Décryptage

Doctolib, poids lourd français de la prise de rendez-vous médicaux, est au coeur d’une polémique parce qu’il référence des naturopathes aux pratiques douteuses. Le groupe est également pointé du doigt pour avoir permis à deux faux pédopsychiatres de réaliser des consultations.

Doctolib a suspendu les comptes de 17 profils afin de procéder à des vérifications.

Par Tifenn Clinkemaillié

Doctolib est dans la tourmente. Depuis plusieurs jours, la plateforme, qui référence des médecins, des sages-femmes, des dentistes ou des infirmiers, est au coeur d’une polémique parce qu’elle compte également des naturopathes aux pratiques douteuses.

La start-up se défend en martelant que ces pratiques sont légales. Elles ne font pas l’objet de réglementations. La controverse remet sur le devant de la scène la question de la place des « médecines douces » non réglementées. Explications.

1. Quelle est l’origine de la polémique ?

Un tweet a mis le feu aux poudres le 19 août. Un professionnel de santé a reproché à Doctolib de permettre à ses utilisateurs de prendre rendez-vous chez des naturopathes, une discipline sans fondement médical.

Dès lors, la polémique a pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux. De nombreux utilisateurs ont affirmé, captures d’écran a l’appui, avoir recensé des prestations de soins et de bien-être sur la plateforme de gestion et de prise de rendez-vous médicaux. Magnétiseurs, iridologues, sophrologues, coachs en développement personnel, médecins homéopathes mais aussi médiums qui communiquent avec les défunts font partie des résultats mis en avant par les internautes.

Ces pratiques sont légales mais ne reposent sur aucun fondement médical. Elles ne sont par ailleurs pas réglementées et certains de leurs représentants ont des pratiques dangereuses, proches du charlatanisme et des dérives sectaires.

Le 22 août, un nouveau tweet ranime la controverse. Cette fois-ci, c’est une vidéo dans laquelle intervient Irène Grosjean, une naturopathe à la réputation sulfureuse, qui a remis de l’huile sur le feu. La spécialiste y promeut des attouchements sexuels pour soigner des enfants en bas âge.

2. Qui est Irène Grosjean ?

Irène Grosjean, 92 ans, est l’une des figures française la naturopathie. Elle se dresse contre l’usage des médicaments et prône des méthodes « alternatives » et « naturelles », notamment à travers l’alimentation. Cette dernière fait la promotion du crudivorisme, un régime qui consiste à se nourrir exclusivement de fruits et de légumes crus. Cette méthode est décriée par de nombreux spécialistes.

Irène Grosjean est en outre proche de l’idéologie de Thierry Casasnovas. Cet entrepreneur et vidéaste français est accusé d’être un gourou. Au cours de l’été 2020, le parquet a ouvert une information judiciaire à son encontre pour « exercice illégal de la profession de médecin », « abus de faiblesse » et « pratiques trompeuses ». Il est par ailleurs suivi, depuis 2012, par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Si Irène Grosjean ne reçoit plus en consultations, elle organise des stages pratiques pour devenir soi-même naturopathe. Sur Doctolib, plusieurs comptes de professionnels affichaient un lien avec Irène Grosjean ou Thierry Casasnovas.

3. Quelle a été la réponse de Doctolib ?

Le spécialiste français de gestion et prises de rendez-vous médicaux a réagi de manière graduée. Le 21 août, avant la publication de la vidéo d’Irène Grosjean, le groupe rappelait ainsi, dans un fil Twitter, que « 3 % de nos utilisateurs exercent une activité dans le domaine du bien-être ou du médico-social ».

« Leur activité est légale mais ils ne sont bien sûr pas des professionnels de santé », poursuivait Doctolib. La licorne expliquait en outre qu’il était impossible de prendre un rendez-vous sur la plateforme chez un praticien non-référencé par le ministère de la Santé « sans avoir expressément cherché à le faire ».

Le PDG de Doctolib, Stanislas Niox-Chateau, s’est aussi défendu dans les colonnes du « Parisien » . « La demande est là. Ce n’est pas à nous de dire si ces activités sont efficaces ou utiles. Elles sont légales, nous n’avons donc pas de raison d’empêcher les praticiens d’être inscrits sur notre site », a-t-il avancé.

Après la publication de la vidéo dans laquelle Irène Grosjean recommande des attouchements sexuels sur mineur, Doctolib a une nouvelle fois réagi. « Nous avons suspendu immédiatement la prise de rendez-vous pour 17 profils » afin de procéder à des vérifications, indiquait la plateforme, le mardi 23 août sur Twitter.

Doctolib assurait, dans un communiqué, avoir « d’ores et déjà un travail de fond pour continuer d’améliorer » ses services. Une consultation a aussi été lancée « avec les Ordres, les Syndicats de professionnels de santé, les autorités, la Miviludes et la société civile ».

« Doctolib n’exclura aucune option », poursuivait le communiqué. « Nous en appelons également aux pouvoirs publics pour réguler ces pratiques afin de protéger au mieux les usagers », concluait le groupe.

4. Comment a évolué la polémique ?

Le mardi 23 août, l’Ordre des médecins est venu alimenter la controverse. Dans un communiqué, l’Ordre demandait au groupe « de renforcer ses règles éthiques pour s’inscrire sur sa plateforme », craignant « la confusion » entre professionnels de santé et disciplines sans fondement médical.

Cet appel a rapidement été appuyé par la confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui représente les médecins libéraux. La CSMF a demandé « à l’Etat de clarifier les pratiques de certains professionnels » de la médecine douce.

5. Quelles mesures ont été prises par Doctolib ?

Nouvelle réponse en deux temps de Doctolib. Dans un communiqué, diffusé mercredi, la plateforme indique avoir pris une « première série de mesures » (…) « visant à renforcer ses procédures de vérification et de signalement des professionnels référencés sur son site ». Jeudi, elle a ajouté qu’aucune prise de rendez-vous ne pourra « désormais être réalisée avant que la vérification du droit d’exercer d’un professionnel de santé ne soit effective ».

Doctolib entend aussi clarifier « le contenu des fiches des praticiens non réglementés en mentionnant de manière explicite qu’ils ne sont pas des professionnels de santé ».

6. Est-ce la fin du feuilleton ?

Ce vendredi, un nouvel épisode est venu alimenter la polémique. Le parquet de Montpellier, confirmant une information de France Inter, a révélé avoir ouvert en juillet une enquête pour « exercice illégal de la médecine » à l’encontre de deux personnes s’étant fait passer pour des pédopsychiatres sur la plateforme.

Une mère de deux enfants avait porté plainte début juillet, après avoir consulté, par le biais de Doctolib, un faux pédopsychiatre et sa remplaçante afin d’obtenir une ordonnance de médicaments pour ses deux enfants atteints d’un trouble de l’attention (TDAH). Les deux faux pédopsychiatres auraient assuré des consultations, avant que la plateforme ne stoppe leur abonnement et supprime leur profil début juillet.

« Nous avons effectivement été victimes de fraude, pendant que le droit d’exercer du faux praticien était en cours de vérification par nos équipes », explique Doctolib sur Twitter. « Jusqu’à présent, un délai de 15 jours était accordé aux professionnels de santé », détaille le groupe. Ce délai est suspendu depuis jeudi.

Doctolib devrait en outre communiquer de nouvelles mesures une fois que la consultation avec les Ordres, les Syndicats de professionnels de santé, les autorités, la Miviludes et la société civile sera achevée.

source :

https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/doctolib-6-questions-pour-comprendre-la-polemique-1784092

par

Tifenn Clinkemaillie