Sonia Backès
PORTRAIT – La Calédonienne va mener la lutte contre les dérives sectaires et promouvoir la«fierté d’être français». Elle confie au Figaro comment ses deux priorités font écho à son parcours.
Une secrétaire d’État à la Citoyenneté, chef de file des défenseurs de la Calédonie française, nommée pour promouvoir la «fierté d’être français» ? La mission semble taillée pour Sonia Backès, première élue calédonienne investie au gouvernement. Depuis qu’elle a quitté Nouméa pour s’établir cet été à Paris, Gérald Darmanin, son ministre de tutelle, se félicite de pouvoir compter sur cette ingénieure en informatique proche de son ami Sébastien Lecornu, une «élue de terrain» issue des Républicains – comme lui.
Mais Sonia Backès garde depuis longtemps un secret pour elle. Beaucoup ignorent, parmi ses amis comme ses collègues ministres, qu’elle est réchappée de la Scientologie.
Elle avait 13 ans. Aujourd’hui, à 46 ans, elle est chargée de mener la lutte contre les dérives sectaires pour le gouvernement.
Cette femme franche et pugnace, grandes lunettes et cheveux clairs, livre un combat personnel. Elle entend accélérer la dissolution de sectes, renforcer la sensibilisation en ligne
et faciliter les signalements. «Les alertes de proches peuvent sauver. Elles m’ont sauvée», confie-t-elle, désormais installée dans son bureau de l’Hôtel de Beauvau.
Les alertes de proches peuvent sauver. Elles m’ont sauvée
Longtemps, Sonia Backès, née Dos Santos, s’est vue expliquer que la scientologie n’était qu’une simple religion. À 9 ans, elle vit dans la douleur le violent divorce de ses parents – l’un professeur de français, l’autre d’allemand. Elle a quitté son père Alberto en Nouvelle-Calédonie pour suivre sa mère, Catherine, à Vincennes (Val-de-Marne).
«Détecteur de mensonges»
Un soir, l’enfant la voit revenir avec une nouvelle : on vient de la soumettre dans la rue au Oxford Capacity Analysis, un test de personnalité administré par les scientologues, et on lui propose de la recruter. «On va vous accompagner», lui promet-on. Engagement tenu : Sonia
Backès voit sa mère propulsée à la tête de l’École de l’Éveil, une succursale de la Scientologie, dans le 11e arrondissement de Paris. Elle y est inscrite en CM2.
Dans sa petite classe, le lavage de cerveau commence. Elle apprend les 21 préceptes moraux du Chemin du bonheur, un livret écrit de la main du fondateur de la Scientologie, l’écrivain de science-fiction Ron Hubbard. Pour vérifier qu’elle a appris ses leçons, ses professeurs l’astreignent à l’électromètre, un «détecteur de mensonges» qui enregistre les décharges
électriques du corps. Manuels de «dianétique» en main, ils la plongent aussi dans un étrange jargon pour initiés. Elle trouve tout cela «dingue». «Mais comme ma mère semblait trouver cela normal, je me disais que ça l’était peut-être», dit-elle aujourd’hui.
L’École de l’Éveil est fermée par l’État au bout d’un an. La collégienne reprend ses cours en 6e dans un collège public de Vincennes, mais dans son salon continuent de défiler plusieurs responsables de la Scientologie à l’heure du dîner. À la fin des années 1980, elle croise le jeune Tom Cruise lors d’un rassemblement à Paris. En colonie de vacances, elle fréquente
Martina Migenes, la fille de la soprano Julie Migenes, tous des fidèles de la Scientologie.
«C’est toute la perversité du système sectaire : tu y restes parce qu’ailleurs, on ne te comprend plus», déclare-t-elle. «La secte devient ta zone de confort, le reste du monde ta zone d’inconfort».
C’est toute la perversité du système sectaire : tu y restes parce qu’ailleurs, on ne te comprend plus
Sonia Backès
L’adolescente n’a pas revu son père depuis bientôt quatre ans. Elle a dû le quitter à Nouméa au milieu des «événements», la quasi-guerre civile entre indépendantistes et non-indépendantistes qui culmine dans la prise d’otages d’Ouvéa en 1988. À 16.000 kilomètres de lui, elle admire ce père proche des idées du loyaliste Jacques Lafleur. Elle sait déjà qu’elle veut faire de la politique. Mais elle ne se doute pas qu’elle mènera, trente ans
plus tard, la lutte pro- France comme chef de file des loyalistes lors de trois référendums sur l’indépendance.
«Tu sais que c’est une secte ?»
À Paris, Sonia Backès reste sous l’emprise maternelle. Sa grand-mère Lucile Keizer, proviseure du lycée Victor Duruy dans le 7 e arrondissement de Paris, tente d’abord de raisonner sa fille. Puis l’alerte vient d’une amie, chez elle, au retour du collège un jour de 1989. Elle a repéré sur un courrier la croix de l’Église de scientologie. Étonnement dans son regard : «Tu sais que c’est une secte ?».
Elle lui montre les coupures de journaux. La Scientologie n’est pas encore classée parmi les sectes – il faudra attendre un rapport parlementaire en 1995 -, mais elle est surveillée de près par les autorités. «Mon amie m’a ouvert les yeux sur tous les mensonges que ma mère me servait pour justifier son enfermement», confie Sonia Backès. «Dès que j’ai compris que
c’était une secte, et que j’en ai eu les moyens, j’ai voulu en partir.»
Mais sa mère ne veut rien entendre. Pour remettre sa fille dans le rang, elle l’envoie au Royaume-Uni, dans le manoir de Saint Hill, le siège de la Scientologie. Une audition commence. Nouveau passage à l’électromètre. Quand on lui enjoint, pour «aller mieux», de rompre tout lien avec son père, elle se fige.
Elle quitte le château, rentre à Londres en stop, mendie quelques livres sterling et lui demande de l’aide en urgence depuis une cabine téléphonique. Elle le rejoint en Nouvelle-Calédonie dix jours plus tard, après un au revoir à sa mère. Elle ne lui parlera plus pendant 5 ans. Et ne réussira jamais à la convaincre de quitter la Scientologie, toujours légale, avec 40.000 fidèles revendiqués aujourd’hui – «quelques milliers» seulement selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Batailles ardues
Dans ses fonctions de secrétaire d’État, Sonia Backès, mère de deux enfants, se sent obligée de jouer les lanceurs d’alerte. Avec 33% de signalements de plus enregistrés par la Miviludes en un an, «la période du Covid a conduit à une remise en cause de la science», déplore-t-elle.
«On ne peut pas laisser prospérer ce phénomène, qui utilise la détresse des gens pour les isoler».
C’est un combat intime mais consensuel pour la Calédonienne, habituée aux franches oppositions dans la province Sud de l’archipel – le chef de l’État l’a autorisée à conserver son mandat exécutif local. Elle se prépare en revanche à d’autres batailles plus ardues : la lutte contre le «séparatisme», près d’un an après l’adoption de la loi. Sans compter les débats attendus sur l’immigration.
Aux côtés de celui qu’elle nomme «Gérald», elle doit mener une partie des concertations en vue du projet de loi annoncé pour début 2023. Le ministre de l’Intérieur vante une secrétaire d’État «qui porte ses convictions républicaines à bras-le-corps». Dans son bureau, Sonia Backès a accroché au mur la photo d’un ciel de Paris, d’où se détache un drapeau tricolore.
Elle promet de défendre l’«intégration» et, toujours, la «fierté d’être français». Parole de Calédonienne, après une troisième victoire du «non» à l’indépendance en décembre dernier
: «Quand on a peur de perdre la France, on est plus fier encore d’être français».
source : le figaro du 26 septembre 2022