Va-t-on assister, enfin, à la mise en place de moyens plus conséquents pour lutter contre les dérives sectaires ? Le problème devient pressant : ces dérives sont en hausse ces dernières années, en particulier depuis l’essor des réseaux sociaux et surtout de la crise du Covid-19.
Le constat établi par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) est clair. En 2021, 4 020 signalements ont été enregistrés, contre 1 875 en 2010. Les chiffres pour 2022 et 2023 seront dévoilés dans le prochain rapport d’activité, qui paraîtra début 2024, mais le ministère l’assure : « Nous sommes sur la même tendance d’évolution ». Face à cette augmentation, la même problématique revient fréquemment : le manque de moyens accordés par les autorités pour y faire face. La Miviludes, premier acteur de ce combat, souffre depuis des années d’effectifs réduits (8 membres en 2020, 14 en 2022, en comptant les personnels vacataires) et de matériel informatique vieillissant.
Une nouvelle stratégie nationale
En attendant une éventuelle annonce concernant des moyens supplémentaires, le gouvernement a validé une nouvelle « Stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires », pilotée par la Miviludes. Dans le viseur des autorités, la « multitude de groupes ou d’individus qui investissent les champs de la santé, de l’alimentation, du bien-être mais aussi du développement personnel, du coaching ou de la formation […] des gourous 2.0 qui diffusent désormais leur doctrine sur les plateformes numériques et fédèrent autour d’eux de véritables communautés ».
Cette stratégie prévoit trois axes principaux. Le premier concerne la prévention, qui passera par une campagne nationale dans les mois qui viennent, mais aussi par le soutien aux projets de recherche sur les dérives sectaires et par la distribution de guides pédagogiques et fiches pratiques aux élus, membres des collectivités territoriales et aux acteurs du numérique.
Le deuxième vise à améliorer l’accueil des victimes de dérives sectaires et de leurs proches. Un référent désigné dans chaque ministère sera ainsi formé et sensibilisé à ces problématiques sous la coordination de la Miviludes. La collaboration avec les associations devrait également être accrue et leurs subventions d’1 million d’euros par an, allouées depuis 2021 par l’Etat, devraient être maintenues dans les années à venir.
Enfin, l’arsenal juridique va être renforcé. Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté et de la ville, va ainsi présenter, ce mercredi en conseil des Ministres, un projet de loi visant à mieux réprimer les auteurs de dérives sectaires et leurs actes, en particulier dans le domaine de la santé.
Deux nouveaux délits, les praticiens déviants ciblés
Le texte, détaillé lors d’une conférence de presse organisée mardi 14 novembre en début de soirée, prévoit cinq articles. Le premier instaure un délit afin de réprimer, en plus de l’abus de faiblesse lié à un état de sujétion psychologique ou physique – déjà prévu par la loi –, le fait de placer ou de maintenir une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique. La peine maximale encourue sera de trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
L’article 2, lui, crée une circonstance aggravante quand certains crimes ou délits – meurtre, acte de torture et de barbarie, violence et escroquerie – sont commis dans un contexte sectaire. L’article 3 prévoit de mettre en place un agrément ministériel pour autoriser des associations d’aide aux victimes à se constituer partie civile. Aujourd’hui, seule l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) en a la possibilité.
L’article 4 crée lui aussi un nouveau délit « de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins ou à l’adoption de pratique dont il est manifeste qu’elles exposent la personne visée à un risque grave ou immédiat pour sa santé », pouvant être sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. De quoi répondre aux nombreux cas où des figures du complotisme et de diverses thérapies alternatives suggèrent, par exemple, d’abandonner les traitements contre le cancer. L’article 5 cible, lui, les praticiens déviants. Les ordres des professionnels de santé (ordres des médecins, des sages-femmes, des pharmaciens, chirurgiens-dentistes, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures podologues ou infirmiers) seront ainsi obligatoirement informés par les parquets des condamnations des professionnels soumis à leur contrôle, ainsi que des placements sous contrôle judiciaire.
Enfin, l’article 6 prévoit qu’en cas de poursuites exercées pour certains délits, le ministère public ou la juridiction saisie pourra solliciter tout service de l’Etat pour l’éclairer utilement, notamment la Miviludes, sur les mouvements sectaires en cause ou sur le phénomène de sujétion psychologique ou physique.
De quoi renforcer l’information de la justice sur les dérives sectaires et les aider, mais aussi mieux informer la Miviludes des procédures en cours. Le projet devrait passer par le Sénat puis par l’Assemblée nationale dans les prochains mois. Il ne prévoit pas, en revanche, de nouvelles sanctions contre les grandes plateformes du numérique comme Google ou Facebook. Le cabinet de la secrétaire d’Etat a en effet indiqué que cette question relevait du règlement européen sur les services numériques (Digital services act), entré en vigueur le 25 août, qui vise à encadrer les activités des plateformes. Sa mise en œuvre progressive devrait à terme permettre de renforcer la lutte contre les contenus illicites en ligne.