« Un des pays majeurs que nous avons perdus fut le Maroc ». Cette déclaration énigmatique est celle d’Elena Lorrell, une des innombrables disciples de l’Eglise de Scientologie, qui avait au début des années 70 jeté son dévolu sur le royaume. Des documents officiels émanant de services de renseignements étrangers, aujourd’hui déclassifiés, et des témoignages sidérants d’anciens scientologues lèvent un pan de l’incroyable épopée de la secte du gourou L. Ron Hubbard au Maroc. L’histoire commence en 1967, lorsque l’Eglise de Scientologie décide de créer sa marine privée (la Sea Org) et entame une véritable odyssée le long de la côte atlantique marocaine et en Méditerranée. A l’époque, l’Eglise de Scientologie est sous le coup de nombreuses enquêtes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Hubbard imagine son « projet maritime » et monte une petite armada de vaisseaux. Il y embarque près de 400 de ses fidèles et prend la mer pour « échapper aux forces du mal » en leur promettant la « vie cosmique éternelle ».
Destination : le Maroc
Fin 1968, les scientologues, qui ont adopté des uniformes et des grades rappelant ceux des marines militaires, mouillent leur flotte à Corfou. Hubbard, qui s’est autoproclamé Commodore de sa flottille, cherche alors un port d’attache et semble attiré par le régime de la junte militaire grecque de l’époque. Il en sera rapidement expulsé, les autorités d’Athènes n’ayant pas apprécié ses tentatives de rapprochement avec des politiques du pays. C’est alors que la secte navigante fera cap vers Gibraltar et les ports marocains lors d’un périple que les initiés de l’histoire de la secte appellent « l’Odyssée déconnectée ». Et elle l’était dans tous les sens du terme. L’ambiance à bord des bâtiments de la « Sea Org », qui était tantôt grave tantôt loufoque, finira par attirer l’attention des services secrets inquiets de voir cet étrange équipage voguant sans destination précise. De l’Apollo, son navire-amiral, le Commodore lançait à ses disciples des communiqués dans lesquels il agitait le spectre de « forces hostiles dressées contre la Scientologie » et développait son thème favori d’une conspiration internationale ourdie par les communistes. Son obsession se fixa peu après sur un mystérieux organisme baptisé le Mémorial Tenyaka, auquel il consacra le 2 Novembre 1969 trente et une pages de divagations. « Il n’est pas impossible que le Commodore Hubbard et sa femme Mary Sue soient des philanthropes ou des excentriques, sinon leur opération cache quelque chose de louche. Nous ignorons quoi au juste, mais diverses hypothèses courent à Casablanca allant de la contrebande au trafic de drogue et à une secte de fanatiques », câblera William J. Galbraith, le vice- consul des États-Unis à Casablanca au Département d’État à Washington le 26 septembre 1969. Les bateaux de l’Eglise de Scientologie faisaient depuis des mois des escales techniques dans les principaux ports marocains, cabotant au gré des humeurs de leur gourou le long de la façade atlantique du Maroc, de Tanger à Agadir. Dans un compte-rendu de visite à bord de l’Apollo, Galbraith déplora « l’imprécision volontaire des réponses » à ses questions les plus simples. Une brochure expliquant que des étudiants s’exerçaient à « l’art de la navigation » ne l’éclaira pas davantage. L’Apollo battant pavillon panaméen, le consul de Panama tenta sa chance de son côté, sans plus de succès. Il nota que le navire « en mauvais état et mal entretenu mettait la vie de l’équipage en danger quand il naviguait », mais ses demandes réitérées de rencontrer Hubbard, un temps installé dans une suite de l’Hôtel El Mansour (rebaptisé depuis Royal Mansour) à Casablanca restèrent vaines. La flotte continua ainsi pendant de longs mois ses étranges pérégrinations au large des côtes chérifiennes.
Un « suicide » à Safi
Une jeune femme allait causer au Commodore ses premiers sérieux ennuis au Maroc. Agée de vingt-trois ans, originaire du Colorado, Susan Meister avait embarqué sur l’Apollo en février 1971. Avec l’enthousiasme des néophytes, elle écrivait souvent à ses parents pour les inciter à se convertir à la Scientologie. « Je sors d’une séance d’auditing », écrivait-elle le 5 mai, « je ne me suis jamais sentie aussi bien… C’est à la Scientologie que je le dois. Vite, vite, faites comme moi. C’est un trésor plus précieux que l’or ». Le 15 juin, en revanche, l’obsession du Commodore semblait avoir déteint sur elle : « Je ne peux pas vous dire où nous sommes. Nos ennemis… veulent nous empêcher de restaurer la liberté des habitants de cette planète. S’ils savaient où nous sommes, ils nous détruiraient ». Dix jours plus tard, alors que l’Apollo faisait escale dans le port de Safi, Susan Meister s’enferma dans une cabine munie d’un pistolet de calibre 22 et se tira une balle dans la tempe. Elle fut retrouvée vêtue de la robe que sa mère lui avait envoyée pour son anniversaire, une lettre annonçant son suicide par terre, à ses pieds. La police locale et le Pacha de la ville, qui s’étaient liés d’amitié avec des membres de l’équipage de l’Apollo, bâcleront l’enquête au moment où le pays était sous le choc de la tentative de coup d’Etat de Skhirat en juillet 1971. Mais la mort d’une citoyenne des États-Unis ne pouvait manquer d’attirer encore une fois, sur l’Apollo, l’attention des autorités consulaires américaines, ce que Hubbard s’efforçait d’éviter à tout prix. Fidèle aux principes maintes fois édictés par Hubbard, la « Sea Org » essayera d’étouffer l’affaire. Douce et réservée selon ses camarades, Susan Meister fut dépeinte comme une droguée et une déséquilibrée, ayant déjà plusieurs tentatives de suicide à son actif. On insinua aussi que des photographies compromettantes avaient été retrouvées dans ses affaires. Encore une fois, le vice-consul William J.Galbraith, venu à Safi enquêter sur l’ affaire, allait croiser les scientologues. Le 13 juillet, deux membres influents de la « Sea Org », Peter Warren et Jone Chiarisi, l’invitèrent à déjeuner dans un restaurant de Sidi Bouzid avant de l’emmener à bord. Warren et Chiarisi signèrent ensuite des dépositions sous serment accusant Galbraith de menaces et de chantage : « Il nous a dit que si le navire devenait gênant pour les États-Unis, Nixon ordonnerait à la CIA de le saboter ou de le couler à Safi en balançant quelques bouteilles de Coca-Cola dans ses turbines ». Galbraith était également censé avoir déclaré que l’Église de Scientologie était « un ramassis de cinglés », et que l’Apollo servait de « bordel, de tripot clandestin et de repaire de trafiquants de drogue ». Le lendemain, Norman Starkey, capitaine de l’Apollo, envoya des copies légalisées de ces déclarations à la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, avec une lettre affirmant que « Galbraith avait menacé d’assassiner les 380 personnes à bord, y compris les femmes et les enfants ». Des copies complètes furent envoyées à l’Attorney General John Mitchell, à la CIA et au président Nixon lui-même, sur qui n’ avait pas encore déferlé le raz-de-marée du Watergate. Un article du « Los Angeles Times », daté du 29 août 1978, fera état de cette correspondance officielle jusque-là classée « confidentiel » par le FBI.
Arrivé quelques jours plus tard à Safi, le père de Susan Meister n’aboutit à rien avec les autorités locales. En désespoir de cause, ne parvenant même pas à savoir où se trouvait le corps de sa fille, Meister en appela à Hubbard. Après que Warren lui eut fait visiter l’Apollo au pas de course, il s’entendit répondre que le Commodore refusait de le recevoir. Meister n’était pas au bout de ses peines. A son retour aux États-Unis, il apprit avec stupeur que Susan avait été enterrée au Maroc avant qu’il n’y soit lui-même arrivé. Et lorsqu’il voulut faire rapatrier le corps de sa fille et la faire autopsier, les services d’hygiène du Colorado refusèrent, informés par une lettre anonyme qu’une épidémie de choléra au Maroc avait déjà fait plusieurs centaines de victimes !. « La fille d’un certain George Meister est décédée au Maroc », précisait le corbeau. « On parle d’un accident, mais il s’agit plus vraisemblablement du choléra ». La mort de la jeune Meister restera une des grandes énigmes de la Scientologie au Maroc. Selon une enquête détaillée de Bent Corydon (« Le Messie ou le fou ») publiée en 1998, Meister aurait pu avoir eu vent des projets d’infiltration des dirigeants de la secte auprès des officiels marocains.
Une « base à terre » à Tanger
Quelque temps plus tard, l’Apollo était à Tanger. Mary Sue, la femme de Hubbard, y surveillait l’aménagement d’une confortable maison, la villa Laure située sur les hauteurs de la ville, où les Hubbard comptaient résider tandis que le navire subirait à Lisbonne un indispensable passage en cale sèche. Selon Russell Miller, spécialiste réputé de la Scientologie et auteur du livre à succès « le gourou démasqué », « Hubbard rêvait toujours d’un pays amical où implanter la Scientologie et le Maroc, où il faisait régulièrement escale depuis son départ de la Méditerranée, lui inspirait une convoitise croissante. Hassan II traversait à ce moment-là une crise grave ; si la Scientologie l’aidait à démasquer les traîtres de son entourage, le roi ne pourrait manquer de lui exprimer concrètement sa gratitude ». Dans cet objectif, la « Sea Org » installa une « base à terre » près de Tanger, dans un immeuble de bureaux sur la route de l’aéroport. L’enseigne, annonçant en anglais, en français et en arabe la présence de l’« Operation and Transport Corporation, Ltd » (OTC), attira l’attention de Howard D. Jones, consul général des États-Unis à Tanger, dont l’intérêt redoubla avec la rencontre d’une jeune Américaine qui lui avoua non sans réticence, travailler pour l’OTC : « Notre société est panaméenne, c’est tout ce que je puis vous en dire ». Sa curiosité piquée au vif, le consul ne tarda pas à faire le rapprochement entre l’OTC, le mystérieux Apollo et L. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie. Il n’alla cependant guère plus loin, comme en témoigne son câble du 26 Avril 1972 à Washington : « On ne sait presque rien de l’OTC et ses dirigeants sont peu bavards sur ses activités. Les scientologues à bord de l’Apollo font sans doute ce que leurs collègues font ailleurs… Les rumeurs qui courent en ville sur un trafic de drogue ou la traite des blanches nous laissent toutefois sceptiques ». Le consul avait raison, car il ne se passait pas grand-chose à bord du navire qui pût inquiéter Washington. C’est à terre, en revanche, que survenaient les choses intéressantes…
« Avez-vous fait allégeance à Oufkir ? »
L’OTC s’efforçait en effet d’infiltrer l’administration marocaine. L’idée serait venue de Richard Wrigley, un des proches conseillers de Hubbard, qui s’était déjà lié d’amitié avec le Pacha de Safi. Wrigley annonca à Hubbard qu’il « avait les moyens d’obtenir une audience du roi » et qu’il pourrait ainsi assurer à l’Eglise « un sanctuaire ». Wrigley fut chargé de la mission avec Liz Gablehouse, une confidente de Hubbard, riche héritière d’une famille de notables de Tallahassee en Floride. Les deux « missionnaires » reçurent par écrit des instructions de Hubbard leur annonçant qu’ils avaient « carte blanche et un budget illimité ». Le binôme enregistra un premier succès en décrochant un contrat pour la formation d’agents administratifs des Postes, mais le projet tourna court : déconcertés par les techniques de la Scientologie, les élèves des PTT marocaines « à qui l’on apprenait le dépassement de soi » désertèrent le stage au bout d’un mois. Selon Jon Atack, qui a enquêté sur la question dans les années 90, « les postiers marocains auraient été effrayés par le code d’éthique de Hubbard qui les menaçait de haute trahison s’ils n’appliquaient pas à la lettre ses directives. Pour eux, cela signifiait qu’ils pouvaient être tout bonnement … exécutés ! ». Liz Gablehouse rencontra une certaine Badiaâ qu’elle présenta à Hubbard comme « proche de la famille royale ». Cette dernière l’introduisit auprès du Colonel Abdelkader Allam. Amos Jessup, le seul scientologue de l’Apollo qui parlait français, conduisit l’assaut suivant sur l’officier supérieur des Forces armées royales, « vivement impressionné par les performances de l’électromètre », l’instrument fétiche des scientologues censé analyser la psychologie des personnes. L’idée de Hubbard était de faire auditer les cadres de l’armée et « mesurer leur loyalisme au roi ». Allam leur promit d’en parler au Général Oufkir. Il organisa une soirée à laquelle furent conviés Liz Gablehouse et Amos Jessup. Oufkir s’y présenta accompagné d’une jeune femme blonde qui était en poste au consulat du Maroc à New-York. Oufkir revenait tout juste d’un voyage aux Etats-Unis d’où il rapporta un poulain comme présent au prince héritier Sidi Mohammed de la part du gouvernement américain. Les scientologues apprirent de l’escorte d’Oufkir, quelque peu eméchée, « qu’il s’était secrètement rendu au centre d’entraînement de la CIA à Port Holibert pour y rencontrer des pontes de l’agence à l’insu de Hassan II ». Plus tard, Liz Gablehouse et d’autres membres de la « Sea Org » furent invités par Oufkir pour assister à un show aérien à la base américaine de Kénitra où ils purent s’entretenir avec « d’autres généraux, ceux-là mêmes qui conspirèrent contre le roi en juillet 1971 », témoignera Elena Lorrell dans l’ouvrage de Corydon. Le coup d’Etat de Skhirat changera la donne. Les contacts avec Oufkir reprirent pourtant assez rapidement. Pour les scientologues, Oufkir et Hassan II pourraient être intéréssés par leur « projet de checking sécuritaire » pour démasquer les comploteurs à l’aide de leur outil-miracle. Oufkir leur répondit assez froidement : « très intéressant, je reviendrai vers vous sous peu ». Les manoeuvres auprès de la police secrète semblaient plus prometteuses, l’OTC ayant réussi à organiser des cours pour apprendre aux policiers et aux agents de renseignements du Cab-1 à détecter les « individus politiquement subversifs ». Mais le programme de formation des policiers marocains tournait à la débandade, « sous l’effet des luttes intestines entre les fidèles du roi et leurs opposants, aussi effrayés les uns que les autres par les révélations éventuelles de l’électromètre », rapportera plus tard un ex-scientologue. Dans de nombreux témoignages devant la justice américaine lors des grands procès des années 80 et 90 intentés en Californie contre la secte par des scientologues repentis, l’opération marocaine a souvent été évoquée. Garry Armstrong, un des logisticiens de l’Apollo dira à la Cour : « l’idée était brillante, mais aventureuse alors que la situation au Maroc était plus que tendue. J’ai personnellement livré des douzaines d’électromètres aux Marocains et participé à établir les questionnaires pour les interrogatoires. Les questions étaient simples, elles nécessitaient pourtant qu’on les traduise en français ». Ces questions, il les répétera à un jury médusé : « Avez-vous failli à dénoncer un traître ? », « Avez-vous fait allégeance à Oufkir ? »… Toujours selon Armstrong, tout le personnel de la Villa Laure y compris les « nombreuses Fatima de service » et ceux de la flotte étaient en effervescence pour faire aboutir cette opération. « C’était complètement dingue », se souvient Amos Jessup : « on ne savait même plus qui était de quel bord » La « Sea Org » aurait peut-être pris le temps de démêler cet écheveau si, au même moment, de fort mauvaises nouvelles n’étaient arrivées de Paris : la branche française de l’Église de Scientologie allait être inculpée de diverses activités frauduleuses et le Parquet envisageait de demander au Maroc l’extradition de Hubbard ! Pis, la seconde tentative de coup d’Etat menée par les aviateurs contre le Boeing de Hassan II en août 1972 et la fin tragique d’Oufkir a fait capoter toute l’entreprise. Le Commodore décida qu’il était temps de prendre le large. Le ferry pour Lisbonne devant quitter Tanger « dans les douze heures sur ordre du Palais », Hubbard commanda au personnel de l’OTC d’y embarquer avec tout le matériel récupérable et tous les documents qui n’auraient pu être détruits à temps. Durant deux jours, une noria de camions, de voitures et même de motocyclettes fit donc la navette entre la « base à terre » de l’OTC et le port de Tanger. « Je n’ai pas pu savoir ce qui s’était vraiment passé et dans quelles conditions la mission avait échoué, ni les dessous de notre évacuation de Tanger », dira Armstrong. « Tout ce dont je suis certain c’est qu’il y a eu, à un moment donné, un contact direct avec Hassan II. Je sais aussi par ailleurs qu’un jeune berbère du nom de Laïdi Lyoussi qui assurait la liaison avec les militaires, a été sauvagement torturé et peut-être aussi assassiné suite au fiasco », ajoutera Armstrong dans sa déposition. Au total, confirmera aussi Armstrong sous serment, pas moins de « 13 Marocains furent exécutés à cause du programme fou de Hubbard ». On n’en saura pas plus sinon « qu’un bateau aurait été coulé en haute mer avec à bord des personnes affidées à Oufkir et qui étaient au parfum de ses liens avec la "Sea Org" »… Quand le ferry-boat de Lisbonne leva l’ancre le 3 Décembre 1972, l’Église de Scientologie ne laissait derrière elle au Maroc qu’une montagne de cendres, des nuages de rumeurs et une poignée d’agents consulaires américains en proie à une profonde perplexité.
Un double complot de la CIA ?
Les rumeurs sur l’épopée funeste au Maroc de l’Eglise de Scientologie alimenteront beaucoup l’univers interlope de la secte. De nombreux enquêteurs ont tenté durant des décennies d’en reconstituer le fil des évènements. On retrouvera ainsi la trace d’un appartement mis à la disposition de la mystérieuse Badiaâ par « des gradés Marocains » à Rabat pour y installer leur matériel servant aux interrogatoires ainsi qu’une maisonnette à Témara ou Oufkir, dit-on, aurait fait un ultime saut au matin du 16 août 1972, quelques heures à peine avant l’attaque des F-5 contre l’avion de Hassan II. Auparavant, entre le 5 et le 10 Août, Oufkir se déplaça à Tétouan « pour voir sa famille à Cabo Negro », mais aussi pour « rendre visite à des membres d’équipage de l’Apollo au nord du Maroc », supposera un blogger féru de Scientologie. La mort du Colonel Allam durant la Guerre du Kippour, proche de Dlimi en raison de leur origine commune (Sidi Kacem), alimentera aussi toutes les conjectures. Elena Lorrel avancera « qu’il a été victime de sa proximité avec les scientologues »… Le plus saisissant sera la « déclassification » en 1996 d’un document de la CIA faisant état d’un contrat établi par l’agence en octobre 1972 en faveur de trois scientologues (Ingo Swann, Hal Puthoff et Pat Price) pour conduire des recherches sur « la perception à distance ». La lutte acharnée contre l’URSS durant la guerre froide avait poussé l’administration Nixon à explorer toutes les voies possibles qu’offraient les « néo- sciences » y compris les plus fantaisistes. D’aucuns prétendront que cela n’était qu’une couverture à des agents qui avaient eu, comme double mission, durant 1971 et 1972, d’entretenir des contacts secrets avec les putschistes marocains à partir de la « Sea Org » en relâche à Tanger et d’organiser enfin la neutralisation du gourou Hubbard, après son évacuation expéditive du Maroc vers New York où il passa près d’une année au secret. L’entourage de Hubbard aurait été infiltré par des agents de la CIA pour suivre et peut-être jouer un rôle effectif dans les coups d’Etat. C’est en tout cas la thèse véhiculée par certains connaisseurs de l’histoire brumeuse de la Scientologie qui auraient identifié nombre d’agents de la CIA à bord des vaisseaux de Hubbard. Parmi eux, on compterait son assistant Ken Urquhart, son garde du corps et ancien béret vert Paul Preston ou son accompagnateur Jim Dincalci. Tous auraient eu au Maroc des relations répétées avec des militaires et des agents de renseignement marocains. Ils auraient même assuré le transfert de près de deux millions de dollars d’une banque suisse vers le Maroc pour aider les révolutionnaires. Après leur échec, l’argent aurait été réexpédié à la hâte aux Etats-Unis en liquide et, en partie, en coupures de dirhams marocains ! Un mémorandum daté du 13 juillet 2003 adressé à la Maison-Blanche par une obscure organisation réputée proche de l’Eglise de Scientologie reprend cette assertion accusant la CIA d’avoir appuyé Oufkir dans son putsch et manipulé Hubbard. Les commissions d’enquête (Rockfeller et Church) du Congrès US sur le rôle de la CIA dans les renversements de nombreux régimes dans les années 70 n’ont pas pu statuer sur ce qui se serait passé au Maroc. Le 16 janvier 1975, le président Gerald Ford l’aurait pourtant évoqué sous le sceau de la confidence lors d’un déjeuner offert à la Maison-Blanche en l’honneur d’Arthur Ochs Sulzberger, le puissant patron du « New York Times », qui lui a reproché la crédibilité des commissions d’enquête jugées trop proches des militaires du Pentagone et de la CIA elle-même. Ford lui répondit que la révélation du rôle de la CIA dans certaines affaires sensibles était impensable. « Quelles sortes d’affaires ? » le questionna Sulzberger. « Des tentatives d’assassinats d’alliés devenus encombrants ! », lui répliqua Ford avant de se ressaisir en ajoutant « C’est off, bien entendu ! ». Selon un convive attablé avec Ford et Sulzberger, le Président faisait probablement allusion au cas marocain… .
Par Ali Amar