Sur YouTube, Twitter ou Facebook, des influenceurs issus de mouvances d’extrême droite, complotistes ou covidosceptiques font preuve d’une propagande intensive contre l’avortement. Un soutien non négligeable pour les associations anti-IVG.
«L’avortement est un symptôme de la débauche sexuelle actuelle» et revient à «supprimer un enfant». Cette attaque en règle contre le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) – que le gouvernement français a dit vouloir inscrire dans la Constitution, après le renversement de l’arrêt Roe v. Wade aux Etats-Unis – n’émane pas d’un cadre d’extrême droite ou d’un prêche intégriste, mais de la bouche de Thierry Casasnovas. Un quadra au look baba cool connu pour promouvoir le «crudivorisme» comme remède à toutes les maladies, cancer inclus. Un gourou new age accusé de dérives sectaires, proche de l’association Egalité et Réconciliation de l’antisémite Alain Soral et suivi par près de 600 000 personnes sur YouTube, racontait Libé l’année dernière. Un de ces «nouveaux» influenceurs à la tête de larges et fidèles communautés, qui répandent sur le Web des discours réactionnaires sur l’avortement et bien d’autres sujets, sous couvert de médecine alternative ou de «résistance» à la «coronafolie». Des relais sur lesquelles les associations anti-IVG historiques, au poids marginal en ligne, peuvent compter.
«Je suis intégriste au possible»
«Je ne vois pas comment on peut être pour l’avortement, pour le fait de supprimer un enfant […]. Je ne peux pas dire “chouette, baisons comme on veut et puis on avortera”», lance tranquillement Thierry Casasnovas, assis dans l’herbe au bord d’une rivière. Un cadre paisible récurrent chez ce youtubeur, mais qui tranche avec la radicalité de son discours. L’IVG serait donc un «symptôme» de la «débauche sexuelle», embraye-t-il dans une vidéo datée de 2016, repérée initialement par le compte Twitter @l_extracteur, et qui n’est plus disponible sur sa chaîne. Ce «qui pose problème [c’est] l’état de débauche sexuelle actuel, de licence des mœurs. […] C’est la fameuse libération sexuelle des années 70… Alors j’ai une queue-de-cheval, je ressemble à un hippie, mais ne vous inquiétez pas, je suis intégriste au possible… hein, traditionaliste… c’est un cheval de Troie».
Le naturopathe accuse la révolution sexuelle, «fomentée par le mouvement hippie» d’être «une profonde arnaque». «C’est comme les mouvements d’égalitarisme et tout, ça fait partie de la même arnaque totale. Et puis nous, on y adhère, on se dit “ouais c’est bien, c’est bien la libération sexuelle, la libération des mœurs”. Et qu’est-ce que ça induit ? Ça induit le chaos. Et qui est-ce qui se marre derrière le chaos ? C’est le fourchu, le cornu.» Dans un coin du cadre, une photo du diable a été ajoutée au montage.
Un discours frontalement anti-IVG qu’on retrouve chez l’avocat et chrétien réac Fabrice Di Vizio (plus de 220 000 abonnés sur Twitter). Le héraut des anti-pass sanitaires déclarait l’été dernier à l’Express : «Il n’y a aucun débat pour moi sur le fait que l’IVG est un véritable problème, ne peut en aucun cas être considéré comme un droit.» Ou chez la généticienne Alexandra Henrion-Caude (plus de 100 000 abonnés Twitter), aperçue dans les Manif pour tous, et qui, en février, qualifiait dans un tweet l’avortement de «barbarie». L’anesthésiste-réanimateur de l’association covido-complotiste Réinfo Covid, Louis Fouché (85 000 abonnés sur Twitter), vilipendait récemment de son côté la supposée «vieille routière de l’IVG qui en est à sa quatorzième et là… [il souffle] Merde, ce n’est pas un moyen de contraception, quoi». Le tout dans un live avec le «coach spirituel» Hayssam Hoballah, dont Libé a déjà révélé le rôle de passe-plat des (pires) stars de la mouvance complotiste.
Entre conspirationnisme et extrême droite radicale
Ces influenceurs parlent à des communautés dont les effectifs ont explosé avec la pandémie de Covid, et dont les membres finissent par absorber les discours anti-avortement pour les mêler à leurs obsessions complotistes, alertait récemment le magazine Usbek & Rica. Sur les canaux à la croisée du conspirationnisme et de l’extrême droite radicale, on avance désormais que «Big Pharma se sert de cellules de fœtus volontairement avortés pour le développement de ses vaccins ou injections géniques anti-coronavirus». On dénonce un pseudo «holocauste silencieux» au service du «satanisme institutionnel». On assure que «des médecins juifs» tuent «des bébés blancs dans des cliniques d’Etat»…
Casasnovas, Di Vizio ou Fouché touchent des internautes parfois éloignés des canaux anti-IVG traditionnels. L’association Alliance Vita, la fondation Jérôme-Lejeune, SOS tout-petits ou la Marche pour la Vie sont certes actives en ligne, mais leur audience reste plutôt limitée. Contactées, ces associations nient avoir le moindre contact avec ces influenceurs, tout en se gardant de les critiquer : «Leurs positions, telles qu’ils les présentent eux, avec leurs arguments à eux, on trouve ça très bien. Ils rejoignent notre vérité à nous», dit Philippe Piloquet, président de SOS tout-petits.
Un numéro vert pour dissuader les femmes d’avorter
Un complément à l’offensive que mènent de longue date sur Internet les anti-IVG français, et qui consiste plutôt à capter via de faux sites officiels les internautes cherchant à se renseigner sur les démarches à suivre, et notamment les femmes concernées, pour les en dissuader. Les Sleeping Giants, activistes luttant contre la haine en ligne, ont ainsi montré, ce que Libé a pu confirmer, que les sites Moncorpsmonchoix (reprenant un slogan défendant le droit à l’avortement) ou Parlerdemonivg apparaissent liés à l’entrepreneur Emile Duport, très actif dans les milieux cathos réacs. Un croisé de la lutte anti-avortement dont l’entreprise, en partie rachetée par Vivendi, a par exemple développé le site Internet du groupuscule raciste Génération identitaire, dissous par les autorités. Contacté, Emile Duport n’a pas répondu à nos sollicitations.
Si, selon les outils de mesure d’audience, ces plateformes de désinformation restent très peu consultées, d’autres connaissent bien plus de succès. La page Facebook «IVG : vous hésitez ? Venez en parler !» compte ainsi plus de 100 000 «j’aime». Adossée au site Ivg.net, tenu par des militants catholiques, elle renvoie à un numéro vert qui, selon de nombreux témoignages, dissuaderait les femmes appelantes d’avorter. Malgré l’extension, en 2017, de la loi sur le délit d’entrave à l’IVG aux contenus numériques, le site, même s’il n’est plus aussi visible qu’avant, continue d’apparaître en bonne place dans les résultats des moteurs de recherche. A ce jour, aucun n’a encore été condamné – le délit d’entrave numérique étant difficile à constituer – et les discours anti-IVG continuent de se propager sur les réseaux, sans que leurs auteurs ne risquent d’être inquiétés.
source :https://connexion.liberation.fr/callback?code=g8xSQdL4HgW8BBRmb8gcBVYJJVpln9YDVMOmpsYQy5kHf&state=ZVoubDRVRHJXY29Ua3RTaTFiOFYwVm4yeGFuWkVZc0hzWEZWRTJhbVB0Ng%3D%3D
par Pierre Plottu et Maxime Macé