Dès son plus jeune âge, Rupa a été séparée de sa mère. Elle a quitté le mouvement à 14 ans mais a éprouvé des difficultés à trouver les codes de la société. Epanouie, elle reste très méfiante.
Le regard pétillant et le sourire aux lèvres, Rupa est une mère célibataire de deux ados, comme il en existe beaucoup. Pourtant, sa vie ne ressemble à aucune autre. Son parcours, elle l’a tracé seule. Les obstacles, elle les a franchis et ils lui donnent encore aujourd’hui la force d’avancer et de regarder vers l’avant. En veillant à ce que la vie de ses deux enfants soit moins chaotique que la sienne.
« Je suis née, il y a 46 ans, dans la communauté Krishna, près de Durbuy », commente la Bruxelloise. « Dans les années 70, quand le gourou a quitté l’Inde, il est allé aux Etats-Unis puis il s’est arrêté à Amsterdam qui était très flower power. Il a développé des groupes en Europe, dont un en Belgique. C’est via mon oncle que ma mère est entrée dans la communauté avec son autre frère. Elle y a rencontré mon père. »
Arrivé d’Inde, le maître spirituel s’est fait des disciples. Au fil du temps, ils sont devenus des gourous. La communauté a commencé à fonctionner comme une société. « Comme ma mère est arrivée au début, elle avait un rôle important dans la communauté », se souvient Rupa. « Elle était un peu prêtresse. Elle s’occupait des statues, des repas, etc. Elle y croyait fort. C’était un peu sa vocation. » C’est le moment où le mouvement prend de l’ampleur à travers le monde.
Baraquements sans chauffage
Ses premières années, Rupa les vit dans la communauté avec sa maman. A l’âge de six ans, sa vie bascule. « J’ai dû aller à l’école en France », relate-t-elle en perdant son sourire. « Les parents ne pouvaient pas garder leurs enfants qui devaient aller dans des écoles de la communauté. Pour moi, c’était une sorte d’internat, en France. Ma mère s’est retrouvée dans la communauté, à 23 ans, seule car mon papa était décédé, avec une petite fille qu’elle ne pouvait pas voir souvent. Ça n’était agréable ni pour elle, ni pour moi. Mais ma mère a toujours assumé son choix et n’a jamais remis la faute sur la communauté. Moi, j’ai été très fâchée sur la communauté, pas sur elle. »
Pour la communauté, l’image est importante. Les gourous aiment donc acheter des châteaux mais Rupa n’y mène pas une vie de princesse. « On vivait dans des baraquements sans chauffage et sans sanitaires », se souvient-elle. « C’était très inconfortable. On devait se lever tous les jours à 4 heures du matin. C’était à la campagne. On avait très peu de contacts avec les enfants du village. Vu nos tenues vestimentaires, on était très stigmatisés. Je me sentais déjà malheureuse. J’ai toujours été une gamine sensible. »
« Dès mes 10 ans, j’ai pris mes distances », se souvient aujourd’hui Rupa en s’amusant. « Quand il fallait se prosterner et faire des prières, j’insultais leur dieu et je disais des gros mots. A la fin de mes primaires, quand j’ai quitté la France, ma mère m’a mise à l’école du village mais comme j’étais habillée en indienne, je n’avais pas d’amis. Je ne me sentais pas bien du tout. »
Libre mais seule
Après quelques années de tâtonnements, Rupa se retrouve seule dans un kot à Bruxelles. Elle a 14,5 ans et étudie à Saint-Louis. « Dans la capitale, ça allait mieux car j’étais plus anonyme », se remémore-t-elle. « Les gens ne me connaissaient pas, je ne devais pas parler de la communauté. Personne ne savait que j’étais Krishna. Ça n’était donc pas un problème. Ça m’a fait du bien de me sentir libre mais je me sentais très seule. Ma vie était un peu débridée mais ça n’était pas intentionnel. Et là, les règles de la communauté et la contrainte financière m’ont sauvée. J’ai un peu touché à tout mais ça n’a jamais été trop loin. Et puis, j’avais peur aussi car je pensais que si je déconnais trop, ma mère ne viendrait pas m’aider car elle n’était pas d’accord. »
Dans un premier temps, la jeune femme ne termine pas ses études secondaires. En 1998, elle trouve un job. Le soir, elle suit une formation et obtient un graduat en marketing. « Aujourd’hui, je suis manager d’une équipe », se réjouit Rupa. « C’est clair que j’aurais aimé faire des études. Ça a un impact sur ma vie. Encore plus maintenant. Ma fille a 16 ans et je sens les angoisses car j’ai eu une adolescence particulière. J’ai peur qu’il lui arrive des trucs. Je n’ai aucune référence. Je me suis mise dans des situations inconfortables et idiotes. Je ne gérais pas car je n’étais pas préparée à la vie extérieure. Je n’ai pas tous les codes. »
Les codes, par contre, la communauté a les siens. Ont-ils parfois inquiété la jeune femme ? « Il y avait une idéologie de base mais avec le temps, chaque gourou a créé ses principes et gérait comme il voulait », explique Rupa. « Certaines communautés à travers le monde ont connu des abus sexuels, y compris sur des enfants. A un moment donné, des gourous ont commencé à partir avec l’argent et avec des femmes ou des hommes. Ça a créé des scandales. Le pouvoir leur montait à la tête et ils étaient considérés comme des dieux. »
« Quand tout ça a commencé à exploser, j’avais une dizaine d’années », ponctue Rupa. « La communauté belge a tout remis à plat. Ils ont commencé à faire attention aux législations. Chacun a pu commencer à chercher le gourou qui lui convient. Chaque communauté est gérée par des présidents qui sont élus. C’est beaucoup plus démocratique. Ma mère y vit toujours et tout se passe bien. »
Par Frédéric Delepierre