La commission Bronner a rendu son rapport à Emmanuel Macron pour lutter contre les fake news. Il ne présente que quelques préconisations mais, selon Cyrille Dalmont, chercheur associé sur le numérique à l’Institut Thomas More, s’inscrit dans une volonté du contrôle de l’information par le gouvernement.
C’est un serpent de mer du quinquennat Macron. La commission Gérald Bronner a présenté, ce mardi 11 janvier, son rapport pour lutter contre la désinformation. Avec un collège d’expert, le sociologue a élaboré 30 préconisations, allant du développement de l’esprit critique via l’Éducation nationale à de nouveaux outils juridiques pour lutter contre la viralité des fausses informations.
Plusieurs pistes du rapport ont déjà été distillées dans la presse. Parmi les idées défendues, les auteurs demandent à impliquer le CSA, devenu Arcom, pour « obtenir l’intervention et la coopération d’une plateforme afin de prévenir ou stopper la diffusion massive d’un contenu susceptible de véhiculer une fausse nouvelle pouvant troubler l’ordre public ». Un processus qui pourrait s’avérer dangereux pour Cyrille Dalmont, chercheur associé aux questions numériques à l’Institut Thomas More à qui Marianne a échangé.
Marianne : Gérald Bronner a rendu, ce mardi 11 janvier, son rapport pour lutter contre les fake news. Dans quel contexte cela intervient-il ?
Cyrille Dalmont : La lutte d’Emmanuel Macron contre les fake news remonte à l’aube de son quinquennat. Dès son élection, il s’en est pris à deux médias russes, Sputnik et Russia Today, estimant que la façon dont ils traitent l’information relève plus de la propagande que du journalisme. Le 15 janvier 2020, lors de ses vœux à la presse, il étaye sa vision d’un certain contrôle de l’information. Il y évoque la « lutte contre les fausses informations, les détournements sur les réseaux sociaux » et estime que « l’éducation reste le fondement de cette lutte. Il nous faut donc pouvoir répondre à ce défi contemporain, définir collectivement le statut de tel ou tel document ». Cette dernière phrase est éloquente et donne un indice quant à sa vision de l’information et de son contrôle. C’est d’ailleurs le fil rouge de tous les textes présentés sous ce quinquennat concernant la lutte contre les fake news et le complotisme.
Quels sont-ils ?
En début de mandat, le gouvernement a présenté une loi contre la manipulation de l’information. Celle-ci concerne essentiellement les élections et devait permettre d’empêcher la circulation d’informations « partiellement fausses ». Le Conseil d’État l’a retoquée en imposant des critères cumulatifs. Il faut que la fausse nouvelle soit manifeste, diffusée massivement et risque de troubler la paix publique ou la sincérité du scrutin. Avec ces critères, le texte est devenu pratiquement inopérant.
À la sortie du confinement, la loi contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia du nom de la députée, est proposée au parlement. L’objectif est de lutter contre la haine en ligne et c’est toute la difficulté. Le sentiment de haine n’a pas de qualification juridique, contrairement à l’incitation à la haine. Le texte posait de réelles questions quant à l’interprétation d’un propos par la personne qui le lira. On est dans la supputation de la pensée de l’autre. Par ailleurs, la loi prohibe déjà certains comportements comme la diffamation ou l’atteinte à l’honneur.
En réalité, c’était une astuce suffisamment large pour censurer tout ce que l’on souhaite, au regard de son interprétation. Car, la décision ne revenait pas au juge mais aux plateformes directement. Si elles ne retiraient pas un contenu haineux sous 24 heures, elles s’exposaient à des amendes. Le risque, et c’est ce que le Conseil Constitutionnel a censuré, était que tout propos un peu incisif soit supprimé par le réseau social, par crainte d’une amende. Les Sages ont estimé que le législateur portait à la liberté d’expression une atteinte qui n’est ni adaptée ni proportionnée au but poursuivi. De ces deux échecs découle le rapport Bronner.
Dans ses préconisations, ce rapport propose de « saisir l’Autorité de régulation par quiconque éprouve une « difficulté pour obtenir l’intervention et la coopération d’une plateforme » au retrait d’un contenu ». Comment analysez-vous cette idée ?
Nous sommes dans la droite ligne de la loi Avia : faire porter la responsabilité sur les plateformes en se passant de la décision d’un juge judiciaire. En suivant cette recommandation, l’État s’appuierait sur le CSA pour décider ce qui relève d’une fausse information. Cela dépendra des éléments dont il disposera au moment de la publication mais aussi de la personne qui l’apprécie. Avec l’intervention du régulateur, un papier critique qui serait partiellement faux pourrait tomber sous le couperet de la censure. Même chose pour une enquête journalistique avec des sources anonymes. On en arrive à l’idée énoncée par Macron lors de ses vœux de 2020 à la presse qui considère que c’est aux gouvernements et aux médias de déterminer, ensemble, de ce qui est une information. On rentre dans un contrôle dangereux.
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