Les pseudo-thérapeutes et autres chamans du bien-être ont l’imagination débordante et une capacité de récupération à toute épreuve. Dernière élucubration à la mode : former leurs clients au « saut quantique » pour leur permettre de mener la vie dont ils rêvent. Le détournement d’un concept de physique qui n’a rien à voir avec ce qu’ils en disent.
Malade, déprimé, en échec personnel ou professionnel ? Pas de panique : à en croire certains influenceurs d’Instagram, YouTube ou Snapchat, tout peut changer en un claquement de doigts… ou presque. Une seule condition : être en mesure de dépenser des sommes extravagantes pour s’initier au « saut quantique ». Les vidéos de promotion de cette méthode miraculeuse pullulent sur Internet.
Dans une compilation publiée sur Twitter par @GGMilgram, on entend : « Mon boulot, c’est de reprogrammer ton mental pour vivre ta best life. Changer de réalité facilement », « Moi je parle de passer d’un endroit d’une dimension à un autre endroit d’un claquement de doigts », « Le saut quantique c’est le fait de passer d’un état d’être à un autre, d’un état dans ta vie à un autre, avec aucune logique linéaire. Quand tu fais un saut quantique tu te dis : « Quoi, déjà ? comment j’ai fait, comment c’est possible ? » » Tentant.
Promesses de guérisons miraculeuses
Plus inquiétant, un certain nombre de magazines de presse ont alimenté cet engouement, comme l’hebdomadaire Femme Actuelle, qui donnait dès 2017 la parole à une « thérapeute quantique ». Un article qui explique que la pseudo-thérapeute sait « entrer en communication avec le champ informationnel de l’individu dont il va lui-même recevoir l’énergie. Il est un relais qui va permettre au message porteur de la guérison de trouver son chemin. […] Pour lui, tout est information et tout est vibration ».
Milieux ésotériques, pseudo-médecines, coachs en développement personnel… « Le quantique est partout en ce moment, notamment chez les influenceuses du « féminin sacré » qui nagent complètement dans ce délire-là », explique Mathieu Repiquet, lanceur d’alerte en dérives thérapeutiques et membre du collectif No Fake Med.
Derrière ce langage pseudo-scientifique, des concepts fumeux sans aucune scientificité : « Tous utilisent le même vocabulaire et les mêmes expressions : taux vibratoire, particules, flux, êtres de lumière, résonance… » Plus qu’à secouer le tout, façon cadavre exquis. « Ces théories quantiques sont très appréciées par les naturopathes, kinésiologues, les défenseurs de la médecine traditionnelle chinoise ou hindoue. Selon eux, les données issues de la physique quantique légitiment l’efficacité de ces méthodes-là », décrypte-t-il. Et le champ couvert par ces
promesses de guérisons miraculeuses est infini : les personnes dépressives pourraient ainsi revenir à la stabilité, les personnes traumatisées à un état antérieur à leur choc, les personnes cancéreuses être guéries par la simple apposition des mains…
Des théories qui n’ont rien de quantique
Après tout, le physicien Richard Freynman n’a-t-il pas lui-même estimé que « personne ne comprend vraiment la physique quantique » ? « Rappelons d’abord les bases, déroule le physicien et expert de la physique quantique Julien Bobroff à Marianne. Les lois de la physique quantique décrivent le monde à très petite échelle, de l’ordre de l’atome. Ces lois sont confirmées depuis plus d’un siècle. » L’une de ces règles de fonctionnement de l’infiniment petit s’applique aux changements d’état des objets observés : le fameux saut quantique. « Quand vous
observez un atome, son comportement, son énergie, vous vous rendez compte qu’il va changer par palier. Il peut
passer d’un palier à un autre, mais jamais se retrouver dans un stade intermédiaire entre deux paliers.C’est ce qu’on appelle un saut quantique », explique Julien Bobroff. Un peu comme si on se téléportait d’un étage à l’autre d’un bâtiment sans jamais avoir besoin d’emprunter les escaliers.
C’est donc en récupérant cette loi quantique que les charlatans des pseudo-médecines et du développement personnel construisent et valident leurs théories. Ils proposent, à l’aide d’une certaine pratique, voire d’un appareil, d’aider leurs clients à passer d’un état à l’autre sans effort. « Beaucoup prétendent que les maladies sont dues à un « déséquilibre du taux vibratoire ». Ils utilisent des gadgets et des appareils dits de médecine quantique qui coûtent parfois des milliers d’euros pour diagnostiquer ou régler ces problèmes. » D’autres veulent voir dans la physique quantique une façon de prouver l’efficacité d’autres pseudo-médecines, comme les médecines
traditionnelles chinoises ou hindoues. « Certains médecins homéopathes prétendent que la physique quantique permet de valider l’efficacité de l’homéopathie, via des échanges d’information au niveau atomique… », déplore Mathieu Repiquet.
Pour justifier ce recours à la physique quantique, un argument de poids : les hommes sont composés d’atomes.
Pourquoi les règles de la physique quantique ne pourraient-elles pas s’appliquer ? « L’argument est assez bon !
Effectivement, nous sommes tous composés d’atomes », s’amuse le physicien Julien Bobroff. Mais plaisanterie à part, il ne tient pas du tout. « Ces charlatans ne tiennent pas compte des fondements même de la physique quantique. C’est un fait prouvé par nombre d’expériences scientifiques menées en laboratoire : quand vous mettez plein d’atomes ensemble, les niveaux quantiques vont diminuant. À l’échelle humaine, les niveaux quantiques vont être tellement serrés qu’il n’y a plus d’effet. » C’est pour cela que la physique quantique décrit le fonctionnement de l’infiniment petit. « L’être humain est composé d’énormément d’atomes – 10 puissance 23
pour être exact. La physique quantique ne s’applique donc pas du tout à notre échelle. »
« Le charlatanisme, un problème de santé publique »
Un détournement de concepts scientifiques qui n’est pas une nouveauté dans le charlatanisme thérapeutique. « A l’époque des ondes radio, c’était la même chose, explique à Marianne Julien Bobroff. Les ondes avaient aussi cette dimension mystérieuse, magique. À l’invention de la radio, on a vu fleurir toute une panoplie de gadgets supposés fonctionner sur le principe des ondes radio et qui prétendaient guérir une kyrielle de pathologies. »
Quant au terme quantique lui-même, « on le retrouve déjà dans des archives sur des pseudo-médecines dans les années 90. Je pense qu’il arrive dans le milieu New Age à partir des années soixante-dix », complète Mathieu Repiquet, qui souhaiterait que davantage de physiciens s’impliquent dans l’information contre ce type de détournements de la science. « Les revues scientifiques incitent de plus en plus les scientifiques à rentrer dans le ring et à combattre cette désinformation », se réjouit-il.
Car le lanceur d’alerte s’inquiète de la prolifération de ces pseudo-thérapies, notamment sur un portail épinglé pour faire la promotion de pratiques charlatanesques, le Doctolib des pseudo-médecines : Medoucine. « Les références au quantique y sont légion », fustige Mathieu Repiquet, qui a enquêté sur cette entreprise.
Publicité mensongère, allégations thérapeutiques infondées, pratique illégale de la médecine… Les outils juridiques pour faire cesser ces pratiques sont pourtant nombreux. « C’est le véritable scandale qui soulève la prolifération de ces pseudo-thérapies : les autorités laissent faire. C’est scandaleux que des services de l’État comme l’Agence nationale du médicament, ou la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes ne fassent rien, alors même que des articles de loi existent pour sanctionner ces charlatans. » Or,
précise-t-il, « le charlatanisme est avant tout un problème de santé publique ».
source : Marianne
Quantique des quantiques
Par Jean-Loup Adenor
Publié le 03/02/2022 à 11:35
Par Jean-Loup Adenor