C’est une affaire qui ne se passe pas à l’autre bout du monde, ou dans des quartiers dits mal famés. Elle prend naissance dans le très chic XVIe arrondissement de Paris, au sein du monastère Notre-Dame de la Présence de Dieu des sœurs de Bethléem. Sarah y est entrée en 2012 à 23 ans, ses parents ne peuvent plus lui rendre visite depuis début 2016, et depuis 2018, ils ne savent pas avec certitude où elle se trouve.
Début 2015, les plaintes d’anciennes sœurs de la famille monastique de Bethléem, qui faisaient état de graves dysfonctionnements, entraînait une visite apostolique. Il était temps, quand Golias alerte, depuis une vingtaine d’années, sur les dérives sectaires et l’emprise spirituelle dans les communautés religieuses et charismatiques. Les parents de Sarah avaient écrit au pape François en juin 2017, qui avait transmis à la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. Si les deux enquêteurs rencontrent Sarah en 2017, ils ne donnent aucune nouvelle de sa santé et ne rencontreront pas ses parents. Son état est pourtant préoccupant : elle a subi deux interventions au genou droit en 2013, elle souffre d’hyperthyroïdie et d’anxiété et présente un syndrome dépressif. Les parents de Sarah n’en sauront pas davantage sur son lieu de résidence, elle aurait quitté le monastère parisien, mais rien n’est moins sûr, comme l’indique l’enquête de Golias ci-après sur la disparition de Sarah. L’évêque Alain Planet, alors responsable de la cellule chargée des dérives sectaires au sein de l’Église catholique (2013-2021), réagit comme si tout se passait dans un entre-soi où il convient de ne pas faire de vagues. Il y aurait pourtant beaucoup à voir quand les nonnes de la famille de Bethléem prient, travaillent, étudient, mangent et dorment en cellule. Avec tout le danger que comporte cette règle pour la santé physique et mentale, pire sur ce point qu’un univers carcéral. Les seuls moments vécus en commun : les matines suivies des laudes, la messe et les vêpres.
La visite canonique entreprise en 2015, n’a, semble-t-il, pas donné lieu à un rapport officiel, rien n’a été rendu public. Le parcours de la famille monastique de Bethléem est pourtant lourd et a souvent croisé le chemin des frères Philippe, Thomas et Marie-Dominique. Abus d’autorité, abus spirituels, tentatives de suicides, suicides jalonnent l’histoire de nombreuses communautés religieuses. Sans oublier l’argent qui facilite les prises de responsabilités et conditionne le droit de visite des parents, selon qu’ils sont généreux donateurs ou non. Les deux assistants apostoliques appelaient, en novembre 2020, la famille monastique de Bethléem à s’engager publiquement dans « une reconnaissance claire des erreurs et fautes du passé ». On peut douter d’une « conversion » aussi rapide.
Pour Sarah, en tout cas, la transparence n’est pas de mise. Le changement connu est pour l’instant la nomination d’une nouvelle prieure générale : sœur Emmanuel, dans le civil Rose-Armelle Lorenchet de Montjamont, proche de la famille royale de Belgique, déjà prieure à Marches-les-Dames puis à Opgrimbie où un terrain avait été offert par le roi Baudouin. Il y a comme un air d’Ancien Régime qui laisse perplexe. Sœur Emmanuel est aussi une ancienne assistante de sœur Isabelle au monastère de Beit Gemal (collines de Judée), celle-là même qui représentait l’ancienne gouvernance, débarquée après la visite apostolique. On peut espérer que le nouveau responsable de la cellule « Emprise et dérives sectaires dans l’Église catholique », au sein de la Conférence des évêques de France, sera plus réactif et efficace dans le traitement de ce lourd dossier. L’évêque du Havre Jean-Luc Brunin, qui a succédé à Alain Planet en 2021, accorde une interview à Golias Hebdo (cf. p. 7) qui laisse espérer de nouvelles orientations. Membre de la cellule, l’avocat Jean-Pierre Jougla (cf. p. 9) a lui aussi bien voulu nous accorder un entretien.
Il est temps de prendre en compte les dérives sectaires et abus spirituels subis par des adultes en situation de vulnérabilité, angle mort du rapport Sauvé dédié aux victimes d’abus sexuels, mineures au moment des faits. Alors que les traumatismes sont comparables du côté des victimes adultes d’abus et d’emprise psychologique, morale et spirituelle. Là aussi un devoir de vigilance s’impose. Pourra-t-on continuer à faire entrer des jeunes hommes et femmes dans la vie religieuse ou monastique, sans se soucier des conditions de leur recrutement, de leur accueil, de leur discernement vocationnel, de leur vie au quotidien, comme de leur réinsertion après un renvoi ou une sortie volontaire ? Il en va de la crédibilité d’une institution, et plus largement de l’Église.
source : Découvrez l’intégralité du dossier : 767. Golias Hebdo n° 767 (Fichier pdf)
p Dossier coordonné par Christian Terras et Eva Lacoste –
NDLR : Golias publiera prochainement une enquête sur les nouvelles cellules d’écoute ecclésiales pour les victimes d’abus spirituels.