La sorcellerie, avec ses rituels plus ou moins revisités à la mode XXIe siècle, s’empare du Var et des Alpes-Maritimes. Le chaudron noir fait son retour, les grimoires se vendent à la pelle, les cristaux et pierres n’ont jamais eu autant de pouvoirs. Des pratiques qui ne sont pas sans danger, outre celui de mettre le feu à la maison. Le risque d’une dérive sectaire, autrement dit d’infractions pénales commises en exerçant une emprise mentale sur les personnes, peut être tapi dans l’ombre.
C’est une des inquiétudes du GEMPPI (1), dont le siège national est à Marseille. « C’est un gros truc qui nous tombe dessus. Cela touche les adultes et les très jeunes adolescents, qui pratiquent des rituels de sorcellerie en ligne mais pas seulement », explique son président, Didier Pachoud. Auditionné lors d’une commission d’enquête du Sénat sur le sujet, il est considéré comme LE spécialiste en France des mouvements sectaires.
Les 9-15 ans sont une cible
Comment être « une sorcière moderne » fait le buzz. Jeter une malédiction sur quelqu’un, repousser une attaque psychique, se donner de la chance, repousser le mauvais œil, se venger, « trouver l’amour puissant », devient une banalité sur YouTube. « Ces contenus numériques sur la magie visent particulièrement les jeunes entre 9 et 15 ans », ajoute Didier Pachoud.
Mathieu Porzio, suit cette évolution de la magie sur le web, pour le GEMPPI: « J’observe une hausse de 30% tous les trois mois de ces vidéos en ligne. Il y a un retour à l’obscurantisme. Des milliards de vidéos s’enchaînent sur YouTube, TikTok, Instagram. Aujourd’hui, c’est plus tendance d’être sorcière sur TikTok ou Instagram que d’être scientologue. Ces vidéos détruisent l’esprit critique. Elles établissent que la pensée magique apporte des solutions simples à des questions complexes. »
Gourous 2.0
« Le développement de la sorcellerie fait partie du mouvement New Age. C’est un mélange de spiritualité, de culture de l’étrange, d’ésotérisme, de chamanisme, de vaudou sur lequel se greffent les médecines non conventionnelles et le complotisme, surtout depuis la Covid-19. Le New Age foisonne dans le Var et les Alpes-Maritimes », détaille Didier Pachoud. Ses ramifications sont multiples et dans le collimateur de la Miviludes (lire ci-contre). Parmi ces pratiques, s’alignent aussi les pseudo-médecines « qui prennent de plus en plus d’importance au sein de la population française », souligne Donatien Le Vaillant, actuel chef de la Miviludes.
Le rapport de 2021 mettait en garde contre les « gourous 2.0 », « des manipulateurs isolés », « propageant leur doctrine sur les réseaux sociaux », et sur l’utilisation de certains qualificatifs tels que « thérapeute », « coach », « psychospécialiste » ou encore « psychosomatothérapeute. »
« Une ambiance ufologique »
« On voit surgir un état d’esprit rétrograde, un retour au Moyen Âge, à un idéal préhistorique. C’est le principe du collapsisme, pariant sur l’effondrement du monde et qui appelle à vivre de la nature, à se couper de la société, à échapper à ceux qui contrôlent tout, à la surpopulation, au changement climatique, à la guerre, à la pandémie. II y a un soupçon généralisé contre tout ce qui est institutionnel », explique Didier Pachoud, qui fait remonter ses observations depuis 35 ans à la Miviludes et reçoit de plus en plus de demandes de victimes ou de leurs familles, en provenance du Var et des Alpes-Maritimes, où les personnes âgées souvent isolées sont vulnérables. Ce sont plus de 4.000 signalements susceptibles d’être des dérives sectaires, que la Miviludes reçoit chaque année, pour toute la France.
Le monde anxiogène du XXIe siècle est un terreau fertile. « On est dans une ambiance surnaturelle, ufologique qui s’est développée avec la Covid. » Harry Potter n’y est pour rien, si ce n’est d’avoir banalisé la magie chez les plus jeunes.
1. Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu.
2. Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Le Féminin sacré dans le collimateur
Parmi les multiples ramifications du New Age dans le viseur de la Miviludes, le Féminin sacré « en pleine expansion ». Cette croyance « trouve un véritable succès sous couvert de l’émancipation des femmes, alors même que l’objectif premier semble être purement financier. »
La Miviludes a été saisie de plusieurs cas, où les femmes se sont retrouvées « isolées, en rupture soudaine avec leur environnement familial », et addicts aux rituels. Ceux-ci sont enseignés au cours de stages faisant appel à l’ésotérisme et à des figures mystiques, comme celle de la sorcière. Des stages lucratifs, à plus de 1.000 euros les 5 jours. Bénédiction d’utérus, synchronisation de la femme avec le cycle de la lune et ses menstruations, épanouissement sexuel font partie des « cours ». L’utilisation d’hallucinogènes dans des groupes chamaniques, de l’hypnose, du yoga ou de la méditation peuvent servir à placer la personne dans un état altéré de conscience.
« Le Féminin sacré renvoie à des croyances ésotériques selon lesquelles la femme possède un pouvoir surnaturel caché, qu’elle peut activer avec des pratiques New Age », résume Mathieu Porzio.
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Régine Meunier Publié le 05/11/2023 à 07:00, mis à jour le 06/11/2023 à 09:49 NICE -MATIN