Dans le programme de la cinquième université d’été (UDT) du « pays réel », tenue par Civitas du 29 au 31 juillet, c’est le titre qui frappe : « Combattre le satanisme du nouvel ordre mondial ». Le mot « satanisme », ou celui de « Satan », revient trois fois dans l’intitulé des conférences, dont une fois associé à la franc-maçonnerie et une autre pour se demander si le Malin n’a pas déjà triomphé. Au-delà de la caractérisation de Civitas comme un mouvement politique catholique contre-révolutionnaire engagé à l’extrême droite, cela donne une indication quant à sa nature profonde et à la mentalité de ses adeptes.
Satan est une personne. Il peut donc agir dans ce monde et, comme Alain Escada, président de Civitas, tente de le prouver dans sa conférence de l’UDT, être celui qui commande le « nouvel ordre mondial », qui est l’antithèse de la société selon la loi divine. Comme c’est Satan qui conduit au péché originel, donc à la chute de l’homme, et que cette descente vers davantage d’apostasie ne se terminera qu’à la fin des temps, le monde selon Civitas est rongé par une suite de catastrophes qui constituent un tout.
Liberté religieuse, droits LGBT, contraception et même divorce sont des effets différents d’un même mal : les lois laïques qui ont séparé les cultes et l’État et ont consacré l’autonomie du politique par rapport au religieux, dans la droite ligne de la Révolution. C’est pourquoi Pierre Hillard, le conférencier de l’UDT dont le propos antijuif a étayé le projet de dissolution de Civitas, propose le retour aux « lois de catholicité » de l’Ancien Régime, qu’il tient pour l’acmé de la civilisation catholique.
Raconter des histoires, au détriment de l’Histoire
Le problème est qu’il raconte absolument n’importe quoi pour justifier un projet théocratique. En 1892, le pape Léon XIII, dans lequel Civitas pourrait se reconnaître théologiquement parce qu’il est résolument antimoderne, publie l’encyclique « Au milieu des sollicitudes », qui demande aux catholiques français d’accepter les institutions républicaines. Quant aux « lois de catholicité », elles ne concernaient que la religion du roi, nécessairement catholique. Sous la royauté, les non-catholiques, protestants et juifs, n’ont, jusqu’à l’édit de tolérance de 1787, pas de statut légal, mais ils sont tolérés : le futur Louis XVIII visite la synagogue de Metz en 1782, et les juifs de cette ville, comme ceux de Bordeaux et de Bayonne, rédigent leurs cahiers de doléances.
Contrairement à l’assertion de Hillard selon qui les juifs sont « naturalisés » par la Révolution en 1791, la vérité est que sous l’Ancien Régime il n’existe pas de citoyens mais des sujets du roi. Ce que fait la Constituante, alors que la France est encore une monarchie puisque Louis XVI règne, c’est transformer les sujets en citoyens et accorder aux juifs ce statut de citoyenneté.
Enfin, le conférencier délire en insinuant que cette émancipation ouvrit la porte à l’immigration : les communautés d’Alsace et de Lorraine, du Comtat Venaissin et du Sud-Ouest résidaient là depuis des siècles. Le comble : c’est une monarchie, celle de Juillet et de Louis-Philippe, qui descendait de Louis XIII, qui décida en 1831 de faire payer les rabbins sur le budget de l’État et de supprimer le serment dégradant que devaient prêter les juifs devant la justice. Mettre fin à l’existence de Civitas, ce n’est pas dissoudre un mouvement catholique et royaliste, mais supprimer des nostalgiques de l’Inquisition.
source : Jean-Yves Camus · Mis en ligne le · Paru dans l’édition 1621 du 16 août