sans doute tout aussi importante dans l’éviction de l’acteur, est le relatif échec au box-office nord-américain de Mission Impossible III. Le film co-produit cette année par Cruise/Wagner (maison de production de l’acteur associé à Paula Wagner) et Paramout n’a en effet pas connu le succès escompté. Bien qu’il ait engrangé quelque 400 millions de dollars de recettes dans le monde, les résultats se sont révélés très moyens Outre-Atlantique et la catastrophe a été évitée de justesse. Les financiers d’Hollywood estiment que le prosélytisme de Tom Cruise en faveur de l’Eglise de Scientologie a influé sur la performance du film. Celui-ci aurait perdu, en raison de la mauvaise image délivrée par l’acteur, de 100 à 150 millions de dollars de recettes.
Tous ces éléments ainsi que les rancoeurs personnelles envers la star égocentrique — qui n’a sans doute pas voulu renégocier à la baisse ses juteux cachets — se sont semblent-ils accumulés et l’expiration cet été du contrat qui liait Cruise à la Paramount depuis 1992 est tombée à point nommé pour expulser des grand studios le trublion trop gourmand. Paula Wagner a qualifié les déclarations de Summer Redstone d’outrancières et indiqué que Cruise et elle seront finalement heureux de continuer leur travail en indépendants, précisant que leur société de production Cruise/Wagner a déjà réuni un tour de table de 100 millions de dollars, via des fonds spéculatifs, pour produire de nouveaux films. Leur collaboration durant 14 ans avec la Paramount a généré au total un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de dollars et a permis à Tom Cruise, directement intéressé aux recettes brutes, d’amasser une véritable fortune personnelle. Sur la seule période de juin 2005 à juin 2006, il a ainsi gagné plus de 67 millions de dollars.
Jusqu’à sa disgrâce, Tom Cruise était l’une des valeurs les plus sûres des studios hollywoodiens. La plupart des derniers films où il a joué, ou qu’il a produits, ont généré des centaines de millions de dollars au box-office et il a été l’un des acteurs les mieux payés au monde, touchant en moyenne entre 12 et 15 millions de dollars par film. Sa seule présence suffisait à assurer le succès d’un film quelqu’il soit, et le moindre déplacement de la vedette attirait fans et médias en nombre dans n’importe quel pays du monde. En France, la simple rediffusion le 1er mai 2006 de Mission impossible 2 a permis par exemple à TF1 de s’octroyer une audience record de plus de 7 millions de téléspectateurs.
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