Charlie Hebdo trouve ses origines dans un autre magazine satirique appelé Hara-Kiri, fondé en 1960. Après que le gouvernement français a interdit Hara-Kiri en 1970 à la suite d’une couverture controversée sur la mort du général de Gaulle – « Bal tragique à Colombey – 1 mort », c’est ce qu’avait titré l’hebdomadaire –, l’équipe a lancé Charlie Hebdo. Le nom « Charlie » fait référence à Charlie Brown de Peanuts, symbolisant l’innocence, mais aussi à Charles de Gaulle, en écho à leur conflit avec le gouvernement.
Le magazine a connu une première période de publication de 1970 à 1981, mais des difficultés financières ont conduit à sa première cessation.
Cependant, Charlie Hebdo a été relancé en 1992 et continue de publier à ce jour. Le magazine est devenu mondialement célèbre après l’attaque terroriste du 7 janvier 2015, où deux terroristes islamistes ont tué 12 personnes dans les bureaux de Charlie Hebdo, y compris plusieurs dessinateurs emblématiques. Cet acte était une réponse à plusieurs caricatures du prophète Mahomet publiées par le magazine.
Après l’attaque, Charlie Hebdo a reçu un soutien international massif sous le slogan créé par le graphiste Joachim Roncin « Je suis Charlie », symbolisant la défense de la liberté d’expression. Le magazine a continué à publier, restant fidèle à son approche provocatrice et sans concession, malgré les controverses et les critiques.
Aujourd’hui, Charlie Hebdo reste un acteur clé dans le paysage médiatique français, continuant à provoquer et à stimuler le débat public à travers ses caricatures et ses articles satiriques.
Qu’est-ce qu’un « hors-série – Trimestriel » de Charlie Hebdo
Cela désigne une édition spéciale du magazine satirique français qui n’est pas incluse dans l’abonnement régulier. Ces éditions sont publiées à une fréquence de quatre fois par an et sont généralement consacrées à un sujet ou thème particulier. Elles offrent un regard approfondi sur des sujets d’actualité, des phénomènes culturels ou sociaux, ou des enjeux importants, souvent avec une touche critique et humoristique caractéristique de Charlie Hebdo.
Chaque hors-série peut contenir une combinaison d’articles, de reportages, d’entretiens, de dessins et d’autres formes de contenu journalistique ou créatif, tous centrés autour du thème choisi pour l’édition. Ces numéros spéciaux permettent à l’équipe rédactionnelle de développer des sujets en plus grande profondeur que dans le cadre de leur publication hebdomadaire régulière. Ce numéro HS #6 intitulé « Sectes-La nouvelle pandémie » reprend des articles publiés entre le 2021 et mars 2024.
Ce hors-série explore l’ascension et la prolifération des gourous et des charlatans dans le contexte post-Covid. Le magazine expose comment ces individus exploitent la peur et l’incertitude globales pour recruter de nouveaux adeptes, souvent en utilisant Internet et les réseaux sociaux. Ils offrent des solutions simplistes aux problèmes de santé et de bien-être, rejetant la médecine traditionnelle au profit de méthodes new age comme les régimes restrictifs ou les écoles hors contrat.
Ces professionnels de la spiritualité et du bien-être ne se cachent plus, cherchant activement de nouveaux adeptes. Leur rhétorique est souvent teintée de complotisme et de discours politique vidé de sa substance.
Les gourous blâment souvent les individus pour leur propre malheur. Si vous manquez de moral, c’est de votre faute, car vous n’avez pas embrassé leur croyance new age. De même, si vous êtes malade, ils vous conseilleront de vous abstenir de consulter un médecin et de jeûner avec trois carottes râpées pour retrouver la santé.
Les charlatans utilisent Internet et les réseaux sociaux pour recruter et inciter les gens à dépenser de l’argent. Dans un monde où le sens critique s’amenuise, ces méthodes modernes sont efficaces pour attirer des adeptes.
L’équipe de Charlie Hebdo enquête sur les dérives sectaires, mettant en lumière les gourous qui opèrent en ligne et les victimes de leurs manipulations.
Ce numéro comprend une série d’articles, d’enquêtes, de reportages, des dessins et des portraits ainsi que des entretiens qui détaillent les tactiques de ces gourous, le déclin du sens critique dans la société, et le combat mené par certains pour dévoiler ces pratiques manipulatrices.
La Covid-19, facilitateur de dérive sectaire
Si l’édito « Nouvelles sectes, nouveaux mensonges » signé Jean-Loup Adénor pose d’entrée la question de savoir « C’est quoi, une secte ? », reconnaissons que depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, les dérives sectaires ont connu une explosion. Scientologues – qui viennent d’ailleurs de consacrer, le 6 avril dernier, leur Église de Scientology & Celebrity Centre du Grand Paris à Saint-Denis près du Stade de France, complétant ainsi les deux représentations des 12e et 17e arrondissements de Paris – et Témoins de Jéhovah ont désormais de nouveaux concurrents : les nouveaux gourous de la santé et du bien-être. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a enregistré une hausse record des signalements en 2021, soit une augmentation de 33,6 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation est en grande partie attribuée au contexte de crise sanitaire.
La Miviludes a observé une intensification des signalements concernant des « dérives thérapeutiques et pratiques de soins non conventionnels ». Ces dérives sectaires se manifestent notamment par la propagation de croyances non fondées en matière de santé. De plus, le prosélytisme religieux ou spirituel s’est accentué, et de nouveaux gourous ont émergé, notamment grâce aux réseaux sociaux.
La dérive sectaire est définie comme un « dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion » qui porte atteinte à l’ordre public, aux lois, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre de pressions ou de techniques visant à créer un état de sujétion psychologique ou physique chez une personne, la privant ainsi d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour elle-même, son entourage ou la société.
La pandémie de Covid-19 a été une aubaine pour les sectes en France, et les dérives liées à la santé sont particulièrement inquiétantes. Propager des soins alternatifs non fondés peut mettre la vie des personnes en danger. Il est essentiel de rester vigilant et d’informer le public sur ces phénomènes sectaires afin de mieux les combattre.
C’est ainsi que l’Église de scientologie veut profiter « de l’événement des Jeux olympiques qui va leur donner une visibilité pendant toute cette période », estime Marie Drilhon, vice-présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (UNADFI), appelant à la vigilance.
Rappelons que dans certains pays comme la France, la scientologie – ensemble de croyances et de pratiques dont les principes ont été développés aux États-Unis en 1952 par L. Ron Hubbard – est officiellement reconnue comme une secte (en Allemagne ou au Royaume-Uni, la scientologie n’a pas ce statut). Cette classification est principalement basée sur des enquêtes et des rapports qui critiquent les pratiques de l’organisation, notamment des accusations de manipulation mentale et d’exploitation financière des membres.
Aux États-Unis et dans d’autres pays (Italie, Espagne ou encore au Portugal), la scientologie est reconnue comme une religion et bénéficie de la protection des lois sur la liberté de religion. Elle a obtenu le statut de religion officielle aux États-Unis en 1993, ce qui lui confère certains avantages fiscaux et légaux.
Le débat sur la nature de la scientologie continue d’être un sujet de controverse internationale, impliquant des discussions sur la liberté religieuse, les droits humains, et les pratiques éthiques…
Parmi les vingt-sept sujets traités sous forme de reportages, enquêtes, témoignages ou entretiens, nous retiendrons ceux concernant :
- l’École des Arches à Pontarmé, dans l’Oise, a été récemment fermée suite à un arrêté préfectoral en raison de manquements graves dans le suivi de l’obligation scolaire et des conditions de vie des élèves. Cette fermeture fait suite à des allégations concernant des pratiques sectaires et d’endoctrinement, notamment liées aux anciennes activités des dirigeants dans des mouvements extrémistes. Ces allégations ont été renforcées par des témoignages d’anciens membres du groupe « Les Brigandes », connu pour ses positions extrémistes, avec lesquels la direction de l’école était précédemment associée.
Les problèmes à l’école comprenaient des conditions de logement inadéquates pour les élèves et un manque de conformité avec les normes éducatives requises, ce qui a conduit à des signalements par des parents et à l’intervention des autorités. Les critiques concernaient également l’utilisation de méthodes pédagogiques douteuses et l’isolement des élèves dans des conditions précaires. Ces événements soulèvent des questions importantes sur la surveillance et la régulation des établissements scolaires privés, surtout ceux qui opèrent hors contrat avec le système éducatif national ;
- les télécharlatans. Des individus – ici traités sous forme de dessins – exploitant généralement la crédulité et la vulnérabilité des personnes en quête d’espoir, notamment celles confrontées à des situations désespérées de santé ou personnelles. Les méthodes utilisées par les télécharlatans varient, mais elles comprennent souvent des appels à l’émotion, l’utilisation d’anecdotes personnelles (souvent non vérifiables), et des affirmations grandiloquentes sans preuve médicale ou scientifique solide. Notons que les risques associés à suivre les conseils des télécharlatans incluent non seulement la perte financière, mais aussi des retards dans la recherche de traitements médicaux appropriés, des risques pour la santé dus à des traitements non testés ou dangereux, et parfois des conséquences psychologiques graves ;
- les thanadoulas, également appelées doulas de la mort ou thanadoulas, sont des femmes qui accompagnent les personnes en fin de vie et leurs familles dans le processus de décès. Le terme thanadoula est dérivé du mot grec ancien signifiant servante. Initialement conçu pour désigner des femmes qui accompagnent d’autres femmes au moment de la naissance, ce terme est désormais utilisé pour décrire celles qui apportent un soutien émotionnel et pratique aux agonisants et à leurs proches.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le nombre de thanadoulas a considérablement augmenté aux États-Unis. Des centaines d’Américaines ont choisi d’exercer cette profession. Des associations de formation ont vu une hausse significative du nombre de candidatures, passant de 200 membres en 2019 à plus de 1 000 membres dans la National End-of-Life Doula Alliance. Cette augmentation s’explique en partie par le contexte de la pandémie, avec près de 900 000 victimes du Covid-19 aux États-Unis. Les thanadoulas aident les personnes en fin de vie à traverser ce moment difficile en leur offrant un soutien compatissant et en les accompagnant dans leur transition. Ces professionnelles de la fin de vie, surnommées par Charlie Hebdo « accompagnatrice new age », sont présentes de plus en plus en France ;
- les écoles Steiner dans les Hautes-Pyrénées, comme celle de Bagnères-de-Bigorre, pédagogie Steiner-Waldorf, inspirée par les idées de Rudolf Steiner (1861-1925). Cette approche éducative est souvent décrite comme alternative et met un accent particulier sur le développement spirituel et créatif des enfants, en intégrant des éléments tels que l’eurythmie et un engagement avec la nature.
Cependant, ces écoles ont été l’objet de controverses et de critiques, notamment en ce qui concerne leur adhérence aux standards académiques conventionnels et la clarté de leur affiliation avec l’anthroposophie, une doctrine ésotérique, voire occulte, développée par Steiner. Des préoccupations ont été soulevées concernant l’enseignement de disciplines fondamentales comme les sciences et l’histoire, qui, selon certaines critiques, ne seraient pas abordées de manière suffisante.
En particulier, l’école des Boutons d’Or à Bagnères-de-Bigorre a été fermée par le rectorat de Toulouse suite à des inspections qui ont mis en lumière des manquements administratifs et pédagogiques. Fondée en 2013 comme un simple jardin d’enfants (niveau maternel), elle a depuis évolué en une école primaire accueillant 68 élèves, avec l’ouverture d’un collège envisagée. Les parents et les « pédagogues » (comme ils appellent les enseignants) ont élaboré un projet pédagogique dense, mettant l’accent sur la nature, la botanique et les sorties en forêt. Cependant, la pédagogie Steiner va au-delà d’une simple alternative à l’éducation traditionnelle. Elle est liée à l’anthroposophie, caractérisée par un certain occultisme, ce qui n’est pas toujours connu ou assumé par ses adeptes. La fermeture de cette école a cependant suscité des réactions diverses, certaines familles exprimant leur frustration face à la décision, tout en valorisant l’approche pédagogique de l’école ;
- le Salon Marjolaine offre une plateforme formidable pour découvrir et soutenir les initiatives biologiques et écologiques, la vigilance est de mise pour s’assurer que les choix de consommation sont bien informés et responsables. Il est considéré comme le plus grand marché bio de France et se tient Parc Floral de Paris. Cet événement rassemble agriculteurs, commerçants et charlatans… Un salon attirant donc également son lot d’escrocs. On y découvre des stands aux propositions plus farfelues. Les vendeurs rivalisent d’ingéniosité pour vendre leurs produits ésotériques : lunettes pour le « yoga des yeux », bouts de plastique censés dynamiser l’eau, protections contre le compteur Linky, générateurs d’ions négatifs, calendriers biodynamiques… Le Salon Marjolaine est un lieu où le bio côtoie parfois l’absurde et où il faut rester bien sûr vigilant face aux charlatans ;
- « Les extraterrestres débarquent à Limoges », sur le Symposium Exovision, un colloque sur les ovnis et les extraterrestres, s’est tenu au Zénith de Limoges Métropole du 16 au 18 mars 2024. Près de 3 000 personnes se sont rassemblées pour discuter de ces sujets fascinants. L’ONG Alliances Célestes a organisé cet événement avec pour objectif de promouvoir une « paix universelle » en explorant les liens entre les humains et les extraterrestres. Bien que les médias aient été interdits d’accès, le colloque a suscité l’intérêt et la curiosité de nombreux participants. Cependant, malgré son objectif ambitieux, l’événement a été marqué par une controverse, notamment l’interdiction faite aux médias d’assister, ce qui a suscité des inquiétudes concernant la transparence et la nature des discussions menées. En outre, il y a eu des préoccupations concernant les risques de dérives sectaires, étant donné le sujet sensible et l’implication d’une organisation qui promeut des idées potentiellement radicales. Le symposium a donc été un point de convergence pour les personnes intéressées par les théories extraterrestres, mais aussi un sujet de débat et de vigilance quant à la manière dont de tels sujets sont abordés et réglementés dans des forums publics.
Une remarquable exploration des nouvelles formes de sectarisme et les dangers inhérents à ces pratiques. Une belle sensibilisation du public mettant en lumière les enjeux liés aux sectes et à leurs conséquences sur les individus, y compris les enfants. Cette épidémie invisible que sont les ses sectes est enfin démasquée par Charlie Hebdo. Et afin d’éviter la pandémie des esprits, sachons nous garder du fléau sectaire à l’ère du numérique.
source :
Charlie Hebdo – Hors-Série – Trimestriel #6